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Nice. Opéra. 01-XI-2020. Philip Glass (né en 1937) : Akhnaten, opéra en 3 actes sur un livret de Philip Glass, en collaboration avec Shalom Goldman, Robert Israël et Richard Ridell. Mise scène et chorégraphie : Lucinda Childs. Scénographie et costumes : Bruno De Lavenère. Lumières : David Debrinay. Vidéo : Étienne Guiol. Avec: Fabrice Di Falco, Akhnaten ; Julie Robard-Gendre, Néfertiti ; Patrizia Ciofi, Reine Tye ; Joan Martín-Royo, Horemhab ; Frédéric Diquero, Amon ; Vincent Le Texier, Aye ; Lucinda Childs, Amenhotep (rôle parlé) ; Karine Ohanyan, Rachel Duckett, Mathilde Lemaire, Vassiliki Koltouki, Annabella Ellis, Aviva Manenti, Six filles d’Akhenaton. Avec la participation des danseurs du Pôle National Supérieur Danse Rosella Hightower. Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Nice, direction musicale : Léo Warynski
Concert sans public diffusé sur le site de l’Opéra de Nice
Après Strasbourg, c'est au tour de Nice d'accueillir un des plus beaux opéras du XXᵉ siècle : Akhnaten de Philip Glass, donné sans public dans la salle, mais filmé.
« Cette partition est complètement hypnotique, elle nous emporte ailleurs, ne peut laisser personne insensible, et donne la chair de poule ! » Comment dire mieux que Bertrand Rossi la force, après Einstein on the beach et Satyagraha, de ce troisième opéra-portrait de Philip Glass, avec lequel l'ex-directeur adjoint de l'Opéra du Rhin inaugure son premier mandat à la tête de l'Opéra de Nice.
Dès sa parution discographique en 1987 (Dennis Russell Davies, CD Sony), il sautait aux oreilles qu'avec ses moyens pharaoniques (un grand orchestre même privé de ses violons, des solistes et un chœur du grand opéra même si le livret est en égyptien ancien/akkadien/hébreu biblique), Akhnaten, avec son aspiration mélodique inspirée, son orchestration fascinante (bien campée sur les fondements d'une période « minimaliste » que le compositeur allait refermer) allait devenir une des œuvres-phares du répertoire. Akhnaten fut, de l'aveu de Peter Gelb, le plus grand succès de la dernière saison du Met. Paris attend toujours. Et en attendant, Strasbourg, pour la création française de 2002, importe de Boston la mise en scène de Mary Zimmerman. Nice frappe aujourd'hui un grand coup en faisant appel à une fidèle de la première heure : Lucinda Childs.
Lucinda Childs fut, dès 1976, la chorégraphe-danseuse-comédienne-librettiste-narratrice d'Einstein on the beach. Appelée en 2020 aux commandes de cet Akhnaten sur la Baie des Anges, le protocole sanitaire l'aura contrainte à la visio-conférence. Sur le modèle, pour de toutes autres raisons, de Kirill Serebrennikov, dont le Barbier et le Così avaient néanmoins atteint des sommets d'intelligence en matière de direction d'acteurs.
De type contemplatif, Akhnaten peut se satisfaire d'un trait stylisé. Hiératisme wilsonien pour tous : solistes vêtus à l'antique, chœur en tenue de soirée. Le début, proprement sublime, emmène le spectateur dans ce Tunnel du temps que la musique figure si bien : tandis que le Scribe clame haut que « les doubles portes de l'Horizon sont ouvertes », la vidéo fascinante d'Étienne Guiol lance des entrelacs de lignes et de signes au cœur desquels apparaît le rôle-titre juché sur une ellipse cerclée de lumière. La première excellente idée, c'est que Le Scribe, c'est Lucinda soi-même. Son altière silhouette filmée en noir et blanc domine le plateau. Délaissant la volonté du compositeur de dire le texte parlé du Scribe dans la langue de l'audience, elle ressuscite de sa diction magnétique le temps d'Einstein. La seconde, c'est que l'essentiel se jouera sur cette ellipse solaire animée de rotations et d'inclinaisons successives, surgie d'un noir d'encre évoquant les plateaux cosmiques du Neues Bayreuth des Frères Wagner. Hormis quelques éclairages à peaufiner sur le rouge du fond de scène, l'hypnose est, à l'aune de la musique, totale.
Mais, alors que les douze tableaux d'Akhnaten semblaient ne jamais devoir quitter de telles cimes, voici que, pile au mitan de l'œuvre, après une Dance en apesanteur irrésistible (gracieux alliage de la vidéo et des danseurs du Pôle National Supérieur Danse Rosella Hightower), le long Hymne solaire de la profession de foi monothéiste d'Akhenaton se voit abruptement amputé de sa conclusion chorale. Ses 14 minutes n'en font plus que 9. Pis : le troisième tableau de l'Acte III est intégralement biffé, privant le spectateur de la malicieuse et si émouvante mise en abyme temporelle imaginée par le librettiste (Glass lui-même) montrant des touristes d'aujourd'hui errant dans les ruines de Tell Al Armana, trois millénaires après la destruction d'Akhetaton par les contempteurs d'un pharaon visionnaire dont les 17 ans de règne n'avaient pas fait l'unanimité. Monothéiste, androgyne, mais aussi probablement… incestueux, Akhenaton, divisant aujourd'hui encore égyptologues de tous bords, est une provocation qui traverse le temps. En lieu et place du très prenant rappel à l'ordre temporel que la partition amplifie par le retour cyclique de la musique du premier tableau, la maîtresse de cérémonie se lance in extremis dans un prosaïque finale freudien où le mythe Néfertiti en prend un coup avec l'ultime image d'un Akhenaton préférant sa mère à sa femme. Tout ça pour ça ?
La captation a été réalisée avec beaucoup de soin aux tout premiers instants du second confinement. Les plans sur la fosse donnent à voir la fabrication de cette musique étrange et novatrice au détriment de quelques enchaînements visuels. La barre musicale est placée à belle hauteur par Léo Warynski dont la direction émue, pulsante, nuancée et spectaculaire (magnifique profondeur percussive) guide avec succès les musiciens et le chœur niçois sur les rivages inconnus de la planète Glass, habitée par une luxueuse distribution : très engagés, Joan Martín-Royo, Frédéric Diquero et Vincent Le Texier sont de parfaits méchants polythéistes. Le sérail du CALM (Centre Art Lyrique de la Méditerranée) a fourni 5 des 6 gracieuses filles du Pharaon. Patricia Ciofi ajoute à sa glorieuse carrière une Reine Tye d'une intense conviction. Julie Robard-Gendre est une sculpturale Néfertiti face à Fabrice di Falco, dont l'Akhenaton ardent, entre séduction et machiavélisme, s'inscrit dans le sillage tracé par Paul Esswood.
Restent la question qui fâche quant à la coupure d'une œuvre qui n'est pas si longue (2h10). Vingt minutes essentielles disparues. Comment la fidèle des fidèles a-t-elle pu ? Cette béance musicale (et scénique) grève non sans mélancolie une entreprise que tout appelait à faire date. Faisons le vœu qu'elle soit comblée, puisque cet Akhnaten, dont les Niçois peuvent s'enorgueillir, est fort heureusement reprogrammé pour sa saison 2021/2022.
Crédits photographiques © Bruno de Lavenère
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Nice. Opéra. 01-XI-2020. Philip Glass (né en 1937) : Akhnaten, opéra en 3 actes sur un livret de Philip Glass, en collaboration avec Shalom Goldman, Robert Israël et Richard Ridell. Mise scène et chorégraphie : Lucinda Childs. Scénographie et costumes : Bruno De Lavenère. Lumières : David Debrinay. Vidéo : Étienne Guiol. Avec: Fabrice Di Falco, Akhnaten ; Julie Robard-Gendre, Néfertiti ; Patrizia Ciofi, Reine Tye ; Joan Martín-Royo, Horemhab ; Frédéric Diquero, Amon ; Vincent Le Texier, Aye ; Lucinda Childs, Amenhotep (rôle parlé) ; Karine Ohanyan, Rachel Duckett, Mathilde Lemaire, Vassiliki Koltouki, Annabella Ellis, Aviva Manenti, Six filles d’Akhenaton. Avec la participation des danseurs du Pôle National Supérieur Danse Rosella Hightower. Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Nice, direction musicale : Léo Warynski
Concert sans public diffusé sur le site de l’Opéra de Nice