Aujourd’hui Musiques résolument transdisciplinaire à Perpignan
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Perpignan. Festival Aujourd’hui Musiques. 14-18-XI-2021.
14-XI : Grenat : Cori féminins pluri-elles : œuvres d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, Barbara Strozzi, Édith Canat de Chizy, Betsy Jolas, Graciane Finzi. Duo Xamp : Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty ; Chœur de chambre Spirito ; direction Nicole Corti.
16-XI : Le Carré : [zaklin] Jacqueline écrits d’art brut : conception artistique Olivier Martin-Salvan ; composition musicale, Philippe Foch ; scénographie/costumes Clédat & Petitpierre ; lumière, Arno Veyrat ; traitement et spatialisation Maxime Lance ; Olivier Martin-Salvan, comédien ; Philippe Foch, musicien.
17-11 : Espace panoramique 7ème étage : Chemins vers la nuit ; Beñat Achiary, chant et percussion ; Joseba Irazoki, guitares électriques et voix.
18-XI : Fix me : danse et musique live ; conception et chorégraphie Alban Richard, musique originale et interprétation live, Arnaud Rebotini ; costumes Fanny Brouste ; dramaturgie Anne Kersting ; danseurs : Aina Alegre, Max Fossati, Clémentine Maubon, Alban Richard.
Entre musique, théâtre et danse, concerts et performances, installations sonores et déambulations sensorielles, le festival Aujourd'hui Musiques anime l'esprit du spectacle vivant.
Doté de deux salles de jauges différentes, le Grenat et Le Carré, le Théâtre de l'Archipel offre bien d'autres espaces investis durant le festival et en accès libre pour le public : Le Studio de l'Espace panoramique (7e étage) par exemple, avec cette année trois installations, visuelles et sonores : Cyclic et La Maison Sensible (scenocosme de Grégory Lasserre et Anaïs met den Ancxt) ainsi que GeKiPe, « Geste Kinect & Percussion », dispositif technologique interactif créé par les artistes de l'Ensemble Flashback de Perpignan. Toujours en accès libre et juste avant le spectacle du soir, les rendez-vous dans la Verrière d'accueil favorisent la proximité avec les artistes. Michel Deneuve y a installé durant deux jours son Cristal Baschet, revisitant des pièces du répertoire sur l'instrument de métal et de verre qu'il fait découvrir à ses auditeurs. Au violoncelle, le lendemain, alliant sensibilité et maîtrise de l'archet, Séverine Ballon joue la Suite n°3 de J.S. Bach et sa propre composition, écrite, nous dit-elle, lors du dernier confinement.
Au-delà du sens
Au Carré cette fois, et en soirée, le théâtre musical [zaklin] Jacqueline, écrits d'art brut nous bouleverse, tant par les performances du comédien Olivier Martin-Salvan et de son partenaire musicien Philippe Foch que par la force des textes, ceux d'hommes et femmes internés racontant, criant, hurlant leur souffrance (et leur vérité) hors du discours normé et de la logique narrative. Peu d'artistes encore se sont intéressés au sujet ; citons tout de même Georges Aperghis dans Wölfli Kantata. Olivier Martin-Salvan a, quant à lui, puisé dans le livre de Michel Thévoz, Écrits bruts, (1979) réunissant des textes issus de la collection d'Art Brut de Lausanne. Sur la scène, à cour, se tient une cage de fer sonorisée comme symbole fort de l'enfermement physique et psychologique. Philippe Foch y œuvre, avec nombres d'instruments de percussions et accessoires, archet frotté sur la structure de fer, plaques métalliques, gongs, phonolites, autant de matériaux à frotter, racler, entrechoquer pour suivre voire interagir avec la voix du comédien. Le son est bruiteux, qui fait mal parfois, sans résonance et traité en direct par l'ingénieur du son Maxime Lance. Colosse en robe de femme, Olivier Martin-Salvan émerge d'un amas de tissus multicolores posés à même le sol, sa richesse autant que son refuge. Habillé de plusieurs couches de vêtements, il les enlève puis en remet d'autre, tel ce collant rouge aux allures de diable pour éructer son fiel. Certaines scènes sont à haut voltage, au paroxysme du bruit, de la révolte et de la fureur. Mais la voix change lorsqu'il s'agit de Jacqueline, humaine et tendre, accompagnée de cette chanson qui nous vient des haut-parleurs. La dernière lettre est lue dans le silence : des mots aussi gouteux que poétiques qui habitent le réel avec un sens du détail et de l'énumération et nous saisissent au plus fort de l'émotion.
Électro Symphonie
Danseurs et musicien investissent la scène du Grenat pour Fix me, la nouvelle production du chorégraphe et danseur Alban Richard (actuel directeur du Centre Chorégraphique National de Caen). Assis au sein du public, dans une salle pratiquement comble, danseurs et musicien rejoignent un à un le plateau. Dans Fix Me, le corps du danseur absorbe le flux des mots – prêches d'évangélistes américaines, discours politiques, revendications de femmes entendus en voix off au début du spectacle : un corps où passe les émotions et les affects via une chorégraphie stylisée. Elle bascule hélas assez rapidement dans une improvisation/gesticulation débridée qui perd de son sens et finit par lasser. Sur le plateau, les panneaux de cartons servant d'estrades aux danseurs circulent entre leurs mains, dans une scénographie mouvante où se construit et se déconstruit inlassablement le décor. Des drapeaux noirs flottent dans la dernière partie du spectacle, métaphore du soulèvement politique dont le scénario se veut porteur. Les costumes des danseurs ne font pas rêver, le short rouge et les grandes chaussettes d'Alban Richard frisent même la laideur. Cheveux noirs gominés et profil imposant, Arnaud Rebotini (récemment primé à Cannes pour la musique du film 120 battements par minute) est au centre de ses machines, mettant à l'œuvre synthétiseurs analogiques et boites à rythme dans un flux techno qu'il a conçu comme une symphonie, en quatre mouvements. De fait, la musique ne décolle vraiment qu'au finale, rehaussée d'effets de lumière stroboscopiques et de l'inévitable machine à fumée.
Cori au féminin pluri-elles
Des voix féminines toujours – celles des compositrices – moins révoltées mais tout aussi communicatives, se font entendre dans le très beau concert mis en espace du chœur Spirito de Nicole Corti auquel s'est joint le duo Xamp, Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty, tous deux accordéonistes. Ils se font face sur la scène, jouant en alternance, lui, un prélude d'Élisabeth Jacquet de la Guerre, elle, accompagnant les ariettes de Barbara Strozzi pour voix soliste (Magali Perol-Dumora et Maeva Depollier), avec une délicatesse et un art de l'articulation qui réjouissent. Ils interprètent ensuite en duo Vega d'Édith Canat de Chizy, une pièce pour orgue qu'ils ont transcrite pour leurs instruments microtonals (accordés en quart de ton) ; tandis que la contralto Caroline Gesret descend l'escalier du Grenat en chantant De nuit, deux pièces a cappella de Betsy Jolas dont elle incarne tout à la fois la grâce et l'étrangeté. Le chœur est au complet dans Bruyères à l'automne pour douze voix a cappella de Graciane Finzi, un tube de la compositrice, aussi frais que facétieux, qui sera rejoué en bis. Plus intimiste, Amore d'Édith Canat de Chizy ne convoque que cinq voix de femmes sous la direction habitée de Nicole Corti. De la même compositrice, Paradiso, l'œuvre phare de la soirée, réunit le chœur ainsi que les deux accordéons des Xamp. Les voix y sont exploitées dans leur registre extrême, soutenues et amplifiées par les accordéons : du son fry ( émission laryngée des basses) qui débute l'œuvre aux sifflements/scintillements des aigus où se confondent les deux sources sonores. La trajectoire éblouissante est inspirée de l'œuvre de Dante et sa Divine Comédie. L'engagement des chanteurs et instrumentistes est total, alliant ferveur et concentration, énergie du son et précision du détail.
Le rituel du 7ème étage
La vue est panoramique, là où sont invités le chanteur et vocaliste basque Beñat Achiary, un habitué du festival, et son partenaire guitariste Joseba Irazoki pour deux concerts, à l'aube et au crépuscule. Les deux artistes jouent et chantent en duo depuis trois ans, rendant hommage, ce soir, au poète, chanteur et guitariste country Robbie Basho. Le répertoire croise chants de bergers, récits de guerre, ferveur amoureuse et nostalgie du passé. La voix de Beñat Achiary (74 ans) n'a rien perdu de son ampleur ni de sa virtuosité, les figures ornementales étirant jusqu'aux limites son registre de tête. La guitare (électrique ou amplifiée) prend, elle aussi, des chemins inattendus. Doublant bien souvent la voix de Beñat Achiary, Joseba Irazoki nourrit un dialogue étroit avec son partenaire en termes de recherches sonores et effets bruiteux sur ses guitares. Le volume sonore est parfois excessif, voire inapproprié à la salle mais l'énergie est tangible et la langue basque magnifiée par un chanteur qui ne cesse d'élargir son répertoire.
Crédit photographique : © Aujourd'hui Musiques
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Perpignan. Festival Aujourd’hui Musiques. 14-18-XI-2021.
14-XI : Grenat : Cori féminins pluri-elles : œuvres d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, Barbara Strozzi, Édith Canat de Chizy, Betsy Jolas, Graciane Finzi. Duo Xamp : Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty ; Chœur de chambre Spirito ; direction Nicole Corti.
16-XI : Le Carré : [zaklin] Jacqueline écrits d’art brut : conception artistique Olivier Martin-Salvan ; composition musicale, Philippe Foch ; scénographie/costumes Clédat & Petitpierre ; lumière, Arno Veyrat ; traitement et spatialisation Maxime Lance ; Olivier Martin-Salvan, comédien ; Philippe Foch, musicien.
17-11 : Espace panoramique 7ème étage : Chemins vers la nuit ; Beñat Achiary, chant et percussion ; Joseba Irazoki, guitares électriques et voix.
18-XI : Fix me : danse et musique live ; conception et chorégraphie Alban Richard, musique originale et interprétation live, Arnaud Rebotini ; costumes Fanny Brouste ; dramaturgie Anne Kersting ; danseurs : Aina Alegre, Max Fossati, Clémentine Maubon, Alban Richard.