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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 24-XI-2021. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Theodora HWV 68, oratorio en trois actes sur un livret de Thomas Morell. Avec : Lisette Oropesa, soprano (Theodora) ; Joyce DiDonato, mezzo-soprano (Irene) ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contreténor (Didymus) ; Michael Spyres, ténor (Septimius) ; John Chest, basse (Valens) ; Massimo Lombardi, ténor (Le Messager). Il Pomo d’oro Choir. Il Pomo d’Oro, direction : Maxim Emelyanychev
Dans un oratorio encore relativement peu connu de Haendel, Joyce DiDonato parvient à dominer un plateau de haute tenue.
Theodora n'est de loin pas le plus populaire des oratorios de Haendel. Sa longueur, la médiocrité et le style grandiloquent de son livret, le côté verbeux et moralisateur du texte de Thomas Morell n'en font pas un des ouvrages favoris du grand public. De nombreuses pages, par ailleurs, manquent singulièrement d'inspiration. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un ouvrage dont les thématiques sont en parfaite résonance avec les grands sujets de notre époque contemporaine. Les mises en scène récentes – on pense à celle de Stephen Landridge au TCE en 2015 ou encore au grand classique de Peter Sellars à Glyndebourne en 1996 – ont rappelé à point nommé tous les liens entre l'histoire de la jeune martyre chrétienne et les problématiques que nous traversons de nos jours : l'intolérance religieuse confrontée aux excès du fanatisme, le viol utilisé comme outil d'oppression politique, l'utilisation de la violence par un pouvoir colonial, etc. On ajoutera, pour se convaincre de l'utilité de représenter régulièrement cette œuvre qui gagne à être mieux connue, le thème universel de la rédemption par l'amour pour ne rien dire de l'ineffable beauté de certains morceaux musicaux, notamment pour les ensembles et les pages chorales. Les deux duos de Theodora et de Didymus sont à cet égard particulièrement exaltants.
On aura rarement, en tout cas, réuni de casting aussi luxueux pour un ouvrage qui ne requiert finalement aucune véritable virtuosité vocale. L'exceptionnelle distribution rassemblée pour la tournée de l'ensemble Il Pomo d'oro fera ainsi date, autant pour la qualité de son chant que pour la sobriété et l'intensité de l'interprétation. Le premier soliste à apparaître en scène est le baryton John Chest, qui dès son premier air fait valoir un instrument riche et bien timbré, particulièrement mordant dans la partie supérieure de la voix. Le ténor Michael Spyres, aux couleurs légèrement barytonales mais dont le timbre s'éclaircit au fur et mesure qu'il monte dans la tessiture, bénéficie d'une voix tout à fait idéale pour les rôles de ténor haendélien. La précision et la vélocité de ses vocalises sont un atout éminemment appréciable. Conçu pour le castrat Gaetano Guadagni, le créateur de l'Orfeo de Gluck, le rôle de Didymus tombe parfaitement dans la voix du contreténor Paul-Antoine Bénos-Djian. Son organe chaud et souple dans les notes basses de la tessiture, qu'il n'hésite pas à poitriner de temps à autres, est remarquable lui aussi par la précision de ses vocalises et par l'aisance de ses aigus. En termes de puissance et de volume sonore, il n'a rien à envier à ses partenaires – Spyres, Oropesa, DiDonato – spécialisés dans le romantisme italien du premier ottocento. Parmi ces derniers, Lisette Oropesa se distingue par la fraîcheur de son timbre et la noblesse de ses phrasés, même si l'écriture sobre du rôle ne lui permet pas de briller comme elle le fait dans ses emplois habituels. Il serait vain de passer sous silence le fait que le plateau est dominé par la présence presque écrasante de Joyce DiDonato. Présence physique, d'une part, notamment dans la communication visuelle entretenue avec le chœur dont elle semble commander à distance les différentes interventions. Présence vocale, d'autre part, tant la mezzo impressionne par la profondeur de son engagement, la maîtrise absolue de son chant, l'imagination et l'audace de ses ornementations. Présence dramatique, faudrait-il ajouter, par l'incroyable projection du texte, lequel semble du coup prendre tout son sens. D'un personnage assez peu intéressant sur le plan théâtral, elle finit par faire le pilier de l'ouvrage.
Devant tant de fortes individualité vocales, l'orchestre et surtout le chœur auront finalement fait assez pâle figure. Moins dans son élément que dans les opéras italiens qui lui donnent l'occasion d'exprimer sa fougue, Maxim Emelyanychev insuffle une lecture propre mais relativement sage de la partition. Sans doute la fréquentation des grands oratorios haendéliens lui donnera dans les années à venir l'occasion de développer le subtil mélange de théâtralité et de spiritualité qui fait l'apanage de ce répertoire aux caractéristiques musicales bien spécifiques.
Crédit photographique : Joyce DiDonato © Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille
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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 24-XI-2021. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Theodora HWV 68, oratorio en trois actes sur un livret de Thomas Morell. Avec : Lisette Oropesa, soprano (Theodora) ; Joyce DiDonato, mezzo-soprano (Irene) ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contreténor (Didymus) ; Michael Spyres, ténor (Septimius) ; John Chest, basse (Valens) ; Massimo Lombardi, ténor (Le Messager). Il Pomo d’oro Choir. Il Pomo d’Oro, direction : Maxim Emelyanychev