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Paris. Opéra Comique. 6-VI-2021. Claudio Monteverdi (1567-1643) : L’Orfeo, favola in musica sur un livret d’Alessandro Striggio. Mise en scène : Pauline Bayle. Décors : Emmanuel Clolus. Costumes : Bernadette Villard. Avec : Marc Mauillon (baryton), Orfeo ; Luciana Mancini (mezzo-soprano), La Musica/Euridice ; Sara Mingardo (alto), Messaggiera ; Lise Viricel (soprano), Ninfa ; Marianne Beate Kielland (mezzo-soprano), Speranza/Proserpina ; Salvo Vitale (basse), Caronte/Plutone ; Furio Zanasi (baryton), Apollo ; Victor Sordo Vicente (ténor), Pastore I/Spirito II. Gabriel Diaz (contre-ténor), Pastore II/Spirito IV ; Alessandro Giangrande (contre-ténor), Pastore III/Spirito I/Eco ; Yannis François (baryton-basse), Pastore IV/ Spirito III ; Yannick Bosc, Xavier Perez, danseurs. Chœur (chef de chœur : Lluis Vilamajo) La Capella Reial de Catalunya. Le Concert des Nations, direction musicale : Jordi Savall
Pas davantage que pour l'ouverture de sa saison 2020/2021, l'Opéra Comique n'aura eu, pour sa ré-ouverture, la main heureuse en ce qui concerne le choix de ses metteurs en scène. En revanche, comme pour Hippolyte et Aricie, la partie musicale est un luxueux lot de consolation, ici confiée à Jordi Savall pour ce nouvel Orfeo.
Est-il, de mémoire de mélomane, timbre plus adapté au rôle d'Orfeo que celui baryténorisant de Marc Mauillon ? Depuis Eric Tappy, et quelle que fût l'excellence de tous les titulaires qui ont succédé au grand ténor suisse, c'est le chanteur français qui est en train de s'inscrire naturellement comme l'interprète le plus fascinant du premier grand rôle de l'histoire de l'opéra. De son entrée gracieuse de dos à sa sortie radieuse de face, Marc Mauillon, un des rares chanteurs à pouvoir hypnotiser un public avec un programme en solo a cappella, illumine une matinée que l'Opéra Comique a souhaitée ouverte aux personnes en situation de handicap et dont les exclamations enflammées, inédites dans le monde codé du lyrique, offrent un troublant écho aux états d'âme du héros. À l'Acte I , Rosa del ciel place d'emblée l'oreille du spectateur à une hauteur de vue imprenable. Au II, un Ohimè à peine audible dit toute la dévastation du deuil à accomplir. Au III, un étonnant crescendo de véristes Rendetemi il mio ben montre le chanteur tenté de tester les limites de sa zone de confort. Du V, dramatiquement souvent en retrait de ce qui a précédé, le chanteur, prostré comme un fœtus, fait un ex-voto de douleur qui l'apparente aux derniers instants de la Didon de Berlioz. Rocker noir à Dijon en 2016, gourou blanc à Paris en 2021, Marc Mauillon est Orfeo.
Ce troisième Orfeo (il y eut aussi Copenhague en 2020) pour Marc Mauillon est aussi le troisième (Barcelone 1993, 2002) pour Jordi Savall. La rencontre des deux hommes dans cette œuvre semblait écrite, habités l'un et l'autre comme ils respirent par la partition, donnée ici sans entracte. Le Concert des Nations, très près du texte (in suo cammin s'arresti de La Musica), avec le lumineux compagnonnage de La Capella Reial de Catalunya, en réinvente une nouvelle fois les lignes, parvenant à reproduire, dans la belle acoustique de l'Opéra Comique, la plénitude sonore qui est la marque de fabrique des enregistrements du célèbre ensemble que le maître catalan fonda en 1989 avec Montserrat Figueras.
Jordi Savall dit ne pouvoir se passer de Sara Mingardo, qu'il ré-invite une nouvelle fois en Messagère de grand luxe. On retrouve en Speranza et Proserpina sa Juditha vivaldienne, l'altière Marianne Beate Kielland et, dans l'Arcadie rêvée du livret, toute une confrérie bien chantante du sein de laquelle se détachent le Berger de Victor Sordo Vicente, la Ninfa précise de Lise Viricel. Salvo Vitale fait très bien le « sale boulot » de Caronte et Pluton. Seul Furio Zanasi, ex-Orfeo discographique de Savall, cette fois émouvant passeur de relais, semble manquer du rayonnement nécessaire à Apollo. Luciana Mancini ouvre et clôt, avec un timbre moins immatériel qu'il n'est d'usage, un spectacle à elle dédiée, un spectacle qui semble professer à l'envi le credo de moult amateurs d'opéra : Prima la musica.
Les bras des autres en tombent assez vite devant le manque d'ambition visuelle de Pauline Bayle qui, pour sa première mise en scène d'opéra, au motif spécieux que « tout s'est joué, en 1607, dans un salon avec deux tapisseries », se réfugie dans la seule musique, condamnant le regard de son spectateur à errer sur un plateau entièrement nu, dans l'attente d'une vision qui n'adviendra jamais. On sait ce dont un Carsen est capable sur un plateau vide, et précisément dans l'Orfeo (Lausanne 2006). La direction d'acteurs, complétée de trois valeureux danseurs, pour fluide qu'elle soit, voit la sympathie céder devant l'agacement (après un I et un II où les saluts entre bons-copains-qui-ne-se-sont-pas-vus-depuis-longtemps servent de dramaturgie, on n'en peut plus de voir le chœur reprendre le cours des bisous et des bonjours sur la Moresca finale). Un champ de fleurs rouges posé scolairement au I (la comparaison avec celui planté par Carsen dans ses Boréades – Paris 2003 – est cruelle), un noir d'encre pour le III, une indiscernable futaie au IV, et une porte qui s'ouvre enfin en fond de scène pour le V. Des costumes gracieux pour les femmes semblent se moquer de ceux des hommes « punis » (Orfeo comme les autres) par la coupe droite de pantalons peu seyants. Quelques belles images cependant : une robe qui choit des cintres, une fine pluie de cendres, un cerbère tricéphale dansé surgi du néant, le couple revenant des Enfers, une couronne mortuaire de fleurs rouges au sol autour du héros malheureux, et surtout l'ultime qui inscrit sur la rétine le dernier mot donné à La Musica, dont la robe rouge tache en solitaire l'encre noire du plateau. Et, partant, peut-être une seule bonne idée : Euridice étant incarnée par la même chanteuse que La Musica, Orfeo ne part-il pas à la recherche de la Musique plutôt que de sa femme décédée ? C'est peu. Trop peu. Surtout pour un lieu aussi chargé d'histoire.
Crédits photographiques © Stefan Brion
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Paris. Opéra Comique. 6-VI-2021. Claudio Monteverdi (1567-1643) : L’Orfeo, favola in musica sur un livret d’Alessandro Striggio. Mise en scène : Pauline Bayle. Décors : Emmanuel Clolus. Costumes : Bernadette Villard. Avec : Marc Mauillon (baryton), Orfeo ; Luciana Mancini (mezzo-soprano), La Musica/Euridice ; Sara Mingardo (alto), Messaggiera ; Lise Viricel (soprano), Ninfa ; Marianne Beate Kielland (mezzo-soprano), Speranza/Proserpina ; Salvo Vitale (basse), Caronte/Plutone ; Furio Zanasi (baryton), Apollo ; Victor Sordo Vicente (ténor), Pastore I/Spirito II. Gabriel Diaz (contre-ténor), Pastore II/Spirito IV ; Alessandro Giangrande (contre-ténor), Pastore III/Spirito I/Eco ; Yannis François (baryton-basse), Pastore IV/ Spirito III ; Yannick Bosc, Xavier Perez, danseurs. Chœur (chef de chœur : Lluis Vilamajo) La Capella Reial de Catalunya. Le Concert des Nations, direction musicale : Jordi Savall