Olivier Greif, ce nouveau classique au Festival de Pâques de Deauville
Plus de détails
Deauville. Salle Elie de Brignac-Arqana. 1-V-2021. Gustav Mahler (1860-1911) : Rückert-Lieder pour voix et orchestre (1905), arrangement pour ensemble de chambre d’Eberhard Kloke. Olivier Greif (1950-2000) : Symphonie pour baryton et orchestre (1997) ; Quadruple concerto « Danse des morts » pour piano, violon, alto, violoncelle et orchestre (1998). Franz Schubert (1797-1828) : Memnon pour voix et orchestre D. 541 (orch. Johannes Brahms) ; Ständchen (Schwanengesang) pour voix et orchestre D. 957 (orch. Jacques Offenbach) ; Erlkönig pour voix et orchestre D. 328 opus 1 (orch. Max Reger). Edwin Fardini, baryton ; Pierre Fouchenneret, violon ; Lise Berthaud, alto ; Yan Levionnois, violoncelle ; Philippe Hattat, piano ; Ensemble La Fresque, ensemble L’Atelier de Musique, direction : Pierre Dumoussaud
Concert sans public, diffusé en direct depuis le site internet du festival
Du baryton Edwin Fardini au chef Pierre Dumoussaud en passant par le déjà plus aguerri Philippe Hattat et les jeunes chambristes de L'Atelier de musique, c'est une nouvelle génération qui s'approprie Olivier Greif aussi naturellement que Schubert ou Mahler également au programme.
Alors que la reprise des concerts avec public (et jauge limitée) est désormais annoncée en France à partir du 19 mai, la 25e édition du Festival de Pâques de Deauville peut se tenir et rencontrer son public grâce à la diffusion en direct de tous les concerts, et avec la possibilité de les visionner gratuitement pendant deux semaines. Contrairement à d'autres retransmissions, le Festival de Deauville propose, lui, un vrai direct. Il y ajoute de très bienvenues présentations – sobres et pédagogiques – et entretiens d'artistes. Avec en plus, pour le concert du 1er mai, la promesse d'une double première discographique d'œuvres d'importance d'Olivier Greif, sa Symphonie (1997) et son Quadruple concerto (1998).
Du Roi des Aulnes de Schubert au Quadruple concerto « Danse des morts » en passant par la Symphonie dont Olivier Greif considérait qu'elle était l'œuvre la plus sombre qu'il ait jamais écrite, et sans oublier les Rückert Lieder de Mahler dont le dernier Ich bin der Welt abhanden gekommen (« Je suis perdu pour le monde ») n'est pas des plus primesautiers, le programme se présentait sous des auspices funèbres. Pourtant, le résultat sera autrement, comment dire, réjouissant. Est-ce en raison de la chaleur caressante du timbre d'Edwin Fardini, la direction souple et vive de Pierre Dumoussaud, ou la subtilité des couleurs de l'Atelier de Musique (le pupitre des vents !) ? Ou est-ce la jeunesse de tous ces musiciens et leur joie de se retrouver ? Sans doute tout cela réuni.
Saluons tout d'abord la prestation remarquable d'Edwin Fardini, lauréat du dernier Concours Voix des Outre-Mer, et cela sans même prendre en compte qu'il n'a eu qu'une semaine pour se préparer en remplacement de Thomas Stimmel. Dès le Memnon qui ouvre le concert, on est frappé par la richesse de ce timbre, la prestance charismatique du baryton, la clarté de la diction, des qualités que l'on retrouvera sur tout le copieux programme de la soirée. On retiendra le Roi des Aulnes où les trois personnages de l'enfant, du père et de la mort enjôleuse sont caractérisés avec justesse et sans forcer le trait, le dernier des Rückert Lieder – « Ich bin der Welt abhanden gekommen » – où il retrouve une densité d'expression qui manquait aux autres (l'idée très étrange d'intervertir les deux premiers Lieder nous a paru rendre plus difficile pour le chanteur la plongée émotionnelle dans ce cycle), et surtout la Symphonie d'Olivier Greif. Dans cette musique composée en seulement quinze jours sur cinq poèmes de Paul Celan (mort à 50 ans, comme Greif), tout est ombre et (un peu de) lumière. Dans la Mandorla introductive, nul besoin de connaître les paroles pour comprendre que la mort est en question. Au terme de ce voyage de 20 minutes, l'ondulation finale de la musique est-elle rigide et implacable, ou est-elle un bercement porteur de paix et d'accomplissement ? Tout l'art des musiciens, chanteur et chef, est de réussir à entretenir cette ambiguïté. Edwin Fardini envoûte par son timbre et l'apparente simplicité de son interprétation. Aussi jeune soit-il, 26 ans, il ne pose pas, et c'est ainsi qu'il s'impose, avec évidence.
La dernière pièce de la soirée, le Quadruple Concerto « Danse des morts » (1998) d'Olivier Greif a une résonance toute particulière car la pièce est dédiée à son directeur Yves Petit de Voize. Il s'agit d'un véritable morceau de bravoure de 22 minutes, qui à la manière du compositeur fait se télescoper la forme baroque du concerto grosso, la peur médiévale de la mort subite et inattendue sanctionnée par le Dies Irae et la tension d'écriture propre au XXᵉ siècle. Si ce concerto fait partie des partitions les plus jouées de Greif, il n'a curieusement pas encore été enregistré au disque, hormis la captation vidéo de Marc Minkowski avec le Sinfonia Varsovia en 2008 disponible dans le coffret de DVD Les incontournables d'Olivier Greif (Timpani). Les musiciens sont en transe dans le Dies Irae final, diabolique tarentelle, et c'est là encore toute l'ambivalence de cette musique, entre la vie et la mort. Le sourire du chef, en nage en train de cravacher ses troupes, dit tout de cette musique. Les solistes Pierre Fouchenneret au violon, Lise Berthaud à l'alto, Yan Levionnois au violoncelle et Philippe Hattat au piano sont placés face à l'orchestre, et s'il n'y a pas de public, ils réalisent là une expérience collective qui font de leur interprétation une version de référence, à l'instar de ce que le festival avait déjà proposé avec les Chants de l'Âme avec Marie-Laure Garnier en 2019 (B Records).
Lire la chronique de l'album du concert (Clef ResMusica):
Sombre, puissante et toujours sublime, que vive la musique d'Olivier Greif
Plus de détails
Deauville. Salle Elie de Brignac-Arqana. 1-V-2021. Gustav Mahler (1860-1911) : Rückert-Lieder pour voix et orchestre (1905), arrangement pour ensemble de chambre d’Eberhard Kloke. Olivier Greif (1950-2000) : Symphonie pour baryton et orchestre (1997) ; Quadruple concerto « Danse des morts » pour piano, violon, alto, violoncelle et orchestre (1998). Franz Schubert (1797-1828) : Memnon pour voix et orchestre D. 541 (orch. Johannes Brahms) ; Ständchen (Schwanengesang) pour voix et orchestre D. 957 (orch. Jacques Offenbach) ; Erlkönig pour voix et orchestre D. 328 opus 1 (orch. Max Reger). Edwin Fardini, baryton ; Pierre Fouchenneret, violon ; Lise Berthaud, alto ; Yan Levionnois, violoncelle ; Philippe Hattat, piano ; Ensemble La Fresque, ensemble L’Atelier de Musique, direction : Pierre Dumoussaud
Concert sans public, diffusé en direct depuis le site internet du festival