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Entretiens avec Philippe Manoury : La musique en questions. Éditions Aedam Musicae. 210 p. 28 €. Mai 2020
« Le compositeur est constamment appelé à se poser des questions », rappelle Philippe Manoury. C'est face à un interlocuteur et au fil d'entretiens, qui courent sur une vingtaine d'années et qu'il a lui-même sélectionnés, que le compositeur nous livre ses réflexions, dévoilant les fondements de son esthétique à travers ses domaines de prédilection.
L'électronique d'abord, et la technique du « temps réel » dont il a la révélation dans les années 1970 avec Mantra pour deux pianos et électronique de Karlheinz Stockhausen. C'est la mixité (instruments et synthèse sonore) qui intéresse le jeune Manoury désireux de développer un outil qui interagisse avec le geste instrumental afin, dit-il, de « réintégrer l'interprétation dans l'univers de l'électronique ». Aussi, à plus de quarante ans de distance, sa pièce pour deux pianos et électronique en temps réel Le temps mode d'emploi (2014) semble marcher sur les brisées du mentor allemand. S'il a peu composé pour petit ensemble, Manoury avoue sa passion pour le grand orchestre et sa volonté de repenser sa configuration dans l'espace de la salle de concert, pour en finir avec la diffusion frontale et inviter le public à une autre expérience d'écoute. Ainsi conçoit-il en 2016, pour la salle de la Philharmonie de Cologne, sa pièce d'orchestre Ring, premier volet de ce qu'il nomme sa « trilogie Köln ». Les sons vont dessiner des trajectoires dans l'espace sans l'électronique, grâce à « l'anneau » d'instrumentistes placés derrière les auditeurs qui entendront les sons sans en détecter la source. L'idée avait déjà traversé l'esprit de Wagner qui fait recouvrir la fosse d'orchestre du temple de Bayreuth, fait remarquer Manoury, grand admirateur du compositeur de Parsifal.
Parmi les cinq opéras inscrits à son catalogue, trois d'entre eux, La Frontière, La Nuit de Gutemberg et Kein Licht font l'objet d'un entretien dans le livre. C'est Kein Licht, le dernier en date (2017), qui retient toute l'attention, l'ouvrage lyrique conçu à deux têtes avec le metteur en scène Nicolas Stemann opérant une avancée significative dans la redéfinition du genre et le bouleversement des codes de représentation. Sollicitant les textes d'Elfriede Jelinek, Manoury entend casser le principe de la narration linéaire et questionne la dimension du temps, celui du théâtre, ouvert et modulable, et celui de la musique, fixé et plus contraignant, pour tenter, grâce aux ressorts de la technologie, d'instaurer un continuum entre le parlé théâtral et le chant opératique stylisé : « Je pense que la voix parlée est une voix chantée chaotique », lance-t-il, cernant de près, dans la série d'entretiens qu'il accorde à Sarah Pieh, les enjeux de ce nouveau genre désigné sous le vocable un rien facétieux de « Thinkspiel » (La pensée du jeu). La nuit de Gutemberg s'intéresse à l'écriture, Kein licht à l'écologie, soulevant le problème du nucléaire après la catastrophe de Fukushima ; sur les traces de Kein Licht, Lab.Oratorium (2019), troisième volet de « la trilogie Köln », se penche sur le problème des migrants : autant de questions de société ancrées dans l'actualité que le compositeur veut porter à la scène sans pour autant revendiquer un engagement politique : « Ma pensée est avant tout esthétique. C'est considérable, l'esthétique », tient-il à préciser… Le plaisir du son aussi, dont ce découvreur d'inouï poursuit sans relâche l'exploration.
Création de La Nuit de Gutemberg de Philippe Manoury à Musica
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Entretiens avec Philippe Manoury : La musique en questions. Éditions Aedam Musicae. 210 p. 28 €. Mai 2020
Aedam Musicae