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Autour du piano de Boulez à la Philharmonie de Paris

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Paris. Philharmonie de Paris. Le Studio. 19-I-2021. Pierre Boulez (1925-2016) : Structures pour deux pianos (Livre II) ; Sonate pour piano n° 2 ; Notations pour piano ; Sonate pour piano n° 3 (avec création de fragments inédits) ; Une page d’éphéméride ; Sonate pour piano n° 1. Hidéki Nagano, Dimitri Vassilakis, Florent Boffard, piano
Concert enregistré et diffusé sur le site Philharmonie Live

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C'est autour du piano que s'amorce la : le piano en tant qu'instrument de la recherche et de l'exploration si souvent sollicité par le compositeur, lui-même pianiste, sur lequel il affine son écoute, forge son langage et expérimente de nouvelles voies. Soixante ans de création sont parcourus en deux concerts, diffusés en ligne, des Notations de 1945 à Une page d'éphéméride de 2005.

Tous deux solistes de l'Intercontemporain, Hidéki Nagano et sont face à face dans les Structures (Livre II), une pièce en deux « chapitres » – référence au Livre de Mallarmé – que , au côté d'Yvonne Loriod a créé en 1961 au festival de Donaueschingen. L'œuvre est écrite presque dix ans après les redoutables Structures (Livre I) visant « l'impersonnalisation » maximale du langage à travers l'usage de la série appliquée à tous les paramètres de l'écriture. Le Livre II participe, quant à lui, de l'expérience de « l'œuvre ouverte », accordant aux interprètes une certaine liberté dans le parcours formel et leur intervention respective : c'est une musique éruptive, brillante et constamment mouvante qui s'incarne sous les doigts experts de nos deux pianistes en une jubilation sonore où tous les registres de l'instrument sont exploités. Plus séduisant encore sous le geste virtuose des deux interprètes, le second « chapitre » fait la part belle au piano I () avec une « musique-oiseau » incandescente – Messiaen demeure – investissant les aigus du clavier. Le jeu duel allie geste rageur, traits fulgurants et magie de la résonance. La toccata finale du piano I, en conflit avec les blocs-accords du piano II, génère un affrontement spectaculaire, sollicitant cette fois les résonances profondes de l'instrument jusqu'à saturation de l'espace sonore.

Seul à son piano, Dimitri Vassilakis se lance ensuite dans la deuxième sonate de Boulez (1948), pièce d'envergure (30′) consacrant la synthèse entre héritage formel et langage nouveau, Boulez adoptant le moule classique en quatre mouvements. Le pianiste joue par cœur le premier volet. L'exploration furioso du clavier, entre clusters assénés avec violence et flux rageur autant que virtuose, est conduite sans faillir par l' interprète, avec une flexibilité du geste qui sidère. Le second mouvement apaise les tensions, dessine des lignes et génère une polyphonie tel une « ballade », au sens brahmsien du terme, découvrant des territoires toujours nouveaux. Le jeu est somptueux et le pianisme généreux, Dimitri Vassilakis conjuguant la souplesse du geste, le raffinement des sonorités et l'intelligence du texte. Après un scherzo acrobatique, le dernier mouvement porte la tension et la complexité de l'écriture à son comble, avec une fugue rythmique et un rondeau diabolique dont l'interprète assume avec une implacable rigueur la surenchère sonore et virtuose, jusqu'à « pulvériser le son », comme il est écrit sur la partition.

Pour son récital, le pianiste a mis à l'affiche les deux autre Sonates, donnant ainsi à entendre l'intégrale de l'opus boulézien.

Avant d'aborder la Troisième Sonate qu'il vient de graver chez Mirare, Boffard joue les douze Notations (1945), une pièce encore « sous influence » que Boulez accepte in fine de faire figurer dans son catalogue en tant qu'opus 1 et dont certaines d'entre elles connaitront un agrandissement orchestral. S'y dessinent le geste de l'improvisateur (5), l'écriture rythmique et les harmonies-couleurs de Messiaen (4 et 12) et un certain lyrisme bergien (3). Mais la griffe nerveuse, le geste rageur et le jeu des registres et de la résonance sous les doigts félins de relèvent déjà de l'ADN boulézien.

La partition de la Troisième Sonate (1957), du moins les trois cahiers (formants) qu'a écrit Boulez sur les cinq prévus, sont exposés à même le sol du Studio. en présente les particularités, sachant que l'œuvre dite « ouverte » laisse à l'interprète le choix duel du parcours. Il joue ce soir des fragments inédits – Antiphonie A et B – que Boulez avait prévus en tête de sa Sonate et qu'il a revus et terminés durant les dernières années de sa vie. Comme le Livre Mallarméen, modèle explicite de l' « œuvre ouverte » telle que la conçoit Boulez, cette Sonate reste inachevée. Dans Constellation (-Miroir) et Trope, les deux premiers formants joués par le pianiste, c'est un discours essentiellement fragmenté d'une intense virtuosité, articulant des blocs sonores violemment projetés sur le clavier ou de courtes figures prolongées ou non d'une résonance, mettant à l'épreuve autant le jeu de l'instrumentiste (son engagement est total) que l'écoute de l'auditeur. L'écriture est nerveuse, acérée et les dynamiques souvent extrêmes, jouées « à la lettre » par notre interprète qui déploie une énergie et une puissance du geste phénoménales. Spectaculaires sont ces effets de troisième pédale ouvrant des espaces de résonance insoupçonnés dans les graves de l'instrument. Moins radicale, l'écriture d'Antiphonie A et B introduit le trille, frémissement de la matière bienvenu dans un univers par trop déshumanisé. Le discours y est plus fluide où le jeu des « inserts », ces parenthèses qui font bifurquer la trajectoire, esquisse une dramaturgie sonore et autant de repères d'écoute pour l'auditeur parfois fort désarmé.

C'est le dernier Boulez qui s'exprime dans Une page d'éphéméride, courte pièce éminemment séduisante, au regard de la Sonate n° 3, écrite en 2005 à la demande des Éditions Universal : synthèse du pianisme boulézien, gestes-fusée, attaques nerveuses, jeu des résonances et allure de toccata organisent un discours virtuose et brillant sous le geste énergique et précis de Florent Boffard… Juste avant la Sonate n° 1 du tout jeune Boulez (il a 21 ans) que l'on entend aujourd'hui comme un classique du répertoire pianistique et qui referme le récital : transparence et netteté des contours sous les doigts du pianiste qui soigne l'échelle des dynamiques et la dramaturgie des contrastes. Le second mouvement est superbement mené, entre toccata fulgurante et parenthèses suspensives où Boffard fait chanter les lignes en maître de l'élégance et de la poésie de l'écoute.

Crédits photographiques : © Ensemble Intercontemporain / Philharmonie de Paris

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