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Heurs et malheurs de la culture au temps du Covid-19

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À l’instar de la remise en cause de la mondialisation économique ou de la réorganisation du travail, la pandémie nous incite à repenser l’offre culturelle à l’aune du numérique : progrès ou régression, l’avenir seul le dira.

À l’heure où le spectacle vivant est moribond, où le vivre ensemble semble perdu dans une postmodernité individualiste triomphante, où le numérique règne en majesté, où les subventions se font plus rares, réduites à la portion congrue, où la faillite menace les artistes les incitant à se tourner vers d’autres cieux plus cléments, et où les mécènes menacent de se désinvestir, peut-être est-il temps de repenser un système culturel semblant aujourd’hui bien précaire, sinon obsolète. À rebours du chant des sirènes nous annonçant inlassablement, comme un leitmotiv sur tous les médias, la mort prochaine de la culture… il semble que cette pandémie que nous traversons doive nous inciter à la réflexion pour aller contre des évidences et induire des changements de pratiques permettant à la culture de survivre à cette épreuve.

« Ne pas faire comme si de rien n’était, ne pas foncer tête baissée pour à nouveau faire comme avant…mais accepter l’extraordinaire de la situation pour en tirer des conséquences ordinaires ». (Morgan Labar, historien de l’art).

Qu’est-ce que la culture ?

Eugène Ionesco en donne une définition quasi initiatique : « Dans notre monde déspiritualisé, la culture est encore la dernière chose qui nous permette de dépasser le monde quotidien et de réunir les hommes. », une approche confirmée par le Centre National des Ressources Textuelles et Linguistiques, qui définit la culture comme « la fructification des dons naturels permettant à l’homme de s’élever au-dessus de sa condition initiale et d’accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur ». Cela désigne également l’« ensemble des moyens mis en œuvre par l’homme pour augmenter ses connaissances, développer et améliorer les facultés de son esprit, notamment le jugement et le goût ». L’Unesco y ajoute une dimension collective : « la culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social… ».

Polymorphe, trans-sociale, la culture répond à plusieurs acceptions en fonction des domaines où elle s’exerce (philosophique, sociologique, anthropologique ou encore ethno archéologique) dans une polysémie à la fois individuelle et collective. Elle se manifeste notamment par l’art, qui amalgame culture individuelle (connaissance) et culture collective (identité, civilisation). Le mot « culture » est parfois employé dans un sens restreint pour désigner l’industrie des « biens culturels », c’est-à-dire les entreprises et activités de production, de distribution et de gestion de droits d’exploitation de spectacles et de contenus audio-visuels reproductibles. Ce secteur, sous l’effet du développement des technologies de l’information et de la communication, est en pleine transformation, accélérée encore par la pandémie et la fermeture des lieux culturels. Ce qui caractérise aujourd’hui la diffusion par les médias, spécifiquement internet, c’est que l’individu n’est plus seulement destinataire de l’information (radio, télévision), mais qu’il peut aussi émettre à un grand nombre d’individus, par le biais de forums, messageries, blogs, etc. Cette forme de communication fait penser à l’apparition de l’imprimerie au XVᵉ siècle qui bouleversa la société européenne. L’humanité vit aujourd’hui une nouvelle révolution qui s’appuie sur les technologies de l’information et notamment sur la Toile. Nous voilà donc au cœur du sujet : la diffusion de la culture passe aujourd’hui majoritairement par le numérique !

La culture, pour quoi faire ?

Loin de toute considération esthétique, au demeurant louable, Christian Maurel, en s’inscrivant dans une démarche résolument militante, répond clairement à cette question en privilégiant « le faire » : « La culture est avant tout un rapport social, un travail, une praxis de transformation socio politique dans lesquels le créateur comme le simple citoyen occupent une place qu’ils n’avaient jamais imaginé ou osé revendiquer. Ainsi conçue, la culture contribue à la configuration d’autres possibles et à l’écriture d’une nouvelle page de notre histoire », de telle manière que s’éloignant de toute conception purement esthétisante et quelque peu nombriliste, pour ne pas dire « bourgeoise », la culture devient un outil de combat social qui ne vaut que par les actes, les jugements ou les modifications sociales qu’elle est passible d’engendrer… Tout est dit !

Quelles modifications dans la distribution de l’offre culturelle la pandémie a-t-elle entrainées ?

Bien sûr, la fermeture des salles ! Mais aussi peut être, un paradoxal élargissement de l’auditoire ! Il n’est pas besoin de revenir longuement sur les rapports complexes qu’entretiennent la création et la contrainte. Aussi douloureux soient-ils, il faut bien admettre leur existence et reconnaitre que la contrainte, souvent, stimule la création, visant alors à l’élaboration et au déploiement d’un nouvel espace de liberté… La période actuelle nous en fournit un bien éclatant exemple avec le développement des captations sans public, diffusées sur la Toile, et autres Livestreams et Replay, reprenant pour partie l’expérience initiée depuis plusieurs années par les opéras du Met diffusés dans les cinémas de France et de Navarre. Échappant au contexte quelque peu élitiste de la salle de spectacle, la captation vidéo rejoint la culture de masse dès lors qu’elle se généralise et permet d’augmenter probablement l’audience en convoquant un public différent mélomane (ou pas !) plus large (n’importe qui peut voir et écouter n’importe quel concert ou opéra, de n’importe quel endroit de la planète…) plus cosmopolite et probablement plus jeune regroupant toutes les caractéristiques tant espérées par nos dirigeants culturels (élargissement du public, démocratisation, enseignement…).

Quelles conséquences en attendre ?

Elles sont de plusieurs ordres : économiques, sociales et esthético-politiques. Sociales d’abord, car en atteignant un public sans doute plus réceptif socialement, la culture retrouve de fait son rôle de catalyseur social et de partenaire pédagogique. Économiques, bien sûr : il est aujourd’hui admis que l’économie de la culture s’est élargie depuis les années 80 aux industries de diffusion culturelle. Quand on sait la croissance inexorable du coût relatif des spectacles vivants expliquant la dépendance croissante de ceux-ci à l’égard de subventions publiques sans lesquelles cette activité serait condamnée, on comprend aisément l’intérêt économique d’une captation unique et des rediffusions payantes répétées sur le net. (Les grandes institutions culturelles comme opéras, radios, salles de concert, sont en train de développer ce type d’expérience). Esthético-politiques enfin, en gardant en tête les théories benjaminiennes sur l’instrumentalisation de l’art (esthétisation ou politisation) nous invitant à une méfiance raisonnée vis-à-vis du numérique et des réseaux sociaux.

Soyons rassurés, malgré toutes les mises en garde les plus pessimistes, la culture n’est pas encore morte ! Il lui reste certainement de beaux jours à condition de faire les bons choix, hic et nunc, dont la diffusion en numérique fait certainement partie, (en attendant pour le moins des jours meilleurs), sans exclusion aucune pour le spectacle vivant dans les institutions culturelles traditionnelles que sont les salles de concert ou opéra, lorsque leur réouverture sera autorisée. Il est certain, malheureusement, que cette pandémie laissera des cicatrices douloureuses parmi les artistes eux-mêmes dont l’hétérogénéité de la population constitue à n’en point douter un facteur aggravant (star system, statuts différents, excès d’offre par rapport aux possibilités réelles, disqualification et non séparation de l’artiste et de l’œuvre). En guise de conclusion, dans un élan compassionnel, je voudrais revenir sur les propos de Morgan Labar nous invitant à profiter des vertus d’une culture à l’arrêt. Texte avouons-le un peu provocateur, mais sans doute empreint d’une sagesse certaine : « si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré ».

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