Le monde de la musique classique belge à l’heure du Covid-19
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Dans un pays déchiré par une crise politique et communautaire sans précédent, la pandémie du Covid-19 a, en Belgique, causé des ravages tant sur le plan du bilan sanitaire particulièrement mortifère que sur celui d'une activité culturelle et musicale, en particulier « classique », mise par voie de force en veilleuse. Retour sur la crise et état des lieux.
Sans tomber dans la sinistrose ou noircir le tableau, la Belgique a jusqu'ici payé déjà un très lourd tribut en vies humaines lors de la crise sanitaire toujours en cours liée à la Covid-19. Le décompte mortifère annonce aujourd'hui plus de dix mille décès liés au coronavirus, ce qui au prorata de la population constitue un record mondial, dans un petit pays à la densité de population très élevée. On est loin des statistiques bien meilleures affichées par les lands germaniques frontaliers ou par le Grand-Duché de Luxembourg, ayant tous deux misé sur un testing efficace ou, autre exemple, par les Pays-Bas, malgré un confinement moins drastique mis en œuvre auprès d'une population naturellement disciplinée dans le sens de l'intérêt commun.
Pour simplifier on peut dire que la Belgique a suivi les décisions françaises… avec une à deux semaines de décalage temporel. Si on y ajoute la lasagne institutionnelle belge (neuf ministres compétents aux différents niveaux de pouvoir en matière de gestion sanitaire), un sous-financement chronique de la sécurité sociale (et en particulier des hôpitaux), outre le laxisme de la ministre fédérale de la Santé publique, et une interminable crise post-électorale (ayant mené la Première ministre Sophie Wilmès à diriger à vue un gouvernement ultra-minoritaire doté de pouvoirs spéciaux et d'une majorité parlementaire de pure façade, vu l'urgence) la catastrophe était inévitable.
La situation a évolué en ce début octobre avec enfin l'avènement d'un « vrai » gouvernement, placé sous la houlette du Flamand libéral Alexander Decroo, patchwork de sept partis (!) issu du scrutin… de mai 2019, mais la situation devant l'émergence d'une possible deuxième vague de la pandémie de plus en prégnante demeure préoccupante, vu les délais impartis à toute prise de décision fondamentale pour un gouvernement flambant neuf.
En mars 2020 la gestion chaotique d'une pandémie pourtant annoncée, et ses répercussions sur les milieux artistiques ou musicaux
Revenons-en à la journée du 12 mars 2020, décisive pour les mois à venir. Un conseil national de sécurité réunissant toutes les autorités fédérales est convoqué pour orienter les décisions : arrêt complet de l'enseignement (de la maternelle au supérieur universitaire), gestion hospitalière axée sur l'accueil des cas covid-19 avérés, fermeture généralisée des hôtels restaurants et cafés, restrictions drastiques en matière d'activités sportives ou culturelles…
En ce qui concerne les concerts dans un tout premier temps, les autorités imaginent brièvement encore une jauge maximale des salles fixée à un maximum de 800 places à l'instar des mesures prises quelques jours avant en France par le gouvernement d'Édouard Philippe.
Le 10 mars, l'Orchestre national de Belgique joue encore devant une salle comble ! Mais, dans les faits, dès ce jeudi après-midi là, ironiquement très printanier, la plupart des institutions bruxelloises jettent le gant avant tout communiqué officiel et font connaître leur décision, prise la mort dans l'âme, sur leur site internet ou via les réseaux sociaux.
Flagey annonce la suspension de ses activités pour une « période indéterminée », et annule dans la foulée en cette année Beethoven (presque oubliée depuis le début de cette pandémie) l'intégrale des quatuors à cordes par le Cuarteto Casals, la veille même du premier concert du cycle prévu sur cinq jours consécutifs. La Monnaie annule les dernières représentations de la trilogie Da Ponte revue et corrigée par Le Lab. L'Opéra de Wallonie fait de même pour toutes les dates de la production très attendue, et paraît-il d'une poésie presque irréelle, selon les spectateurs de la couturière, de La Sonnambula de Bellini dans la mise en scène de Jaco Van Dormael. L'Opéra Ballet Vlaanderen emboîte le pas, de même que tous les orchestres du Royaume, à l'annonce de l'interdiction pure et simple de tout rassemblement culturel à dater du 14 mars, quatre jours avant un confinement généralisé pour tous les citoyens, imposé le 18 mars à treize heures précises.
Les mesures seront pour les salles de spectacles prolongées de proche en proche, de conseil de sécurité en conseil de sécurité jusqu'à la date buttoir du 30 juin.
Les réactions des artistes : leurs délégations, leurs comités d'action, leurs fonds de soutien
Les initiatives privées se multiplient dès la fin mars avec des capsules musicales sur les réseaux sociaux ou la retransmission en direct de concerts privés tels quelques uns «sur le toit » autour du pianiste Stéphane Ginsburgh et de la soprano Sarah Defrise et de leurs amis, lesquels interrompent au bout de quelques semaines leur retransmission pour permettre une réflexion plus approfondie sur le statut de l'artiste-musicien et de sa rémunération en ce contexte exceptionnel.
Car une réflexion de fond et une action plus structurée, sur le plan socio-politique s'avère vite indispensable. En effet, si certains musiciens ou agents sous contrat d'emploi peuvent bénéficier d'allocations de remplacements sous l'une ou l'autre forme, de nombreux autres jeunes ou moins jeunes, artistes indépendants, ne bénéficient que d'un statut assez bancal en Belgique (eu égard à celui des intermittents du spectacle français) sur le plan social et sont ainsi gravement fragilisés sur le plan économique par l'annulation sans compensation financière de toutes les manifestations musicales prévues. Beaucoup d'entre eux ne peuvent alors prétendre aux droits-passerelle accordés par le gouvernement fédéral pour soutenir les petites et moyennes entreprises et les indépendants. Plusieurs réunions très constructives ont lieu entre comités d'artistes et parlementaires ou ministres et mènent dès fin mai à des projets de loi, mais c'est sans compter sur les ronds de jambes de certains partis du Nord du pays, associés aux libéraux francophones qui jugent la situation non urgente et renvoient plusieurs fois la copie à la Cour des Comptes.
Début juillet, la Chambre des représentants accouche de quatre mesures « Covid » d'aides aux artistes mais très limitées dans le temps : sont ainsi autorisées jusqu'au 31 décembre 2020 l'autorisation temporaire du cumul d'allocations de chômage et de droits d'auteur, la prolongation pendant sept mois du dispositif de non-dégressivité du chômage, la même prolongation concernant le délai durant lequel l'artiste peut refuser un emploi hors secteur, et l'assouplissement de l'accès au statut d'artiste reconnu pour les jeunes frappés par la crise du Covid. C'est mieux que rien mais les comités d'artistes sont déçus, ils n'obtiennent pas l »année blanche » demandée et obtenue par d'autres secteurs.
Plusieurs autres collectifs mènent à la création de fonds de soutiens alternatifs d'initiative privée, telle le fond « spar(t)adrap », créé des fin mars, favorisant la collecte citoyenne et solidaire de fonds pour les artistes en difficulté.
Le déconfinement partiel de la vie musicale à partir du premier juillet
Mais au-delà de ces considérations socio-économiques certes primordiales, les artistes et musiciens demandent surtout à pouvoir de nouveau s'exprimer en public. Officiellement par la voix de la Première ministre Sophie Wilmès le gouvernement fédéral « veut éviter une deuxième vague de Coronavirus, c'est pourquoi il ne s'engage pas avant le conseil national de sécurité à fixer un calendrier précis pour la relance du secteur. »
La jauge très prudente est fixée au premier juillet à 200 personnes en intérieur, et 400 en extérieur, sous réserve d'une éventuelle révision à la baisse de la capacité autorisée en cas de rebond épidémique, tel celui de fin juillet, après les nombreux clusters diagnostiqués à Bruxelles et Anvers. Pour les prestations d'orchestres, les distances de sécurité (un mètre cinquante en Belgique) et les paravents en plexiglas devant les instruments à vents, voire les éventuels chanteurs, sont incontournables. Les concerts sont brefs (une heure environ) sans entractes. Les vestiaires, foyers ou buvettes restant clos.
Certaines initiatives locales se voient autorisées, telle cette série de concerts en tout genre prévue dans le cadre très romantique de l'Abbaye de Villers. Il nous a été ainsi permis d'y assister dès ce premier jour de permission au concert de l'orchestre de chambre Nuove Musiche d'Eric Lederhandler notamment dans une pulpeuse et incisive Symphonie n° 4 de Beethoven, souriant retour à la musique vivante en un site enchanteur pour quelques dizaines d'auditeurs privilégiés ravis malgré les contraintes et la fraîcheur humide de ces séculaires ruines. Premier concert depuis des mois pour beaucoup de mélomanes.
A Bruxelles, le Festival Musiq 3 à Flagey, rendez-vous de la fin juin incontournable et décontracté voit sa programmation globalement reportée d'un an, seule la soirée du vendredi 26 juin est maintenue pour… une diffusion en direct sur la chaîne communautaire culturelle belge. Le reste du week-end est consacré – autour de la thématique des héros, celle du Festival de Wallonie, qui tombe à pic en ce contexte morose – à des rediffusions des meilleurs moments des éditions précédentes. L'antenne Brabant Wallon du même festival programmée en octobre est maintenue mais dans des limites de jauges rapidement atteintes.
Le paquebot Flagey traversera juillet et août avec une heureuse initiative plus internationale, avec un concert le dimanche soir au cours desquels on a le plaisir de retrouver sur place pour une poignée de privilégiés (compte tenu de la jauge maximale) ou à la radio des artistes tels que Denis Kozhukhin, Severin Von Eckardstein, Claire Désert, le duo Vineta Sareika-Amandine Savary, ou encore le guitariste de jazz belge Philippe Catherine, des musiciens souvent invités en marge de la sortie de leur nouveau disque.
Des festivals d'été à la programmation réadaptée
Il est évidemment impossible de faire le tour de toutes les initiatives et festivals estivaux en Belgique. Nous nous limiterons à quelques cas particulièrement emblématiques, qui tous présentent une facette du désarroi tant des organisateurs que des concertistes.
A Bruxelles, le Festival des Midis-Minimes programme sur l'heure de table en semaine, des concerts brefs et sans entracte durant les mois de juillet et d'août. Il limite scrupuleusement le nombre de places, moyennant une liste d'attente, et parvient à annoncer vingt-et-un concerts donnés là surtout par des artistes belges ou résidents en Belgique. A partir de début août, la norme sécuritaire étant abaissée de moitié (100 personnes maximum en intérieur), les artistes accepteront de dédoubler leur récital pour permettre à tous les auditeurs ayant réservé d'assister au concert tant désiré.
Le festival de Wallonie voit sa programmation estivale gravement amputée. Son antenne namuroise, traditionnellement centrée sur les répertoires anciens et baroques, se contente de rediffusion en streaming sauf pour le seul concert « L'Arche de Noé » destiné à fêter en une Église Saint-Loup sécurisée à l'extrême et quasi déserte le dixième anniversaire de Leonardo García Alarcón à la tête du Chœur de Chambre de Namur. Le public est invité à suivre en radio, en streaming ou… sur écran géant sur le parking de la Citadelle réaménagé en « drive-in » de fortune cette rétrospective conçue tel un « best of ».
A Saint Hubert ou à Stavelot, l'essentiel de la programmation du Festival de Wallonie est également annulé, seules, en guise de lot de consolation, quelques manifestations mettant en valeur quelques-uns des meilleurs chambristes belges pour des courts récitals surtout destinés au streaming peuvent avoir lieu devant un public volontairement clairsemé et trié sur le volet.
Le festival de l'été mosan quant à lui se limite à quatre brefs prestations en l'église abbatiale Saint-Pierre d'Hastière le 21 juillet, jour de la fête nationale toujours dignement fêtée en cette localité : une manifestation sympathique confiée à des artistes belges (Quatuor Akhtamar, l'ensemble inAlto d'Alice Foccroule, Julien Libbeer en récital et le duo Sylvia Huang – Eliane Reyes).
Les perspectives de la rentrée
Avec un mois de recul et de nombreux conseils de sécurité nationale rassemblant les différentes entités fédérées, les mesures prises fin septembre semblent paradoxalement assouplir les normes, alors que le nombre de cas détectés (et à leur suite, le nombre d'hospitalisations de patients placés en soins intensifs et de décès liés à la covid-19) repart à la hausse.
La culture est, en dehors des musées nationaux et des entités musicales nationales, du ressort des communautés de langues. Les autorités bottent en touche en limitant toujours le nombre officiel de spectateurs à 200 participants en intérieur, mais en laissant la faculté aux bourgmestres (les maires belges) et à leurs échevins (adjoints au maire) d'autoriser un relèvement de la jauge au cas par cas.
Les normes de distanciation physique sont de mises sur la scène, ce qui devient parfois problématique pour certaines œuvres difficilement programmables.
La Salle Henry Leboeuf au Palais des beaux-arts voit sa fréquentation acceptable relevée de 200 à 950 personnes, au gré des circonstances.
Flagey ou la salle philharmonique de liège inaugurent leur saison dans le respect strict des jauges normatives décrétées.
L'Opéra royal de Wallonie dispose environ des deux tiers de ses capacités pour les représentations de la Bohème, même si la maison doit se rabattre sur une version pour orchestre réduit dans la fosse. Hamlet d'Ambroise Thomas serait maintenu pour fin octobre si et seulement si le rebond actuellement constaté de la pandémie est endigué.
Transitoirement, la Monnaie ouvre sa saison courageusement par une création contemporaine, opéra-video joué en direct et confié à trois solistes, petit chœur et ensemble instrumental, le premier volet de la trilogie « Is This the end? » de Jean Luc Fafchamps, menée à bien malgré le décès soudain du chef d'orchestre Patrick Davin trois jours avant la création. Outre le récital de mélodies françaises confié à Sabine Devieilhe et Alexandre Tharaud, l'institution programme un autre opéra de chambre contemporain, »A l'extrême bord du monde » d'Harold Noben, inspiré par le suicide de Stefan Zweig et de son épouse, en exil au Brésil, œuvre donnée en unique représentation semi-scénique le 4 octobre, en espérant une reprise voire tournée après le retour de jours meilleurs. La grande salle rouvrirait de manière « réelle » pour les représentations du ballet Drumming d'Anne Teresa de Keersmaecker inspiré par la partition de Steve Reich et aussi pour Die Tote Stadt de Korngold (opéra au titre prophétique ?) toujours prévu pour octobre/novembre.
L'Opéra Ballet des Flandres ne présentera lui aucun opéra avant la fin de l'année 2021 et limite sa programmation à quelques concerts, récitals et spectacles de danse.
En matière de musique de chambre et de récitals, une institution aussi internationale que prestigieuse telle la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Waterloo peut s'enorgueillir d'une saison complète d'ores et déjà programmée, mettant en valeur élèves professeurs et artistes en résidence en ce haut-lieu musical belge, misant sur un recul de la pandémie et une assiduité du public.
Les principaux orchestres du pays ont pour le moment obtenu en fonction de la capacité et de la ventilation des salles une autorisation du relèvement de la jauge, jusqu'à nouvel ordre, que ce soient l'Orchestre royal philharmonique de Liège, l'Antwerp Symphony Orchestra ou le Belgian National orchestra (nouveau nom de l'Orchestre National, linguistiquement asexué). La programmation de Bozar et de Flagey est maintenue, mais certains spectateurs de Bozar ont refusé de voir le prix de leurs billets revus fortement à la hausse du fait de la réduction de la capacité.
La crise liée au Covid-19 a fait exploser les tensions à Bozar, où le directeur de la section musique Ulrich Hauschild, ayant pourtant effectué un travail irréprochable depuis huit saisons, est brutalement remercié, officiellement pour des raisons économiques, avec un préavis venant à échéance fixée au 31 décembre 2020. Soutenu par le personnel, il est toutefois remplacé par Jérôme Giersé. Car les tensions sociales semblent énormes, exacerbées par le contexte sanitaire, et par les pertes occasionnées. Au sein l'institution muti-culturelle, certains administrateurs parlent dans la presse belge d'un « problème Paul Dujardin » (le directeur général) aux méthodes peu diplomatiques (selon certains membres-patrons) voire carrément humiliantes ou insultantes selon les syndicats.
A l'heure où nous bouclons cet article, les perspectives sanitaires sont très moroses. La situation sanitaire à Bruxelles, « zone rouge écarlate » est très préoccupante, au moins autant que celle de Paris ou Marseille. Les services de soins intensifs tirent déjà la sonnette d'alarme. Tous les indicateurs (cas détectés, admissions à l'hôpital, nombre de décès liés à la Covid) ont quasi doublé en une semaine. Selon certains experts, si la situation continue de la sorte on ne pourra échapper à un second confinement généralisé. Ainsi les heures sont sombres, à la fois pour les artistes qui espéraient une relance de leurs activités au second semestre, et pour de nombreux « petits » organisateurs de saisons musicales aussi « provinciales » – ne les oublions pas car ils constituent à la fois un vivier et un relais de diffusion dans des zones plus reculées – que sympathiques et misant très souvent sur l'exigence musicale. De nombreux comités bénévoles sont inquiets : au-delà de la frustration et des engagements financiers contractés avec les artistes, il y a va aussi du lien humain avec des abonnés de longue date qui, peut-être fragilisés ou craintifs, ne reprendront pas le chemin de ces « petites » salles souvent moins sécurisées sur le plan sanitaire.
Plus que jamais en cet automne gris et maussade, plane un sentiment d'incertitude et d'impuissance face à la fatalité d'un mal pernicieux et pour l'instant sans réel remède.
Ne JAMAIS s’étonner de l’état de la musique en Belgique … En dépit de la reine Elisabeth, violoniste et musicienne accomplie … en dépit d’Eugène Ysaïe … selon le « mot » de Léopold II, « la musique est un bruit qui coûte cher » !!! Dès lors, pour un « Belge », c’est une malédiction que de naître BELGE .. Pour « percer, il DOIT, au choix émigrer à Berlin ou à Vienne (s’il est néerlandophone) … à Paris, s’il est francophone … AVANT que de revenir … « honoré » … au « pays » !!!