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Le triple rêve de Denis Lavant, Mara Dobresco et Volodia Serre

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Vesoul. Théâtre Edwige Feuillère. 28-II-2021. Il faut donc que vous fassiez un rêve, rêverie musicale pour une voix, piano et percussions, un projet de Mara Dobresco d’après Journal en miettes d’Eugène Ionesco et Poèmes de Marin Sorescu. Musiques : John Cage (1912-1992), Philip Glass (né en 1937), György Ligeti (1923-2006), Arvo Pärt (né en 1935), Philippe Hersant (né en 1948), Oscar Strasnoy (né en 1970), improvisations. Mise en scène : Volodia Serre. Avec : Denis Lavant, comédien ; Mara Dobresco, piano ; Elisa Humanes et Hélène Colombotti, percusssions
Spectacle en public filmé au Théâtre du Lucernaire (janvier 2020) et diffusé sur le site RecitHall

Créé au Théâtre du Lucernaire en janvier 2020, Il faut donc que vous fassiez un rêve est passé par l'Opéra de Limoges, puis sur la grande scène du Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul : la caméra a prolongé le rêve musical de .

est comédien. est metteur en scène. est pianiste. C'est à cette dernière que revient l'initiative de ce spectacle vibrant (à l'instar de ceux nés d'une nécessité intérieure) où elle convie le spectateur à entrer dans son rêve. De sa Roumanie natale, elle a emporté, dans ses bagages, un petit livre : l'édition originale de Poèmes de Marin Sorescu. C'est cet ouvrage de l'écrivain roumain le plus célèbre de la fin du XXᵉ siècle que la musicienne, après en avoir assuré la traduction, fait dialoguer avec le Journal en miettes d'un autre Roumain cher à bien des cœurs, Eugène Ionesco.

Rêve de théâtre, rêve de musique, Il faut donc que vous fassiez un rêve (rêverie musicale pour une voix piano et percussions) nous fait entrer dans le cerveau habité de musique d'un homme ordinaire (il arrive de la salle) au cerveau extraordinaire (une fois sur le plateau). Réfugié dans un lit à barreaux installé dans l'espace mental d'une chambre « musicale » meublée de chaises, de pupitres, de percussions et d'un piano à queue, cet ex-enfant fait siennes les préoccupations des deux Roumains, de celles qui convient à la déraison, à l'orée du sommeil, ou avant l'aube, plus d'un être doué de raison, autour du sujet majeur : la fuite du Temps. Le spectateur se voit muni de sésames tels que : « Quand est-ce que je me suis aperçu pour la première fois que le temps passait ? » ou « Il n'y a plus d'enfance à partir du moment où les choses ne sont plus étonnantes.»

« Vous ne pouvez avoir la réponse à vos questions que par le rêve. Il faut donc que vous fassiez un rêve », conseille Ionesco. Jouets, photos jaunies épinglées sur une corde à linge, feuilles mortes, poèmes sortant de partout, des pages d'un livre, du goulot d'une bouteille à la mer, sont les accessoires nostalgiques d'un temps passant, symbolisé par le ciel d'une mouvante brume de fumigènes en fond de scène.

« Sans musique, point de rêve, point de révélation », affirme à son tour . Les phrases musicales que son toucher d'une infinie délicatesse font sourdre du piano, surlignent la profondeur des affects, propulsent les échappées belles : une Berceuse d'Oscar Strasnoy (dont la pianiste avait créé à Aix l'opéra de chambre Un retour), la Musica Ricercata n°4 de Ligeti, les Études de Philip Glass, la dernière des 24 Éphémères de Philippe Hersant, les expérimentations bruitistes de John Cage, un Für Alina d'Arvo Pärt pour conclure. A ce très contemporain labyrinthe musical, , que l'on aurait dû voir en 2020 en Frère Dominique à Bâle dans la Jeanne au bûcher par Castellucci, fait don d'un corps révélé par le cinéma de Leos Carax, un corps où se lisent aujourd'hui tous les âges, mais surtout celui d'un enfant intact, toujours prêt à s'emballer. On retrouve l'énergie mémorable de Mauvais sang à l'œuvre dans les trop brèves mesures de la fiévreuse et virtuose Étude n° 6 de Glass, déroulées avec une lumineuse fluidité par Mara Dobresco. C'est peut-être la seule réserve que l'on adressera à ce bref spectacle (1 heure) : que les pièces élues ne soient pas données intégralement afin de permettre à d'y exprimer sur la durée le magnétisme chorégraphique à l'œuvre dans l'étonnant Beau travail de Claire Denis ou les plus belles séquences des Amants du Pont-Neuf.

Dans la mise en scène simple et sensible de , qui fut aussi librettiste de l'opéra Je suis un homme ridicule, les trois membres du Quatuor Face à Face (seule manque à l'appel Géraldine Dutroncy, nouvelle pianiste de cet ensemble fondé en 2001 par Victoria Harmandjieva, et réunissant, autour de la musique moderne et contemporaine, quatre femmes : 2 pianistes et deux percussionnistes) posent sur le comédien qu'elles accompagnent, un regard quasi-maternel. Elisa Humanes et Hélène Colombotti, aux percussions, font feu de tout bois : archets, valises, barreaux métalliques du lit… Denis Lavant joue de la clarinette mais aussi de la conque marine.

Ionesco conclut : « … je rêve que je fais le rêve absolu … mais je ne me souviens pas du tout du rêve de la vérité absolue, de la vérité qui explique tout. » Pourtant, au-delà de cette malicieuse dérobade, où l'on pourra reconnaître l'auteur de La Cantatrice chauve, s'ouvrira in fine au fond du plateau, le bleu du ciel rasséréné d'un nouveau jour à même d'apaiser les questions existentielles de la nuit.

Crédits photographiques : photo 1 © Bruno Grandjean ; photo 2 © David Kruger

 

Mis à jour le 02/03/2021 à 17h27

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Vesoul. Théâtre Edwige Feuillère. 28-II-2021. Il faut donc que vous fassiez un rêve, rêverie musicale pour une voix, piano et percussions, un projet de Mara Dobresco d’après Journal en miettes d’Eugène Ionesco et Poèmes de Marin Sorescu. Musiques : John Cage (1912-1992), Philip Glass (né en 1937), György Ligeti (1923-2006), Arvo Pärt (né en 1935), Philippe Hersant (né en 1948), Oscar Strasnoy (né en 1970), improvisations. Mise en scène : Volodia Serre. Avec : Denis Lavant, comédien ; Mara Dobresco, piano ; Elisa Humanes et Hélène Colombotti, percusssions
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