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Musiques savantes et musiques populaires : fin de l’histoire ?

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Ce dossier est issu de l’article « La Voie de la transversalité dans la musique contemporaine » publié en mars 2021 aux éditions L’Atelier contemporain, dans la collection Beauté (http://www.editionslateliercontemporain.net/collections/beautes/article/majeur-mineur). Pour accéder au dossier complet : Musique contemporaine et transversalité

 
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Dans le cas de l’évolution de la définition de la musique savante comme de celle de la musique populaire au XXᵉ siècle, nous avons pu observer l’importance déterminante des nouvelles technologies.

Publicité pour le premier walkman Sony en 1979

Pour écouter une sonothèque mondiale gigantesque, patiemment constituée tout au long du siècle, le geste est strictement le même, mettant toutes les musiques si diverses soient-elles sur un pied d’égalité : allumer une radio, poser un disque sur une platine, sélectionner un fichier dans un dossier ou une playlist. Jamais l’être humain n’a écouté autant de musique, et surtout autant de musiques différentes. Le résultat est double : d’une part l’action d’écoute permet une appropriation personnelle et intime d’une œuvre enregistrée, audible autant de fois qu’on le souhaite en toute situation ; d’autre part elle désacralise profondément le rapport à la musique. On entend – plus qu’on écoute – de la musique partout et tout le temps, au supermarché, dans les ascenseurs, en faisant son jogging…

La circulation des musiques sur Internet et la débauche d’informations de nos sociétés du spectacle et de la communication font exploser ce phénomène, comme une forme de zapping musical constant. Pour peu qu’il soit un peu curieux, n’importe quel auditeur pourra découvrir des heures de musiques sans aucune contrainte, chaque clic l’entraînant vers un nouveau monde sonore, de lien en lien. Si cette ivresse de liberté et de connaissance peut vite susciter le vertige face au monstre d’informations décontextualisées, dénaturées et livrées sans décodage ni guide au profit d’une pure consommation passive, elle contribue sur le plan de la création à favoriser les inspirations, les métissages, les hybridations et les interpénétrations entre les différentes familles.

Il n’est pas étonnant qu’avec le développement de la télévision, puis d’Internet depuis la fin des années 90, la transversalité dans la création musicale s’intensifie, ouvrant de nouveaux champs de possibles. L’enregistrement, comme le montage filmographique, favorisent par essence la citation, le collage, la juxtaposition, le croisement et la fusion. La sonothèque mondiale suscite d’elle-même ces procédés en même temps qu’elle les enrichit de manière exponentielle en inspirant de nouvelles couleurs, voire de nouveaux langages.

Le 11 novembre 1989, deux jours après la chute du Mur de Berlin

Un autre phénomène, historique celui-ci, favorise encore ce processus au début des années 90. L’effondrement de l’empire soviétique signe la fin d’une lecture bipolaire du monde, qui entraîne de nombreuses remises en question. Pour un temps, certains croient que l’ensemble de la planète va se stabiliser sous l’égide d’un ordre mondial démocratique et libéral, comme Francis Fukuyama, qui annonce en 1989 avec un optimisme tonitruant la fin de l’histoire, estimant que « le triomphe de l’Occident, ou de l’idée occidentale, éclate d’abord dans le fait que tout système viable qui puisse se substituer au libéralisme occidental a été totalement discrédité. »1 Les dernières utopies du XXᵉ siècle s’effondrent, et rien ne semble effectivement pouvoir arrêter le capitalisme triomphant sous son visage ultralibéral, qui signe la fin de l’État-providence.

Une mondialisation économique galopante se met en place, après des décennies d’isolationnisme dus aux guerres mondiales et aux tensions internationales. Les frontières s’ouvrent et le marché mondial explose. L’american way of life semble ne plus avoir aucune barrière pour s’imposer au reste du monde. Comme en miroir, la fonction prospective des musiques savantes et l’idée du créateur-démiurge semblent alors se mettre en berne. Plus aucun compositeur n’ose revendiquer la découverte de nouvelles grammaires pour le futur2. Comment rêver d’un autre futur (même musical), quand tout semble se figer ? Les compositeurs se réclament d’un style hybride, butinant à droite et à gauche diverses influences pour composer, que ce soit dans le cadre d’une recherche archéologique dans l’histoire de la musique, verticale3 ; ou en périphérie dans l’ensemble des musiques qui les entoure, inspiration horizontale, musiques du monde, jazz, rock, dance, rap ou techno.

Si de nouvelles luttes anticapitalistes se déploient dans les décennies suivantes (altermondialisme, occupations, ZAD, black blocs, mouvements des indignés etc.), le constat de l’anthropocène4, l’observation de la sixième période d’extinction planétaire massive des espèces en cours5 puis l’annonce de l’effondrement imminent de nos sociétés industrielles6, établissant la finitude de notre monde, renforcent cette attitude. Pour la première fois depuis le siècle des Lumières, le futur semble plus sombre que le présent, et cette projection impossible vers un avenir radieux rend les frontières esthétiques du présent poreuses, à l’image des frontières commerciales.

1 Francis Fukuyama, « La Fin de l’histoire » in Commentaire, 47, 1989/3, p. 458. Suite à la chute de l’URSS, Fukuyama publie La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992.

2 Au XIXe siècle, la théorie du génie avait rendu les compositeurs conscients d’une forte valeur esthétique de leur art, investis d’une mission pour l’humanité.

3 Ainsi, Krzysztof Penderecki affirmant en 1994 que « nous sommes arrivés au point où le geste le plus créateur consiste à rouvrir la porte qui est derrière nous » (Célestin Deliège, 50 ans de modernité musicale. De Darmstadt à l’IRCAM, Wavre, Mardaga, 2003, rééd. 2011, p. 568).

4 Nouvelle ère géologique qui succède à l’holocène et est entièrement due à l’activité industrielle de l’Homme depuis la fin du XVIIIe siècle, voire pour certains depuis le néolithique, lors de la découverte du feu, de l’invention de l’agriculture ou de la colonisation du continent américain. Cette hypothèse est formulée en 1995 par le météorologue néerlandais Paul Crutzen et le biologiste américain Eugene F. Stoermer.

5 Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich, Anthony D. Barnosky, Andrés García, Robert M. Pringle & Todd M. Palmer, « Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction » in Science Advance, Vol. 1, n°5, 19 juin 2015.

6 La collapsologie, science interdisciplinaire qui étudie ce phénomène qu’elle annonce comme inéluctable et très prochain, apparaît pour la première fois dans l’ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, avril 2015.

Crédits photographiques : Publicité Sony © Sony ; Photo 11 novembre 1989 – Berlin, Allemagne. Des gardes frontière de l’Est détruisent un bloc du Mur afin de créer un passage au niveau de Potsdamer Platz, entre les parties est et ouest de la ville.© AFP / Gérard Malie

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Ce dossier est issu de l’article « La Voie de la transversalité dans la musique contemporaine » publié en mars 2021 aux éditions L’Atelier contemporain, dans la collection Beauté (http://www.editionslateliercontemporain.net/collections/beautes/article/majeur-mineur). Pour accéder au dossier complet : Musique contemporaine et transversalité

 
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