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La bataille de Tannhaüser : préparatifs

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Le récit haut en couleur de la première représentation de Tannhaüser à Paris est un épisode de la petite histoire du XIXe siècle, révélateur de mentalités et parmi les prémices des mésententes politiques répandues en Europe. Il prépare aussi l’avènement d’un renouveau artistique que d’abord Wagner assurera par la suite avec Tristan, Parsifal et L’Anneau du Nieblung à Bayreuth, ainsi que « la musique de l’avenir » qui verra le jour au XXe siècle avec Debussy, Ravel et Stravinsky. Pour accéder au dossier complet : La Bataille de Tannhaüser

 
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En 1860, un musicien allemand, épris d'idéal, vient faire un long séjour à Paris. Il arrive de Suisse où il a passé dix ans exilé de sa patrie, la Saxe, après sa participation à la Révolution de 1848. À 47 ans, est attiré par l'éclat de la capitale culturelle qu'est Paris sous le régime du Second Empire de Napoléon III. Celui-ci est à l'apogée de son règne.

Pour Wagner, 1860 représente un tournant dans sa vie. Son premier séjour parisien de 1839 à 1842, avait été une période d'extrême misère, de refus pour ses œuvres et un échec financier. A cette époque, malgré l'appui de Meyerbeer, le jeune musicien avait trouvé toutes les portes fermées. Pour assurer sa subsistance, il devait écrire des petites nouvelles pour des gazettes à la mode, faire des réductions pour piano des tubes du moment et se contenter certains jours, de manger les champignons ramassés dans les bois de Meudon. Son dernier recours était de vendre le sujet de son opéra Le Vaisseau fantôme, car l'Opéra de Paris avait refusé en bloc son livret et sa musique, et n'avait agrée que le sujet acheté 500 francs. On désigna un obscur librettiste, Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, pour réécrire le texte et un certain Dietsch pour la partition. Ce musicien composa un Vaisseau fantôme autre que celui de Wagner et qui se révéla un four complet quand il fut joué en 1842. Le médiocre Dietsch n'avait cependant pas fini d'entraver la carrière de notre artiste saxon. On le retrouvera plus tard encore en position de force en tant que chef d'orchestre pour diriger la création de Tannhaüser à Paris.

En 1860, Wagner avait mûri. Sa première expérience de jeune musicien sans-le-sou n'avait rien de commun avec sa situation présente. Entre temps, il avait occupé la place de Maître de chapelle à la cour de Dresde. Plusieurs de ses œuvres avaient connu le succès en Allemagne : Rienzi, Le Hollandais volant (car il ne pouvait plus utiliser le titre du Vaisseau fantôme vendu à l'Opéra de Paris), Tannhaüser qui fut un triomphe à Dresde en 1845, et Lohengrin composé à la veille de l'insurrection de 1848. En achevant cette dernière, Wagner se lança dans le mouvement révolutionnaire pour prendre la défense des musiciens. Accusé de complicité avec les rebelles, il dut fuir la ville en flammes devant l'avancée des troupes prussiennes. Condamné par contumace et exilé du territoire de la Confédération germanique, il s'échappa dans une voiture des postes et atterrit à Weimar chez l'ami Liszt. Avec de faux papiers, il put traverser ensuite le lac de Constance et poser le pied sur la terre helvétique.

A Zurich, Wagner vécut les années les plus fécondes de sa carrière de compositeur grâce à une muse de choix, Mathilde, et un mécène, Otto Wesendonck, son mari. Dans ses bagages, il conservait les trois-quarts de sa future Tétralogie, les Lieder sur les poèmes de Madame Wesendonck et son opéra Tristan et Isolde. En 1859, après un bref séjour à Venise puis à Lucerne, il décida de retenter sa chance à Paris. Il espèra y gagner un succès pour Tristan, écrivit-il à Otto, ce qui aurait pour conséquence de forcer les théâtres allemands où il était encore proscrit, d'entreprendre l'exécution de sa Tétralogie, et enfin d'être amnistié par le gouvernement royal des charges tenues contre lui depuis 1849. Toutes ses spéculations fusèrent dans son esprit et n'aboutissèrent malheureusement qu'à un échec retentissant de son opéra Tannhaüser.

Dans son doux exil, tout frais payés par Otto, il avait eu le temps de réfléchir sur son art. Pour Wagner, la musique, surtout l'opéra, était tombée dans l'impasse de la frivolité où le divertissement dans le sens pascalien du terme dominait tout. Lui, lecteur assidu des grands auteurs grecs, français, anglais et espagnols, ne rêvait pas moins de redonner à l'art tout son sens religieux, l'art étant pour lui la forme suprême de la vérité. C'est ce qu'il baptisa la « musique de l'avenir ». Pour la société parisienne de 1860, rien ne paraissait plus éloigné de ces préoccupations artistiques. C'était le règne de Meyerbeer, du pompiérisme et de la futilité avec ballets et bel canto obligés.

A Paris, dès octobre 1859, Wagner emménaga dans un logement élégant de la rue Newton dans le quartier des Champs-Élysées. Il vécut bien au-dessus de ses moyens aux frais de son ami Wesendonck. Mais cette-fois-ci, Wagner était plein d'espoir. Fort de sa réputation en Allemagne et par l'entremise de certains amis influents tels que Liszt, il espèrait réussir autrement qu'en 1840. Il rendit visite à Hector Berlioz, mais celui-ci était malade. De toute façon Berlioz se méfiait de Wagner et le considèrait comme un rival. Pourtant, Wagner lui dédicaça un des trois premiers exemplaires gravés de Tristan avec la phrase : « Au grand et cher auteur de Roméo et Juliette, l'auteur reconnaissant de Tristan et Isolde », à quoi Berlioz attendit trois semaines avant d'accuser réception.

Début 1860, Wagner organisa à ses propres frais trois concerts qui eurent lieu à la Salle Ventadour (l'ancien opéra italien) dans le but de faire connaître sa musique au public parisien. Le 25 janvier, au programme on entendit la marche de Tannhaüser qui « déchaîna des applaudissements de la foule », puis des fragments de Lohengrin, l'ouverture du Vaisseau fantôme, dont le finale avait été remanié ; enfin, le prélude et la Mort d'Isolde, extraits de Tristan accueilli, semble-t-il, avec quelque perplexité. Dans l'auditoire on nota la présence de Berlioz, Gounod, Meyerbeer, ainsi que des amis français : le romancier Champfleury et Auguste de Gasperini, médecin, amateur et critique musical qui ouvrit à Wagner les portes des cercles influents de la capitale.

Les 1er et 8 février, les deuxième et troisième concert wagnériens attirèrent l'attention d'un nombre grandissant de partisans qui entourèrent le musicien et le félicitèrent en venant le mercredi soir, jusqu'à chez lui dans le logis de Wagner, rue Newton. On y vit défiler des musiciens comme Gounod et Saint-Saëns, l'écrivain Malwida von Meysenburg, le peintre Gustave Doré, Catulle Mendès et bien d'autres. Un certain Charles Baudelaire écrivit à Wagner sans lui révéler son adresse, de peur qu'il se croît obligé de lui répondre. A propos de l'ouverture de Tannhaüser, le poète lui manifesta un enthousiasme sans réserve : « Je vous dois la plus grande jouissance musicale que j'aie jamais éprouvée. […] D'abord il me semblait que je connaissais cette musique. […] Il me semblait que cette musique était la mienne. […] Vous m'avez rappelé à moi-même. » Si ces trois concerts furent ainsi agréés par une intelligentsia parisienne, ils se soldèrent par un échec financier pour Wagner. Le musicien avait tout à sa charge : la location de la salle, l'éclairage, le service, les salaires des membres de l'orchestre et les chœurs, la publicité et les frais des répétitions.

C'est alors que Wagner mis aussi le pied sur un des plus gros nids de guêpes de sa carrière. Dans les cercles diplomatiques allemands, il s'était fait repérer par le Comte Hatzfeld, attaché à l'ambassade de Prusse, qui devint un habitué de la rue Newton. D'autre part, sa renommée était venue aux oreilles du Baron von Seebach, l'ambassadeur de Saxe à Paris, par l'entremise de ses admiratrices allemandes, Madame Kalergis et surtout la princesse Pauline de Metternich, épouse de l'ambassadeur d'Autriche et amie intime de l'impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. La princesse avait assisté en 1845 à la première de Tannhaûser à Dresde et elle était consciente du prestige du musicien.

Crédits photographiques : Tannhäuser et Vénus, peinture d'Otto Knille, 1873 © Nationalgalerie der Staatlichen Museen zu Berlin

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