Plus de détails
Rome, Teatro Costanzi, 20,23, 25,27 et 28-XI-2021. Giorgio Battistelli (1953) : Julius Caesar, Tragédie en musique sur un livret de Ian Burton tiré de William Shakespeare. Mise en scène : Robert Carsen. Costumes : Luis F. Carvalho. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Décors : Rudu Boruzescu. Avec: Clive Bayley, Jules Caesar ; Elliot Madore, Brutus ; Julian Hubbard, Cassius ; Dominic Sedgwick, Antony ; Michael J.Scott, Casca ; Hugo Hymas, Lucius ; Ruxandra Donose, Calpurnia ; Alexander Sprague, Octavius ; Christopher Lemmings, Marullus-Cinna ; Christopher Gillet, Indovino-I Plebeo ; Allen Boxer, Flavius-Metellus-II Plebeo ; Scott Wilde, Decius-III Plebeo ; Alessio Verna, Servo di Cesare-Titinius-IV Plebeo. Choeur de l’Opéra de Rome (chef de choeur:Roberto Gabbiani). Orchestre de l’Opéra de Rome, direction : Daniele Gatti
Pour la première fois depuis 1901, lorsqu'il a monté Les Masques de Mascagni, le Théâtre Costanzi a inauguré sa saison avec un opéra commandé au compositeur contemporain Giorgio Battistelli.
Avant de quitter son poste de surintendant, Carlo Fuortes, en accord avec le directeur musical Daniele Gatti, a choisi un thème qui appartient à l'histoire de Rome : la mort de Jules César et la défense ou la trahison de la liberté républicaine. La commande de cet opéra a été faite au compositeur Giorgio Battistelli (lire notre entretien), qui vient de recevoir le Lion d'or pour l'ensemble de son œuvre à la Biennale Musica de Venise. Le librettiste Ian Burton, qui travaille depuis des années avec Battistelli sur une trilogie tirée de Shakespeare (après Richard III en 2007 à la Fenice de Venise, ce Jules César cette année et bientôt un projet sur Périclès) a adapté le texte du barde, inspiré de Plutarque, Suétone et Cassio Dione, en insérant quelques passages en latin pour le chœur, en réduisant le nombre de personnages, tout en conservant leurs caractères, et en innovant pour l'intrigue avec le spectre du dictateur qui revient sur les lieux pour se venger, poussant Brutus et Cassio au suicide, et faisant ainsi de leur meurtre le prélude à la guerre civile.
Le metteur en scène Robert Carsen signe une mise en scène épurée et dépouillée, où les lumières de Peter van Praet apportent du relief à l'histoire et soulignent les tensions dramatiques de la partition. Au début, un mur concave formé de blocs de marbre sur lequel figurent des affiches de César sert de toile de fond à la foule de Romains, en jeans et baskets et brandissant des pancartes, célébrant ainsi le triomphe de César pour la fête des Lupercales. Puis le mur laisse la place à l'hémicycle du Sénat, avec ses bancs tapissés de rouge, César parlant du haut de son siège, dans une pose « à la César » mais entouré de sénateurs vêtus de costumes-cravates, attachés-cases à la main, s'agitant dans les escaliers, déposant leur bulletin de vote dans l'urne et complotant pour se libérer du dictateur. Toujours en public, avec un immense bureau présidentiel en arrière-plan, se déroule la scène intime du dialogue entre César (magnifique Clive Bayley) et sa femme Calpurnia (l'intense Ruxandra Donose) qui, en raison d'inquiétants pressentiments, tente de le dissuader de se présenter au Sénat.
Au deuxième acte, le doute atroce qui assaille les conjurés après l'oraison funèbre de Marc Antoine, l'évocation de la bataille de Philippes qui chamboule leur sort, le spectre de Jules César qui apparaît à Brutus dans son sommeil et le bouleverse, tout cela se déroule sur fond d'une structure imposante, un enchevêtrement de planches et de tubes qui tourne progressivement sur elle-même, permettant de découvrir l'échafaudage du Sénat. Revers symbolique du pouvoir, avec ses ombres, ses lumières sinistres, son caractère claustrophobe et violent, voilà un parfait exemple de la cohérence de la mise en scène de Carsen, qui n'a recourt qu'à un simple détail pour représenter les émotions de l'âme dans un drame des consciences presque dépourvu action.
Dès les premières notes, avec le chaos organisé du chœur chantant hors scène, l'Orchestre du Teatro dell'Opera di Roma, sous la direction précise de Daniele Gatti, restitue tout le pathos de la partition de Battistelli, avec ses couleurs sombres et lugubres à mesure qu'on évolue du soupçon envers le pouvoir vers le doute des conspirateurs, puis la mort. L'orchestration magistrale fait appel à un orchestre de soixante-dix musiciens, présents avec des instruments de percussion jusque sur les boxes latéraux. Pour cet opéra contemporain mais qui puise dans l'héritage classique, Battistelli a choisi l'éclectisme, combinant différents genres dans une texture complexe, riche en citations, où la musique tonale est tempérée par les harmonies, l'abstraction s'incline devant l'évolution du drame psychologique, le parlé rythmique des chanteurs prévaut sur la forme traditionnelle des arias, jusqu'au bel arioso du baryton dans le final.
Au niveau vocal, la déclamation prévaut. Majoritairement masculines, à l'exception de Calpurnia, la femme de César interprétée par la mezzo-soprano Ruxandra Donose, les voix sont majoritairement sombres. Le rôle de César est confié à la basse Clive Bayley à la palette dense et profonde. Le baryton Elliot Madore, qui incarne Brutus fait preuve d'une belle force expressive mais manque parfois de projection. Le ténor Julian Hubbard chante le rôle de Cassius dans un registre faisant appel à toutes les nuances du noir, exprimant le soupçon vis à vis du pouvoir jusqu'à la haine du tyran. Le baryton Dominic Sedgwick est tout à fait convaincant dans le rôle d'Anthony, tandis que c'est à Alexander Sprague, le ténor lyrique jouant Ottaviano, que revient le seul et unique arioso de la partition, à la fin. Il est dommage que pour tel un opéra, où l'on doit suivre chaque mot avec attention, les chanteurs ne chantent pas plus en avant sur scène.
Le public romain, d'un enthousiasme inattendu, a réservé dix minutes d'ovations à cet opéra novateur et efficace marquant le courage et la renaissance du Théâtre Costanzi, et qui mérite d'être mis en scène à présent dans tous les grands théâtres d'Europe où Battistelli est, depuis toujours, chez lui.
Crédits photographiques : © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma
Lire notre entretien avec le compositeur:
Le compositeur Giorgio Battistelli ouvre la saison lyrique à Rome
Plus de détails
Rome, Teatro Costanzi, 20,23, 25,27 et 28-XI-2021. Giorgio Battistelli (1953) : Julius Caesar, Tragédie en musique sur un livret de Ian Burton tiré de William Shakespeare. Mise en scène : Robert Carsen. Costumes : Luis F. Carvalho. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Décors : Rudu Boruzescu. Avec: Clive Bayley, Jules Caesar ; Elliot Madore, Brutus ; Julian Hubbard, Cassius ; Dominic Sedgwick, Antony ; Michael J.Scott, Casca ; Hugo Hymas, Lucius ; Ruxandra Donose, Calpurnia ; Alexander Sprague, Octavius ; Christopher Lemmings, Marullus-Cinna ; Christopher Gillet, Indovino-I Plebeo ; Allen Boxer, Flavius-Metellus-II Plebeo ; Scott Wilde, Decius-III Plebeo ; Alessio Verna, Servo di Cesare-Titinius-IV Plebeo. Choeur de l’Opéra de Rome (chef de choeur:Roberto Gabbiani). Orchestre de l’Opéra de Rome, direction : Daniele Gatti