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L'anniversaire des trente ans du Conservatoire de Paris à la Villette fêté en digital les 6 et 7 décembre prochain, est l'occasion pour sa directrice Émilie Delorme, de nous présenter le CNSMDP de demain avec ses projets de mandat et les réponses de l'institution face à la situation sanitaire.
ResMusica : Vous avez pris vos fonctions au CNSMDP deux mois avant le premier confinement et la fermeture des établissements, comment avez-vous vécu cette entrée en matière ?
Émilie Delorme : L'un des axes forts de mon projet pour le Conservatoire était de mettre en place une gouvernance contributive, où chacune et chacun est partie prenante de la vie de l'institution. Aussi, lorsque j'ai pris mes fonctions de directrice, j'ai tenu à ce que le premier acte de mon mandat soit une vaste concertation entre la direction, des professeurs, des étudiants et des agents : un travail collaboratif d'une ampleur inédite qui a abouti à la rédaction du projet d'établissement que nous venons d'adopter. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en limitant les possibilités de réunion, la crise sanitaire a rendu cette concertation acrobatique. Acrobatique mais pas impossible. J'ai profité de chaque instant avant le début du confinement pour rencontrer et écouter un maximum de personnes.
Lorsque les premiers signaux annonçant l'arrivée de la crise ont été décelés, nous avons tout de suite mis en place une organisation permettant d'anticiper chaque étape, de prendre des décisions rapidement et de les communiquer. En faisant voler en éclat tout ce qui faisait le quotidien de cette maison, en nous obligeant à nous adapter constamment et souvent dans l'urgence, en déjouant nos projections, cette crise nous a incités à réviser nos modes de réflexion, à envisager des scenarii qui auraient été auparavant inenvisageables, à prendre la mesure de l'urgence qu'il y a à penser l'avenir. Au fond, la crise a accéléré la période de prise de fonction.
RM : De quelle façon le Conservatoire a-t-il pu s'adapter et s'organiser depuis la rentrée, puis avec ce nouveau confinement, et à présent devant la date lointaine de reprise des cours en présentiel ?
ED : Le Conservatoire est une communauté d'environ 2000 personnes. Il nous faut donc en permanence trouver un bon équilibre en une réduction drastique de personnes présentes sur le site et une présence minimum pour la pratique instrumentale, technique et chorégraphique afin que nos étudiants et étudiantes puissent continuer à pratiquer leur discipline et progresser dans leur cursus. On ajuste donc sans cesse ce curseur, ce qui demande beaucoup d'agilité dans les équipes.
RM : Quelle est la place des nouvelles technologies dans les enseignements actuels ?
ED : Nous nous sommes équipés en outils informatiques et audiovisuels pour permettre une amélioration des conditions d'enseignement à distance ou d'enseignement mixte. Cela permet aux enseignants d'être dans nos salles de cours pendant que les étudiants sont chez eux ou inversement. La gestion des cas contacts requiert notamment de pouvoir passer de façon simple d'un système ou à l'autre. Tout cela a nécessité un accompagnement sur le plan technique et pédagogique sur lequel nous travaillons encore. Nous avons également déployé des outils collaboratifs en ligne.
En outre, l'un des projets les plus ambitieux que j'entends porter au cours de mon mandat est la constitution d'un centre rassemblant en un même espace des activités de pointes dans les champs audiovisuel et numérique : un studio de pratique artistique, un centre de résidences de création, un studio d'enregistrement, de captations, de tournage et un espace d'expérimentation et de recherche, particulièrement tourné vers l'interactivité, la réalité virtuelle, la réalité augmentée, la spatialisation du son. Un tel lieu nous offrirait des possibilités fantastiques : imaginons par exemple un étudiant qui projette de donner un concert dans une cathédrale. Grâce à la modélisation 3D, il peut reconstituer en studio l'acoustique du monument. Nous avons toutes les cartes en main, pour que le Conservatoire devienne un lieu de référence dans ce domaine, dont le rayonnement international pourrait attirer les artistes et chercheurs du monde entier.
RM : Le CNSMDP fête ses 30 ans à La Villette : que représente cet anniversaire pour l'établissement ?
ED : L'implantation du Conservatoire à La Villette, la constitution d'un pôle musical incluant la Cité de la Musique et désormais la Philharmonie est l'un des événements majeurs de la vie musicale française de ces dernières décennies. Cette installation dans ce nouveau bâtiment conçu par Christian de Portzamparc a permis à l'institution de se réinventer : avoir trois salles de spectacles qui tournent simultanément a permis une vraie pratique de la scène et de la rencontre avec les publics qui est essentielle dans la formation des artistes. Ce bâtiment a permis également à la danse de prendre sa juste place dans l'institution, tout comme la création du département de jazz ou de la formation supérieur aux métiers du son. Le développement des espaces pour la pratique collective de la musique a également été crucial. La proximité avec la Philharmonie et ses orchestres résidents ainsi qu'avec le CND a permis de créer une dynamique de site formidable. Mais au-delà du bâtiment, ce déplacement géographique de la rue de Madrid au parc de La Villette était également symbolique : à la frontière de Paris et de la périphérie, non au centre mais à la croisée de savoirs et de cultures en perpétuel mouvement. Célébrer cet anniversaire est l'occasion de faire le bilan de ces 30 années et de se projeter dans l'avenir dans une période de crise du secteur culturel.
RM : 30 ans après, le bâtiment de Christian de Portzamparc est -il toujours aussi fonctionnel ?
ED : L'architecture visionnaire de Christian de Portzamparc continue de porter le projet et ses amples espaces permettent d'envisager beaucoup de possibles. Une importante campagne de rénovation se poursuit jusqu'en 2025. Elle devrait permettre de rendre le bâtiment plus convivial, au sens fort du terme : un lieu où l'on peut vivre les uns avec les autres, ce qui est la pierre angulaire de mon projet.
RM : Comment vont se dérouler les deux journées anniversaire les 6 et 7 décembre ? Notamment avec leur adaptation à la situation actuelle, c'est à dire en digital ?
ED : Aux contraintes de la situation actuelle, nous répondons par la création et par la pensée : pendant deux jours, nous diffuserons des projets captés ces derniers mois : une riche programmation de musique et de danse incluant des pièces magnifiques données par notre Ensemble Chorégraphique de Benjamin Millepied, Maud Le Pladec, Andy de Groat, Emanuel Gat, Trisha Brown, Merce Cunningham, un concert de jazz, des créations de nos étudiants en composition, … Cette programmation en partenariat avec France Musique s'articulera avec trois débats – réunissant quelques acteurs majeurs du monde de la culture actuel – autour des grandes questions du projet que nous portons pour le Conservatoire.
Enfin, une toute nouvelle plateforme numérique – scène de demain – présentera sur notre site les récitals imaginaires conçus par les artistes diplômés en juin 2020. Chaque projet est une invitation à faire découvrir au public et aux professionnels une nouvelle génération d'artistes.
RM : Comment voyez-vous l'avenir du CNSMDP pour la prochaine décennie ?
ED : Le Conservatoire est un lieu d'excellence et il nous revient de perpétuer cette excellence. L'institution a toujours porté des valeurs progressives : en 1795, le décret portant à la création du conservatoire affirme la nécessité de former les hommes comme les femmes. Un siècle plus tard, le décret portant à son organisation insiste sur l'importance de la gratuité de l'enseignement. Nous sommes les héritiers de cette Histoire que nous continuons à écrire. Nous devons tout mettre en œuvre pour que les musiciens et les danseurs que nous formons s'épanouissent et se réalisent artistiquement, qu'ils s'inscrivent pleinement dans la société et soient capables de prendre part à ses évolutions. Pour cela, il nous faut construire un cadre sécurisé, bienveillant, dans lequel chacune et chacun ait une voix et puisse prendre part à la vie de l'établissement. Je souhaite un Conservatoire ancré dans la société et ouvert sur le monde : pour continuer à jouer son rôle de boussole, l'excellence doit être mise en mouvement, conjuguée au présent.
Crédits photographiques : © Ferrante Ferranti / CNSMDP
Les 30 ans du Conservatoire de Paris à la Villette en digital