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À Bozar Bruxelles, Alain Altinoglu, titanesque mahlérien

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Bruxelles. Bozar. Salle Henry Le Boeuf. 28-XI-2021. August De Boeck (1865-1937) : Nocturne. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon et orchestre « à la mémoire d’un ange ». Gustav Magler (1860-1911) : Symphonie n° 1 en ré majeur « Titan ». Renaud Capuçon, violon. Orchestre symphonie de la Monnaie, direction : Alain Altinoglu

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Un nocturne, un ange et un Titan. Voilà le menu musical de ce dimanche proposé par l' et son directeur musical, , avec pour invité .

L' fêtera cette saison son 250e anniversaire et son directeur musical, , a souhaité marquer l'évènement par une programmation récurrente de partitions belges. Après un flamboyant Chasseur maudit de César Franck donné en ouverture de saison, et deux représentations en concert, en octobre, de l'opéra De kinderen der Zee (Les enfants de la Mer) de Lodewijk Mortelmans, le choix s'est porté, en prélude à un passionnant programme autrichien, sur le tardif Nocturne symphonique d', compositeur flamand du tournant du Siècle, exact contemporain de Sibelius, Nielsen, Dukas ou Magnard. Son nom n'évoque sans doute pas grand-chose pour le public français mais figure toujours en bonne et due place dans les histoires de la musique du « plat pays », même s'il est de facto assez rarement joué de nos jours. Son œuvre touche à tous les domaines, avec une prédilection pour l'opéra (six œuvres) mais en fin de carrière, le Flamand marque un intérêt renouvelé pour la musique orchestrale, notamment avec ce bref mais intéressant Nocturne (1923-31) tardivement créé en 1936. Les fines irisations des cordes divisées, les progressions harmoniques confiées aux bois, le climat du début et de la conclusion de l'œuvre évoquent sans ambages l'école symboliste et impressionniste française, mais les deux climax enchaînés au deux tiers de l'ouvrage font d'avantage songer à un post-romantisme germanique librement adapté : une partition habile, par moments somptueuse, tendue entre deux mondes, à l'image de ce pays : elle manque juste un peu de traits mélodiques vraiment saillants ou d'un éclair de génie salvateur. en tire le meilleur parti par un savant dosage des effets et un maniement raffiné des masses sonores.

En ponctuation à la récente, reprise de la Lulu mise en scène par Krysztof Warlikowski avec une envoûtante Barbara Hannigan dans le rôle-titre, l'institution bruxelloise propose le Concerto à la mémoire d'un ange d', œuvre d'une tout autre substance, elle aussi créée, posthumement, la même année 1936 à Barcelone par son commanditaire Louis Krasner sous la direction d'Hermann Scherchen. On sait que la mort de Manon Gropius, fille née de l'union de l'architecte chef de file du Bauhaus, Walter Gropius et d'Alma Schindler (ex-Mahler), victime de la poliomyélite, affecta grandement le compositeur et guida promptement, en quelques semaines, son inspiration par delà les sortilèges d'une série de douze sons aux évidentes polarités néo-tonales.

entre en scène la mine pâle, est-il souffrant ? Jouer cette redoutable page sublime, si intense mais si difficile à mémoriser – et, in fine, peu fréquente au concert – avec la partition n'est pas inhabituel. Toutefois, le soliste apparaît d'emblée crispé, tendu, à la recherche de ses appuis ou de la meilleure position pour extirper, et ce, dès l'arpège initial sur les cordes à vide, des sons parfois peu flatteurs de son Guarnerius « Vicomte de Panette ». Il émerge à grand peine du camaïeu orchestral confit de l'andante initial, l'allegretto enchaîné manque de cette grâce innocente un rien narquoise au fil des figures violonistiques contrepointant la douce chanson de Carinthie déduite de la série initiale. ne peut avec cette sonorité bizarrement éteinte et méconnaissable, vraiment rivaliser avec un orchestre mordant, voire déchaîné, au fil de l'allegro ouvrant le second pan du concerto : le hauptrythmus menaçant envahissant peu à peu tout l'espace sonore nous semble figurer un interminable chemin de croix pour le soliste. Il faut l'énoncé du choral luthérien (Es ist genug! – C'en est assez) établi selon Bach et revu par Berg pour retrouver un tant soit peu le violoniste français à son niveau élevé de jeu habituel. Alain Altinoglu par une direction fouillée et précise, tranchante et lyrique à la fois, lui apporte à la tête d'un orchestre discipliné et impliqué, un soutien à la fois fraternel, irréprochable et idéal. Mais rien n'y fait ! Cette très courageuse – et périlleuse – prestation d'un grand artiste visiblement et audiblement dans un jour « sans » ajoute une dimension pathétique supplémentaire à cette œuvre déjà si marquée par le Destin – que Capuçon a pu déjà, nous le savons, ailleurs admirablement servir au disque comme au concert.

Après l'entracte, Alain Altinoglu nous gratifie d'une splendide et électrisante version de Symphonie n° 1 de , – peut-être la plus géniale première symphonie de tous les temps ! – mâtinée tantôt d'une intense et délicate poésie, tantôt d'un pittoresque délibérément trivial, tantôt d'une énergie dévastatrice et galvanisante. Dès la longue et lente introduction et tout au fil du premier mouvement, en marge des longues pédales confiées aux cordes aiguës, le chef se souvient de l'aphorisme mahlérien : « Ma musique n'est rien d'autre que bruits de Nature » et déploie avec un sens du suspense presque haletant un paysage musical d'une miraculeuse hétérophonie, brassant à l'envi fanfares, chants d'oiseaux, gargouillis de ruisseau, échos de cors de postillons ou de parties de chasse. Le thème principal peut se lover au sein de ce monde sonore onirique finement ciselé dans toutes ses variantes au gré de ses expositions successives ou de ses développements, tour à tour liminairement timide, ou irradiant au fil d'une éclatante coda. .
Le Krätfig Bewegt, en guise de scherzo, devient une irrésistible et joyeuse ronde de lâendlers, confondante de naturel dans les enchaînements, par ces savoureux changements de tempi, tout en laissant toujours libre cours ci et là à un nostalgique épanchement.

Alain Altinoglu n'oublie pas, au seuil du mouvement lent, la dimension grinçante de la « vraie-fausse » marche funèbre parodiant la chanson enfantine Bruder Martin (notre Frère Jacques) énoncée en mode mineur, avec ce décalé solo de contrebasse bien défendu par Robby Hellijn ; plus loin ce seront ces interventions piquantes d'une petite harmonie particulièrement en verve (les clarinettes !), évoquant sans vergogne la tradition klezmer. Les rencontres musicales incongrues des divers matériaux thématiques des plus hétérogènes semblent plus que jamais, sous cette baguette inspirée, annoncer prophétiquement la future burleske de la neuvième symphonie ou les collisions sonores imaginées bien plus tard par un Charles Ives : l'inattendue et soudaine auto-citation de la conclusion des lieder eines fahrende gesellen tombe ainsi à point nommé.

Mais c'est dans le grandiose final, si difficile à organiser dans ses épisodes successifs et son long cheminement musical et psychologique, que le maestro impressionne le plus, entre le maelström initial des énoncés de cuivres et l'épanchement des longs épisodes presque sentimentaux confiés aux cordes, formidablement cornaquées par la konzertmeisterin d'un soir , lauréate belge et prix du public du concours Reine Élisabeth 2019, premier violon au Concertgebouw d'Amsterdam. Toute la coda, avec la réapparition quasi miraculeuse des jalons thématiques du premier mouvement, en est menée de main de maître, avec une prodigalité sonore époustouflante. Tout le (formidable) pupitre de cors, mené par un superbe Jean-Pierre Dassonville, respecte d'ailleurs la tradition –indiquée par Mahler – de joueur debout sa longue et dernière intervention. A l'issue de cette titanesque prestation, un public ému et conquis réserve un rare et sonore triomphe totalement mérité, à l'orchestre et à son chef par une longue standing ovation, ponctuée de nombreux rappels.

Crédits photographiques : Alain Altinoglu © Dirk Leemans ; Renaud Capucon © Paolo Roversi / Erato

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