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Château-Thierry. Palais des rencontres. 9-X-2021. Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973) : Fables – Le Bestiaire de Château -Thierry, pour baryton et orchestre ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n° 7 en la majeur op.92. Mathieu Dubroca, baryton. Orchestre de Picardie, direction : Victor Jacob
Les manifestations du 400e anniversaire de Jean de La Fontaine se poursuivent à Château-Thierry, sa ville natale, avec un concert de l'Orchestre de Picardie et la création mondiale de Claire-Mélanie Sinnhuber qui rend un hommage appuyé au fabuliste dans Le Bestiaire de Château Thierry.
Il s'agit d'une commande de l'Académie Charles Cros (siégeant à Château-Thierry) passée à la compositrice franco-suisse qui a choisi quatre fables parmi les plus connues, convoquant la mémoire collective et enfantine de chacun. Le baryton Mathieu Dubroca est au côté de l'orchestre de Picardie et du chef Victor Jacob dans un programme où s'inscrit en sus la Symphonie n° 7 de Beethoven.
Les notions d'humour, de légèreté et de jeu chez une compositrice qui a déjà écrit un opéra laissaient présager un mariage heureux avec l'esprit rusé et l'ironie cinglante du grand fabuliste. Osée, l'entrée en matière est on ne peut plus légère, sur les « la-lala-la » du baryton Mathieu Dubroca amorçant la fable du Lion amoureux ; la voix des musiciens ombre celle du chanteur/diseur dans les premières phrases du texte, entre menace du fauve (des tenues dans le médium grave des cordes et vents) et candeur de la bergère qu'illumine à deux reprises un délicieux grésillement du cor. Les allusions sont rapides et les signaux furtifs dans un orchestre très réactif qui éclaire le propos. La diction du baryton est impeccable et le timbre d'une grande ductilité, soumis aux aléas de l'écriture, entre scansion rythmique, bouffée de lyrisme et fins de phrase inattendues qui cassent la prosodie et provoquent le rire. La morale de l'histoire restera dans chacune des fables un moment de théâtre privilégié.
Plus de liberté est prise, avec Le Corbeau et le Renard, dans le traitement du texte bien connu de tous où la voix patine ou vocalise « bêtement ». Les motifs en boucle fonctionnent dans l'orchestre sur la pulsation obstinée d'une caisse claire et le bavardage impertinent de la trompette tandis que la flûte à coulisse participe de cette chorégraphie de gestes.
Tout est aquilon ou zéphir, c'est selon, dans Le chêne et le roseau. La voix de Mathieu Dubroca tangue dangereusement au sein d'un orchestre également très « venté ». Si elle accuse de grands écarts mélodiques pour sa majesté le Chêne, la voix est doublée par le hautbois railleur, exquise trouvaille pour faire chanter le Roseau. Plus spectaculaire mais non moins astucieuse est l'utilisation du tuyau harmonique qui déclenche la tempête sous le geste énergétique du baryton. La manière qu'il a d'isoler les mots avec une émission de voix « tremblée » à la fin de la fable signale une mort annoncée.
Refermant le cycle de ce « Bestiaire », La cigale et la fourmi est un opéra comique en miniature où l'humour le dispute à la verve rythmique et à la légèreté de ton : rappelons que Mathieu Dubroca fréquente assidument le répertoire de l'opérette et qu'il excelle dans cette manière virtuose de passer du parler au chanter ! Tandis que certains instrumentistes imitent les créatures ailées, la voix dérape, patine, bégaie sur les mots de la fable bien connue, sollicitant tous les registres du baryton relayé par ses partenaires musiciens. « Vous dansiez… » conduit tout l'orchestre vers les trois temps d'une valse aux échos ravéliens et le « tintinabuli » de percussions scintillantes qui retardent d'autant les derniers mots de la fourmi. Le sourire est sur les lèvres, celles du public comme des musiciens dont la finesse du jeu et l'investissement musical autant que théâtral, sous la direction exemplaire de Victor Jacob, nous ont éblouis.
Un émerveillement en appelait un autre, celui d'un Ravel (les contes de Ma Mère l'Oye par exemple), déjà évoqué dans « Le Bestiaire » de Claire-Mélanie Sinnhuber. Mais c'est Beethoven qui est à l'affiche, dont le discours autoritaire et dénué d'humour de la « Septième » tranche un peu brutalement.
De fait, le Poco sostenuto – Vivace sous la direction de Victor Jacob affirme d'autant les lignes verticales et la rhétorique du développement dans une interprétation un rien musclée et roborative. L'Allegretto célèbre est mené à bonne allure, où la synergie des pupitres opère même s'il nous manque, dans le « fugato » surtout, du détail et de l'acuité dans l'articulation des cordes. Le discours est éruptif (et les timbales somptueuses !) dans un Scherzo très enlevé, alternant avec un trio qui s'affine à chaque reprise, Beethoven faisant tourner les deux parties plus que de coutume. Éminemment investi, dans la création comme dans le répertoire, Victor Jacob fait circuler l'énergie au sein de tous les pupitres dans un finale qui emmène le discours beethovénien vers les cimes, dûment canalisé et fermement conduit.
Crédit photographique : © Omer Corlaix
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