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L'œuvre de l'Américain Samuel Barber contient des réalisations magnifiques et peu souvent interprétées, en particulier en Europe. Son Concerto pour violon, composé il y a 80 ans, appartient au meilleur du genre pour l'ensemble du XXe siècle.
Le positionnement esthétique de Samuel Barber (1910-1981) échappe à toute classification stricte tant sa création aborde avec brio les rives du romantisme et du lyrisme sans pour autant paraître anachronique ou démodée.
Le compositeur bénéficia presque toute sa vie d'une notoriété indifférente aux écoles, chapelles et modes avant-gardistes. Son authenticité créatrice englobe mais également surpasse la renommée exceptionnelle de son fameux Adagio pour cordes qui le rendit célèbre du jour au lendemain.
Genèse compliquée d'un chef-d'œuvre
Quelques mois après avoir composé cet Adagio pour cordes op. 11 en 1938, Samuel Barber s'attelle à une partition merveilleuse et dispensatrice d'un bonheur auditif qui ne peut que ravir tout auditeur prenant le temps de l'aborder sans a priori. Ce chef-d'œuvre, le Concerto pour violon et orchestre op. 14, résulte d'une commande destinée à un jeune prodige.
Le riche directeur d'une grande marque de savons, Samuel Fels, par ailleurs mécène et administrateur du fameux Curtis Institute of Music de Philadelphie où Samuel Barber a suivi sa formation musicale, lui passe la commande d'un Concerto pour violon pendant l'hiver 1938-39. Il destine la partition à son fils adoptif originaire de Russie, Iso (Isaak) Briselli, un élève de Carl Flesch et compagnon de Barber à l'Institut, moyennant la somme de 1 000 dollars.
Barber élabore sa partition dès l'été 1939 pendant un séjour en Europe, plus précisément à Sils-Maria en Suisse, et adresse les deux premiers mouvements achevés à Briselli, qui en retour, leur reproche trop de simplicité et pas assez de brillant. En réaction, le compositeur lui propose un finale particulièrement riche de virtuosité et poursuit sa tâche créatrice à Paris. Contrairement à ses plans, il n'y achèvera par son Concerto car dès août 1940, en raison de la situation politique dramatique, tous les Américains s'y trouvant doivent quitter promptement l'Europe. Barber et son compagnon Gian Carlo Menotti rentrent en bateau. Le Concerto n'est pas terminé.
Arrivé début septembre aux Etats-Unis, il passe un mois dans la maison de sa famille à Pocono en Pennsylvanie, où il met le point final à son concerto. Mais, nouvelle contrariété, après en avoir pris connaissance, Briselli juge le mouvement trop difficile. L'avance financière est réclamée mais Barber, qui a tout dépensé en Europe, ne peut, ni ne souhaite s'exécuter. Afin de clarifier la situation, il fait appel à un autre violoniste pour interpréter le dernier volet de l'œuvre. Elle n'est pas injouable ! Briselli recule, Fels paye le solde de sa commande. En vérité, Briselli était tout à fait capable techniquement d'interpréter le Concerto pour violon de Barber mais il semble ne pas avoir été totalement convaincu par le climat de l'œuvre. Barber refusa de procéder aux importantes modifications suggérées par le virtuose et finalement ce dernier renonça à son droit de le créer.
En octobre, Barber contacte le violoniste américain Albert Spalding qui lui apprécie et accepte sa musique. Il en sera donc le créateur lors d'un concert donné à Philadelphie le 7 février 1941. Le célèbre chef Eugène Ormandy dirige le Philadelphia Orchestra. Le succès public est exceptionnel.
Après l'audition, Barber jugea nécessaire de procéder à une révision de sa partition, qu'il réalisa en 1948-49. La version finale fut présentée au public américain en janvier 1949 par Ruth Posselt et l'Orchestre symphonique de Boston, placés sous la direction du chef russe Serge Koussevitzky émigré aux États-Unis depuis 1924.
Structure
Le premier mouvement de forme sonate du Concerto est noté Allegro. Le climat se complaît dans un registre lyrique, délicat et apaisé. Barber l'enrichit d'une mélodie prégnante qui apparaît dès le début. Immédiatement, le thème principal est exposé par un long trait à la clarinette expressive. Le discours avance vers un trait violent, légèrement dissonant et bref, tout en restant proche du premier thème.
Le second mouvement, Andante, de forme ABA, commence par un thème obsédant confié au hautbois. Le second thème revient au violon soliste que les cordes amplifient et développent avant de l'installer dans un registre introspectif impressionnant et sombre.
Le troisième et dernier mouvement, Presto con moto perpetuoso, constitue une prouesse inoubliable où le violon soliste s'oppose aux rythmes fougueux et volcaniques de l'orchestre. Il recèle aussi des dissonances parfaitement intégrées au discours proposé.
Les 22 minutes que dure le Concerto pour violon de Samuel Barber distillent une atmosphère intime, sentiment sans doute lié à l'effectif de l'orchestre qui fait appel à huit bois, deux cors, deux trompettes, des percussions, un piano et des cordes. L'œuvre est une authentique réussite, mélancolique, sensuelle, lyrique, jamais mièvre, avec des sections plus torturées mais aussi des passages brillamment enjoués et virtuoses. Les qualificatifs de passéiste ou de moderne ne s'adressent pas à cette partition sincère et singulière, née d'une inspiration confondante, indifférente aux modes.
Conseils d'écoute
Gil Shaham (violon), Orchestre symphonique de Londres, direction : André Previn. Enregistrement réalisé au Henry Wood Hall, Londres, en juin 1993. Durée : 22:51. Deutsche Grammophon. Couplage : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35 de Erich Wolfgang Korngold
James Buswell (violon), Orchestre national d'Écosse, direction : Marin Alsop. Enregistré le 27 janvier 2001, Henry Wood hall, Glasgow. Durée : 23:02. Naxos. Couplé avec Souvenirs (Suite de ballet), Sérénade pour cordes et Musique de scène de Shelley de Barber
D'autres versions, très nombreuses, méritent aussi l'attention. Nous avons sélectionné : Louis Kaufman, Orchestre du Festival de Lucerne, direction Walter Goehr, le premier enregistrement de l'œuvre en 1953 (Music & Arts) ; Isaac Stern, Orchestre philharmonique de New York, direction Leonard Bernstein, Sony (1963) ; Hilary Hahn, Orchestre de chambre de Saint-Paul, direction Hugo Wolff, Sony (1999), Itzhak Perlman, Orchestre symphonique de Boston, direction Seiji Ozawa, Warner Classics (1994)
Lectures pour compléter
Barbara HEYMAN, Samuel Barber, The Composer and His Music, Oxford University Press, 1992
Peter DICKINSON, Samuel Barber Remembered. A Centenary Tribute. University of Rochester, 2010
Pierre BREVIGNON, Samuel Barber. Un nostalgique entre deux mondes, Hermann Éditeur, 2011
Barbara HEYMAN, Samuel Barber. A Thematic Catalogue of the Complete Works, Oxford University Press, 2012
Jean-Luc CARON, Samuel Barber, Bleu Nuit Éditeur, 2019
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