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La bataille de Tannhaüser : le guet-apens

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Le récit haut en couleur de la première représentation de Tannhaüser à Paris est un épisode de la petite histoire du XIXe siècle, révélateur de mentalités et parmi les prémices des mésententes politiques répandues en Europe. Il prépare aussi l’avènement d’un renouveau artistique que d’abord Wagner assurera par la suite avec Tristan, Parsifal et L’Anneau du Nieblung à Bayreuth, ainsi que « la musique de l’avenir » qui verra le jour au XXe siècle avec Debussy, Ravel et Stravinsky. Pour accéder au dossier complet : La Bataille de Tannhaüser

 
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Vers le milieu du mois de mars 1860, c’est grâce à ses relations avec les milieux diplomatiques que Napoléon III donne l’ordre de monter Tannhaüser à l’opéra, et d’accorder au maître allemand toutes les facilités pour qu’il puisse exécuter son œuvre comme il le désire.


Napoléon III, aurait sans doute préféré voir une nouvelle production de Monsieur Offenbach, mais cédant aux instances des dames de la Cour, il ne voit pas la tournure ambiguë de la situation : pour l’aristocratie française légitimiste, tenue jusque là à l’intérieur des limites du pouvoir autoritaire du régime, Wagner représente le modèle révolutionnaire quarante-huitard sans nuances (les théories sur l’art sont le dernier de leurs soucis) qui doit agréer l’approbation de ce Bonaparte bis, contre la monarchie traditionnelle. Pour les Républicains, Wagner a trahi cette révolution pour plaire à « l’usurpateur » qu’est Napoléon III. Vers 1860, l’empereur est tenté par un relâchement libéral et les deux camps s’affrontent pour et contre les décisions impériales. Dans le cas de Wagner, Napoléon III n’y voit qu’une querelle artistique, mais ses opposants vont profiter de l’occasion pour exprimer leur mécontentement politique.

Wagner, de son côté, se lance dans l’élaboration des détails matériels et artistiques pour présenter son Tannhaüser au public parisien. Mais le degré de sérieux inhérent à l’œuvre explique pourquoi le compositeur réagit violemment contre les modifications scéniques qui lui sont imposées par l’administration de l’opéra. Car Tannhaüser est avant tout un drame métaphysique décrivant explicitement la lutte entre le Bien et le Mal, entre l’esprit et la chair.

En réparation pour son péché, le protagoniste fait un pèlerinage à Rome où le pape lui refuse le pardon : « Nul homme ayant séjourné au Venusberg ne sera pardonné, pas plus que le bois de ma crosse d’évêque ne fleurira. » A ces mots, Tannhaüser s’effondre et meurt plus tard dans les bras de son ami Wolfram. Sa faute est rachetée à la fin par sainte Elisabeth, la femme rédemptrice de l’homme.

On comprend alors l’indignation de Wagner quand Monsieur Alphonse Royer, directeur de l’opéra, lui demande de se conformer aux habitudes des abonnés de la maison : certains des membres les plus influents du Jockey Club, porteurs de grands noms de l’aristocratie française, par ailleurs monarchistes, ont pour coutume d’arriver en retard au spectacle, généralement au début du deuxième acte, auquel moment ils désirent voir danser leurs maîtresses dans le corps de ballet. Il est donc indispensable d’y insérer une musique quelconque pour faire tourner ces dames en tutu blanc.

Au début, bien sûr, Wagner refuse toute idée de ballet. Mais à la réflexion, il consent à remanier le texte et la musique du début de l’Acte I. Cette nouvelle version, dite « Parisienne » comportant une Bacchanale, est achevée en janvier 1861, alors que les répétitions d’orchestre, de chœurs et de chanteurs solistes s’éternisent déjà depuis septembre 1860. Monsieur Royer rappelle Wagner à la raison : c’est au deuxième acte que l’on attend le ballet obligé. Mais persuadé du soutien infaillible de sa Majesté impériale, Wagner refuse catégoriquement tout compromis. En plaidant sa défense avec ce qui semble être une naïveté authentique, Wagner évoque le principe d’intégrité artistique. Il ne se doute pas des machinations politiques qui se trament contre lui. Dans le camp adverse, l’occasion était trop belle pour frapper la princesse de Metternich et son protégé musicien, ancien révolutionnaire un peu trop bien accueilli à la Cour de Napoléon III, ainsi que les partisans républicains. L’empereur jouait-il double jeu ?

Entre septembre 1860 et mars 1861, Wagner subit tous les tracas possibles, même de contracter la fièvre typhoïde qui interrompt pendant un mois le cours des répétitions. Des problèmes surgissent avec les chanteurs. Le ténor Albert Niemann venu de Hanovre pour le rôle titre, ne cesse de harceler le compositeur pour qu’il modifie des passages trop difficiles pour lui, surtout dans la nouvelle version. Wagner doit accepter des coupures. Avec le chorégraphe, Monsieur Petitpa, il est obligé de consentir aux mouvements et gestes conventionnels régissant l’art du ballet à l’époque, ce qui fait ressembler le Venusberg davantage à un salon parisien qu’à un lieu hors du monde baigné de symbolisme voluptueux. Le musicien bouleverse les habitudes des gens du métier pour obtenir des effets scéniques jamais vus. L’orchestre suit pas à pas les instructions du maître qui les conduit à travers la nouveauté de la musique wagnérienne. Et puisque le règlement de la maison stipule que tout doit être chanté en français, Wagner se bat avec les traducteurs, les administrateurs et même ses amis qui le tannent pour avoir des billets.

Enfin, le 13 mars 1861, après 164 répétitions, dont les 3 dernières sont catastrophiques, la nouvelle version parisienne de Tannhaüser est créée au Grand Opéra impérial. On impose à Wagner le chef Pierre Dietsch, celui qui avait composé 20 ans auparavant la musique insignifiante du Vaisseau fantôme, acheté à un prix de misère à un Wagner crève-la-faim. Chef réputé incompétent, on apprend même qu’il dirige l’orchestre en suivant la partie du premier violon, car il ne sait pas lire une partition d’orchestre. Wagner fait appel au Ministre d’Etat, le Comte Walewski, qui lui fait savoir que « c’est la règle en France ». Hans von Bülow écrit à un ami en Allemagne, « Wagner ne dirigera pas – usus tyrannus. »

Pourtant, Wagner tient en haute estime les musiciens français qu’il congratule souvent pour leur compréhension, leur intelligence et leur lecture de la musique ; mais sous la baguette de Dietsch, c’est une véritable confusion dans les tempi, les phrasés, à tel point qu’aux dernières répétitions, Wagner essaie de diriger depuis la scène, en même temps que Dietsch dans la fosse.

La veille du 13 mars, Wagner, découragé, est sur le point de retirer son œuvre. Il en fait appel à l’empereur, mais le Ministre d’État lui fait savoir que c’est impossible. Par avance, il fait le bilan du fiasco à venir : les chanteurs laissent à désirer, ce qui plaisait à un public allemand n’aurait pas le même effet sur des Français, l’absence d’un ballet régulier au deuxième acte pour les Messieurs du Jockey Club, et enfin, le pire de tout – Wagner refuse d’engager la claque officielle des grands jours de l’Opéra qui ira offrir ses services à ses adversaires. Wagner se dispute avec tout le monde et la presse le proclame arrogant.

Si ces circonstances ne s’étaient pas coalisées contre lui, le soir de la première aurait dû être un triomphe. La Cour Impériale est présente au grand complet pour imposer quelque décence à ces chenapans d’aristocrates (les Jockeys) et leurs complices, les « vendus » de la presse qui prétendent ruiner l’entreprise. Cependant, l’ouverture résonne et la première scène se déroule sans encombre jusqu’à la scène où paraît le petit pâtre dans la verdoyante prairie de Thuringe. Les membres du Jockey Club se déchaînent alors et s’efforcent par leurs sifflements, leurs hurlements et leurs cris d’animaux d’empêcher la fin de l’acte 1.

Crédits photographiques : « Tannhäuser sur la montagne de Vénus », gravure sur bois, v. 1895, d’ap. peinture de Friedrich Stahl (1863–1940) © Sammlung Archiv für Kunst und Geschichte.

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