Le Nouveau Monde de Vanessa Wagner et Wilhem Latchoumia
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Meredith Monk (née en 1936) : Ellis Island. Leonard Bernstein (1918-1990) : Danses symphoniques de West Side Story (orchestration : John Musto). Philip Glass (né en 1937) : Four Movements for Two Pianos. John Adams (né en 1947) : Hallelujah Junction. Vanessa Wagner, piano ; Wilhem Latchoumia, piano. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré en juillet 2020 à l’Arsenal de Metz. Notice trilingue (français, anglais, allemand) de 56 pages. Durée : 62:34
La Dolce VoltaLa littérature musicale pour deux pianos, souvent tributaire de transcriptions, reste assez dépourvue de chefs-d'œuvre conçus spécifiquement pour elle.
Les derniers enregistrements de Vanessa Wagner ont porté à la connaissance des mélomanes, le désir de la pianiste de compléter son répertoire classique avec des titres récents. Ceux de Wilhem Latchoumia questionnaient régulièrement musique exigeante et populaire. Puisque c'est d'Amérique qu'a soufflé un vent nouveau sur une musique contemporaine confortablement installée dans des canons quelque peu autoritaristes, c'est à l'embarquement pour un voyage américain que les deux artistes réunis convient l'auditeur. Certaine fine fleur du courant minimaliste (Monk, Glass, Adams) entoure Bernstein, ce qui est à la fois curieux (le grand chef-compositeur n'est pas classable dans ledit courant) et logique (de West Side Story à ses plus exigeantes symphonies, il voulait lui aussi parler au plus grand nombre). A l'instar de ces artistes animés par leur volonté de retrouver des auditeurs en froid avec la musique de leur temps, les deux pianistes tentent de briser une fois pour tout le malentendu entretenu autour d'une musique « à la fois accessible et exigeante, simple et complexe. »
En passagers du Mayflower d'un nouveau genre, les deux pianistes abordent avec une fluidité digitale toute marine à Ellis Island, trois minutes d'une grande fraîcheur avec lesquelles Meredith Monk semble creuser les fondations du minimalisme à naître. Entre-temps les voyageurs auront posé leur bagages dans le toujours étonnant New York de West Side Story, visité dans la lumineuse réduction que John Musto a réalisée d'après Symphonic Dances from West Side Story la suite orchestrée par Sid Ramin, Irwin Kostal et Bernstein lui-même à partir de sa partition la plus voyageuse : neuf numéros à la logique implacable (on snobe le célébrissime America !) que Wagner et Latchoumia imposent avec une sombre concentration. L'horizon se précise avec Four Movements for two pianos de Philip Glass, une pièce totalement addictive que Maki Namekawa et Dennis Russell Davies créèrent en 2008 à Essen et dont les Labèque surent saisir la galvanisante pulsation mélodique (leur ascension des deux sommets du Movement 3 est une expérience à vivre). Captés à l'Arsenal de Metz, les Steinway de Wagner et Latchoumia introduisent quant à eux du grandiose dans une œuvre qui n'attendait que cela.
Une pause s'impose à Hallelujah Junction, relais routier à la frontière du Nevada et de la Californie, que John Adams visite à chaque fois qu'il va rejoindre la « cabane » qu'il possède dans la région. Un lieu qu'on devine cher au compositeur puisqu'il en a fait le titre d'une composition de 1996 et de son autobiographie de 2008. Enchaîner les trois mouvements d'Hallelujah Junction d'Adams aux quatre de Glass n'est pas sans intérêt : la musique d'Adams, délaissant l'inspiration mélodique pour la seule technicité, s'est progressivement détachée de celle de son aîné. Une prise de distance palpable dans deux premiers mouvements auxquels s'enchaîne un troisième dont le brillant inspiré, sous contrôle de la grande virtuosité pianistique d'un duo qui a plongé en solo dans Rachmaninov, Liszt ou Prokofiev, vient momentanément démentir la frustration qui a pu s'installer après les torrents d'émotion libérés par Glass, lui aussi à belle distance aujourd'hui d'un courant dont on le dit pourtant encore « le pape ».
La démarche éditoriale consistant à renvoyer le discophile comblé aux plateformes musicales pour en goûter le bonus caché (Piano Phase de Steve Reich) apparaît en revanche bien obscure. Les 11'40 composées en 1967 par celui qui, aujourd'hui encore, est probablement le plus minimaliste des minimalistes auraient pu prendre place dans ce programme d'à peine plus d'une heure. Trop radicales, peut-être ? On recommandera néanmoins chaleureusement cet élégant livre-disque (agrémenté d'un conséquent jeu de photos célébrant la photogénie des deux artistes) qui entérine la découverte d'un Nouveau Monde.
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Meredith Monk (née en 1936) : Ellis Island. Leonard Bernstein (1918-1990) : Danses symphoniques de West Side Story (orchestration : John Musto). Philip Glass (né en 1937) : Four Movements for Two Pianos. John Adams (né en 1947) : Hallelujah Junction. Vanessa Wagner, piano ; Wilhem Latchoumia, piano. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré en juillet 2020 à l’Arsenal de Metz. Notice trilingue (français, anglais, allemand) de 56 pages. Durée : 62:34
La Dolce Volta