Jonathan Fournel, pianiste Premier Prix du Concours Reine Élisabeth
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Jonathan Fournel vient d'obtenir le Premier Prix du Concours Reine Élisabeth. Âgé de 27 ans, le jeune pianiste français nous a offert une demi-finale et une finale très consistantes et construites, avec en apothéose un Concerto n° 2 de Brahms empli d'une poésie toute personnelle et d'une belle énergie. L'esprit vif, pétillant et naturel, le premier lauréat, qui réalisait doucement sa victoire toute fraîche, nous a accordé une interview empreinte de bonne humeur.
ResMusica : Félicitations à vous Jonathan Fournel. Pourquoi êtes- vous devenu pianiste ? Il semble que vous ayez envisagé un temps le trombone…
Jonathan Fournel : C'est ce que je voulais faire au tout début car j'étais plus attiré par les cuivres, par les instruments qui étaient plus présents dans l'orchestre, que par le piano. J'ai écouté le jazz band du conservatoire où mon père enseignait à Sarreguemines dans l'Est de la France. Je trouvais « le truc à coulisses » assez amusant !
J'ai découvert et apprécié la musique pour piano un peu plus tard. Je ne peux pas vous dire précisément quand… Peut- être entre treize et quinze ans… Je l'ai fait de moi-même en découvrant des enregistrements de pianistes du XXᵉ siècle que mon père m'avait achetés, comme ceux de György Cziffra ou de Vladimir Horowitz et bien d'autres. J'ai entendu, sur ces CD, des œuvres que je découvrais ; je me suis dis : « mais ça, j'adore ! ». C'est ainsi que je me suis nourri étape par étape de plus en plus d'œuvres que j'aimais bien et que surtout j'avais envie de travailler pour être capable de les jouer… Ce qui fait que j'étais assez éparpillé : je faisais de tout et en même temps rien ! (rires) Mais c'est comme ça que j'ai plongé dans le piano à partir d'un certain moment.
ResMusica : Vous avez déjà une belle carrière de soliste et vous avez remporté plusieurs prix. Qu'est-ce qui vous a décidé à présenter une candidature au Concours Reine Élisabeth ?
JF : Je me suis demandé pendant longtemps si je voulais faire d'autres concours après les deux autres prix que j'avais remportés *. Mais avec l'âge, je n'arrivais pas à trouver la motivation de me remettre encore au travail pour présenter un concours. Et puis le concours Reine Élisabeth est réputé : le courage me manquait un peu… En étant à la Chapelle, on nous incite à y participer ; c'est de cette manière que j'ai fini par envoyer ma candidature. Toute la préparation du concours a été un moment extrêmement intense pendant des mois, et même, on peut le dire à présent, pendant deux ans [ndlr : l'édition piano a été reportée de 2020 à 2021 en raison de l'épidémie de SARS-Cov-2]. J'ai appris énormément de choses musicalement et structurellement sur les œuvres grâce à ce travail, et rien que pour cela, je suis content d'avoir participé au concours.
ResMusica : Est-ce que finalement une routine s'est mise en place ?
JF : Lorsque j'ai décidé de participer au Concours, j'avais décidé d'y aller à fond et de me préparer bien plus à l'avance que ce que j'avais fait auparavant, ne fut-ce que pour le DVD que l'on devait normalement envoyer pour le mois de décembre 2019. J'avais essayé de tout faire pour le finaliser dès le mois de juin ; je me disais que si ce n'était pas assez bien, j'aurais le temps de le refaire. Ça arrive souvent même pour des concours : on fait cela une semaine avant et on se dit qu'il ne reste plus beaucoup de temps et que ce n'est peut-être pas encore assez bien mais que l'on n'a plus de temps pour prévoir une autre séance etc…
J'avais préparé deux DVD pour plusieurs concours : le concours de Sydney, le Concours Chopin et puis le Concours Reine Élisabeth. La chance m'a souri : j'ai été sélectionné aux trois concours ! Mais tout devait se passer l'année dernière… Donc, cette année, j'ai du annuler Sydney car je me suis dit que si je me concentrais sur quelque chose, ce serait vraiment sur le Concours Reine Élisabeth.
ResMusica : Mais une fois entré dans le Concours Reine Élisabeth – car c'est tout de même une année spéciale avec, on en a parlé, un dispositif particulier – on a eu l'impression d'assister à un concert, pas à une simple épreuve de concours. L'avez-vous ressenti de la même manière ?
JF : Je pense que, s'il y avait eu du public, cela aurait été encore différent, peut-être plus magique ! Mais bon, malheureusement, il n'y a pas de public dans les salles depuis un moment. Que ce soit à la Chapelle ou aux festivals, depuis un an, ils ont commencé à organiser des concerts en ligne ou enregistrés : ça a été une bonne préparation car je n'avais pas l'habitude de jouer devant une caméra en me disant » oui, il faut essayer de se donner à fond. Il n'y a personne, mais il faut au moins faire cet effort devant la caméra « . Bon…
Mais ça a été un vrai sujet de conversation avec des amis. Chaque fois que l'on devait se préparer, on se disait que l'on avait presque besoin de ce stress de jouer devant les gens, de les ressentir sur scène : les gens qui respirent, quelqu'un qui va bailler parce qu'il trouve ça très embêtant… On ressent ce qu'ils ressentent ! Et là, de ne rien avoir, ce silence… Il me fallait presque faire semblant qu'il y avait du public, mais ce n'est pas quelque chose pour lequel je suis forcément très bon. J'ai essayé de faire le maximum de ce que je pouvais dans les conditions données. Et étant donné que c'était organisé comme cela, on savait comment cela allait se dérouler ; on ne pouvait rien y faire.
ResMusica : Avec l'orchestre, comment cela s'est-il passé ? Sur scène, les musiciens étaient plus espacés, on voyait par exemple que le travail était peut-être plus compliqué pour le premier violon par exemple pour transmettre les messages…
JF : Avec Frank Braley, on avait déjà joué ensemble lorsqu'il dirigeait et en deux pianos avec orchestre, un concert organisé par la Chapelle, ainsi que les concertos de Bach il y a quelques années avec l'orchestre de Wallonie. Et puis, à cause du Covid-19, Louis Lortie n'a pas pu venir à la Chapelle aussi souvent qu'il le voulait donc pas mal de cours se sont ajoutés avec Frank Braley. J'ai pu donc profiter de ses conseils pendant ces derniers mois ; on s'est presque liés d'amitié. Frank m'a permis de débloquer pas mal de choses dans ma tête. Il m'a donné de nouvelles choses sur lesquelles réfléchir.
ResMusica : Et pour composer vos programmes, comment cela s'est-il passé ?
JF : Composer les programmes, ça a été assez rapide. Parce que je voulais choisir vraiment les œuvres que je connaissais le mieux et que j'avais eu l'occasion de jouer plusieurs fois en concert, en me donnant parfois la possibilité de jouer une œuvre que je connaissais moins pour avoir peut-être quelque chose en plus. Mais sinon, j'étais plutôt assez décidé depuis longtemps sur le fait que ce serait ce programme.
ResMusica : Vous avez une passion pour Brahms. Est-ce que vous pouvez nous parler du lien qui vous uni à ce compositeur ?
JF : Oui, en ce moment…. c'est mon compositeur préféré. J'ai commencé à travailler ce concerto très très jeune, quand j'étais au Conservatoire de Paris en première année, dans la classe de Bruno Rigutto. J'avais joué le premier mouvement pour une audition. Ça a toujours été le concerto que j'avais en chantier pour en apprendre toutes les subtilités. Les éléments techniques, apprendre à poser les mains, etc…
De même pour les variations Haendel. C'est aussi une œuvre que j'avais appris il y a très longtemps sur les conseils de Gisèle Magnan qui m'avait préparé pour le Conservatoire de Paris et pour les autres concours quand j'avais 19 et 20 ans. Elle a toujours été très présente. En tant que pianiste, elle avait beaucoup travaillé en détails les variations Haendel. C'est elle qui m'a pratiquement formé techniquement, musicalement, positions de la main et tout ce que l'on veut. C'était presque une évidence de jouer le Concerto n° 2 de Brahms et de jouer les variations Haendel parce que c'étaient des pièces que je n'avais pas forcément jouées bien quand j'étais plus jeune, mais pour lesquelles j'étais sûr d'avoir les bonnes clés pour aller plus loin.
ResMusica : C'est toujours un mystère de constater cette capacité d'adaptation des pianistes à un instrument différent. Est-ce que pour vous, ça se passe bien et est-ce qu'il y a un piano que vous affectionnez dans le monde, dans ceux que vous avez rencontrés ?
JF : Il y a un piano sur lequel j'ai beaucoup aimé joué il n'y pas très longtemps. Au mois de février, j'ai enregistré mon premier disque avec la Troisième sonate de Brahms et les Variations Haendel. C'était à La Chaux-de- Fonds en Suisse et il y avait un piano Steinway magnifique. Pour ce qui est de s'adapter au piano, on fait simplement avec ! De temps en temps, il y a des pianos qui vont être meilleurs que d'autres ; on voit de tout. Je n'ai pas de marque préférée car cela dépend toujours de celui qui s'en occupe : certains sont capables de faire des miracles avec des instruments qui ne sont pas forcément extrêmement intéressants ; ça peut tout aussi bien être un Steinway qu'un Fazioli.
ResMusica: On vit une période compliquée pour les artistes et les musiciens. Qu'est-ce que vous diriez à un jeune qui finit ses études ou qui va débuter sa carrière ou encore qui pense présenter des concours ?
JF : S'il veut se lancer dans un concours ou une carrière, il faut qu'il sache vraiment si c'est ce qu'il veut faire et ne pas le faire malgré lui. « Est-ce que je vais être heureux en le faisant », c'est surtout ça le plus important. Et non pas se dire qu'il faut à tout prix devenir soliste ou devenir pianiste international parce que c'est peut-être ce que certains attendent de nous. Si le professorat intéresse beaucoup un jeune mais qu'on lui dit que c'est moins prestigieux, qu'il le fasse malgré tout. Pour chacun, c'est différent.
ResMusica : Vous disiez avant cet entretien que votre vie allait justement prendre un nouveau tournant à partir d'aujourd'hui…
JF : Et bien oui ! Je ne sais pas exactement à quoi cela va ressembler mais oui, j'ai l'impression de me réveiller aujourd'hui dans un autre corps.