András Schiff redéfinit l’exceptionnel dans le Clavier bien tempéré au TCE
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 09-XII-2021. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Das Wohltemperierte Klavier, Buch I BWV 846-869. Sir András Schiff, piano
Parmi les œuvres de l'île déserte, le Clavier bien tempéré de Bach fait indiscutablement partie des prioritaires, surtout lorsqu'il est interprété à un niveau aussi exceptionnel que celui d'András Schiff, comme lors de ce concert au Théâtre des Champs-Élysées.
En dix jours, András Schiff livre à Paris les deux livres de l'un des plus grands cycles jamais écrits pour clavier : Das Wohltemperierte Klavier (Le Clavier bien tempéré) de Johann Sebastian Bach. Avant le livre II le 18 décembre à la Philharmonie, le pianiste présente le livre I au Théâtre des Champs-Élysées le 9, et si le programme initial indiquait un entracte, celui-ci a disparu du feuillet donné au public à l'entrée en salle.
C'est donc sans la moindre interruption, avec tout juste quelques secondes de pause parfois entre un numéro et le suivant, que Schiff délivre les vingt-quatre Préludes et Fugues classés au catalogue BWV 846 à 869. D'une sublime intégrité dès le premier prélude, le pianiste tient ensuite sa partie pendant près d'une heure quarante-cinq, sans la moindre baisse de tension ni le moindre signe de fatigue. Encore plus naturel que pour son enregistrement studio chez ECM, Schiff expose dans son interprétation une exceptionnelle maîtrise d'une œuvre qu'il joue sans aucune partition sur un Steinway & Sons souvent très intelligemment matifié.
La dynamique du Prélude BWV 847 montre surtout la parfaite rigueur du rythme à la main droite, impeccablement équilibrée avec le geste de la gauche, toujours libre. Puis la Fugue ainsi que le prélude suivants développent toutes les qualités techniques du pianiste, toujours aussi agile, quelque soit la main qui porte la partie. La pédale forte utilisée avec une grande parcimonie ne lui sert qu'à accentuer lorsqu'il s'aventure plus à droite sur le clavier, tandis que les deux autres pédales ne sont presque jamais utilisées. Le Prélude puis la Fugue BWV 849 achèvent de convaincre, exposant cette fois toute la plénitude du chef-d'œuvre de Bach sans jamais l'orienter vers aucun pathos, ni encore moins tenter de le romantiser, tout en parvenant à toucher au plus profond, tout simplement par sa justesse.
Les mêmes qualités reviennent au rapide Prélude BWV 850 puis au rythme marqué du plus mesuré Prélude BWV 851, quand la puissance émotive ressort particulièrement du lent Prélude BWV 853, d'autant plus concentré que le public venu nombreux pour assister à ce récital de l'Avenue Montaigne se montre d'un silence religieux. Juste après la Fugue, Schiff s'octroie la plus longue pause de la soirée, environ trente secondes, avant d'aborder le Prélude BWV 854, d'une lumière toute particulière. Le Prélude BWV 855 s'efface presque sans contraster par sa seconde partie, plus rythmée et pourtant prise extrêmement rapidement.
Déjà, le monde glisse vers la seconde moitié du cycle et le Prélude BWV 858, là encore sans que le pianiste se soit arrêté plus de quelques secondes. De préludes en fugues, András Schiff avance inexorablement, toujours avec la même liberté dans la rigueur, jamais transformée en droiture, et toujours avec la même intégrité envers cette partition qu'il connait sur le bout des doigts. Arrivé aux derniers numéros, il aborde maintenant les fugues les plus compliquées, tellement naturelles sous ce toucher qu'elles semblent presque aussi souples que les préludes qui les accompagnent.
A la fin du concert, après près de dix minutes d'applaudissements, on s'attriste qu'un tel moment soit déjà achevé. Heureusement, l'intégralité du livre II reste encore à venir, quelques jours plus tard, cette fois dans la grande salle de la Philharmonie.
Crédit photographique : © Gerd Mothes
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 09-XII-2021. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Das Wohltemperierte Klavier, Buch I BWV 846-869. Sir András Schiff, piano