Jurek Dybał et Sinfonietta Cracovia en hommage à Krzysztof Penderecki
Plus de détails
Krzysztof Penderecki (1933-2020) : Sinfonietta per archi ; Trois pièces dans le style ancien ; Sinfonietta n° 2 per clarinetto ed archi ; Agnus Dei extrait du Requiem polonais (arrangement pour orchestre à cordes : Boris Pergamenchtchikov) ; Sinfonietta n° 3 « Feuilles d’un journal non écrit ». Daniel Ottensamer, clarinette ; Sinfonietta Cracovia ; direction : Jurek Dybał. 1 CD Sony Classical. Enregistré du 28 au 31 août 2018 au Centre Européen de la Musique Krzysztof Penderecki à Lusławice. Textes de présentation en anglais. Durée : 64:04
Sony ClassicalJurek Dybał et Sinfonietta Cracovia enregistrent des œuvres pour orchestre de chambre de Krzysztof Penderecki en présence du compositeur un an et demi avant son décès, établissant de nouvelles références et signant la première gravure mondiale de la Sinfonietta n° 3 « Feuilles d'un journal non écrit ».
Les sinfoniettas rassemblées sur ce disque sont des orchestrations de la musique de chambre effectuées par Penderecki lui-même : Trio à cordes, Quatuor avec clarinette et Quatuor à cordes n° 3. Ce programme se voit complété par les Trois pièces dans le style ancien et Agnus Dei extrait du Requiem polonais. Les Trois pièces dans le style ancien se composent d'Aria, du Menuetto I et du Menuetto II, dont les deux derniers mouvements ont fait partie de la musique du film Le Manuscrit trouvé à Saragosse réalisé par Wojciech Jerzy Has en 1964. La collaboration de Penderecki a donné naissance à l'une des bandes originales les plus intéressantes de l'histoire du cinéma. Par ailleurs, l'élaboration de ces partitions – dans lesquelles on perçoit des accents puisés dans les pages de Boccherini – fut la réponse de Penderecki aux critiques qui l'avaient accusé de ne pas être capable d'écrire une œuvre tonale.
Pour l'Agnus Dei du Requiem polonais, nous avons affaire à une composition façonnée à l'origine pour chœur a cappella, présentée ici dans un arrangement pour orchestre à cordes, dû au violoncelliste Boris Pergamenchtchikov.
Sinfonietta Cracovia est une formation associée à Krzysztof Penderecki depuis sa création en 1994. C'est grâce aux efforts du couple Penderecki que l'ensemble a pu se transformer en une phalange professionnelle, subventionnée par la ville de Cracovie. Sachant que quasiment toutes les pages abordées sur ce disque ont été jouées par eux depuis des années, et ce, également sous la direction du compositeur, leur interprétation est travaillée dans les moindres détails. Jurek Dybał impressionne par la même précision que celle perceptible dans son album précédent (lauréat des ICMA 2017 et Clef du mois ResMusica), regroupant les concertos orientaux pour trompette, avec Gábor Boldoczki en soliste.
Jurek Dybał apporte à ces musiques autant de fraîcheur des timbres que de couleurs éclatantes, variées dans les différents plans sonores mais homogènes dans l'ensemble. Avec la profondeur des attaques dans les cordes, l'exécution de la Sinfonietta per archi est d'une plus grande intensité que celle qu'on trouve dans la prestation d'Antoni Wit (Naxos). Chez Dybał, les instruments chantent et répètent certains motifs avec ferveur, faisant penser à la récitation d'une prière.
Pour les Trois pièces dans le style ancien, Jurek Dybał met l'accent sur le raffinement des nuances, la fluidité des phrasés et l'élégance, inversant, avec l'autorisation de Penderecki, les deux premiers mouvements de cette suite (Menuetto I et Aria), et ce, dans le but de lui donner la forme ternaire constituée de la façon A-B-A.
Dans la Sinfonietta n° 2 per clarinetto ed archi, Dybał combine finesse, contemplation et fougue. Le soliste Daniel Ottensamer convainc par l'agilité du doigté comme par sa capacité à se fondre dans l'accompagnement de l'orchestre. Dybał dialogue avec lui avec éloquence, théâtralité et une expressivité qui oscille entre l'enthousiasme dans le Scherzo et le pessimisme dans le dernier mouvement, Abschied : Larghetto.
Pour l'Agnus Dei, l'interprétation est traversée de détresse, voire de désespoir, notamment dans le climax qui semble tendu à l'extrême. Par ailleurs, la lenteur du tempo et la souplesse du geste permettent à Dybał d'atteindre le maximum de poésie contenue dans cette page.
Le disque se clôt sur la Sinfonietta n° 3 « Feuilles d'un journal non écrit » en un seul mouvement, sous la forme d'une rhapsodie. Qualifiant cette œuvre de « voyage sentimental », Penderecki l'a considérée comme une sorte de journal intime, évoquant les différentes étapes de sa vie. Les contrastes expressifs qui marquent cette prestation nous rappellent que les expériences de Penderecki ont été très variées. Des cantilènes plaintives s'y mêlent avec un ostinato aux sonorités brutes et pointues ; des rythmes enivrants s'entrelacent avec des moments de méditation. Soudain, quelque part au milieu de cette partition, on entend un motif qui puise sa substance dans une mélodie folklorique de Huculszczyzna, la région historique couvrant aujourd'hui une partie de l'ouest de l'Ukraine, située dans les Carpates orientales. Le père du compositeur, originaire de la ville de Rohatyn, la lui entonnait sur son violon. La douceur de ce thème contraste ouvertement avec l'entourage sonore « bruyant » et apparemment désordonné. Sous la baguette de Dybał, nous pouvons ainsi découvrir une face de Penderecki totalement oubliée ces dernières années : au lieu d'un vieillard majestueux, épanoui et heureux dans son magnifique jardin, nous rencontrons un homme troublé et agité.
Cet album, disponible aussi bien en CD qu'en microsillon, sera un beau cadeau pour les mélomanes intéressés par la musique de Krzysztof Penderecki. Une occasion à ne pas rater car nous nous trouvons face à des interprétations de référence, réalisées avec une prise de son spacieuse et bien définie.
Plus de détails
Krzysztof Penderecki (1933-2020) : Sinfonietta per archi ; Trois pièces dans le style ancien ; Sinfonietta n° 2 per clarinetto ed archi ; Agnus Dei extrait du Requiem polonais (arrangement pour orchestre à cordes : Boris Pergamenchtchikov) ; Sinfonietta n° 3 « Feuilles d’un journal non écrit ». Daniel Ottensamer, clarinette ; Sinfonietta Cracovia ; direction : Jurek Dybał. 1 CD Sony Classical. Enregistré du 28 au 31 août 2018 au Centre Européen de la Musique Krzysztof Penderecki à Lusławice. Textes de présentation en anglais. Durée : 64:04
Sony Classical