Récital de rêve avec Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson
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Luxembourg. Salle de Musique de Chambre. 7-X-2020. Hector Berlioz (1803-1869) : Les Nuits d’été (« Villanelle », « Le Spectre de la rose », « Sur les lagunes », « Absence », « Au Cimetière », « L’Île inconnue »). Henri Duparc (1848-1933) : « L’Invitation au voyage » ; « Phidylé » ; « La Vie antérieure ». Richard Strauss (1864-1949) : « Heimliche Aufforderung » ; « Die Nacht » ; « Befreit » ; « Morgen ». Reynaldo Hahn (1874-1947) : « L’Heure exquise ». Charles Gounod (1818-1893) : « L’Absent ». Francis Poulenc (1899-1963) : « Voyage à Paris ». Avec Benjamin Bernheim, ténor ; Carrie-Ann Matheson, piano
Dans un programme subtilement dosé, les deux artistes tiennent leur public en haleine. Triomphe du verbe, du chant, de la musique. Tous les éléments sont réunis pour faire de ce récital de choc un des événements musicaux de l'année.
Vous vous demandiez qui, entre Régine Crespin, Janet Baker ou Véronique Gens, avait votre préférence parmi vos versions discographiques des Nuits d'été ? C'était compter sans Benjamin Bernheim, qui viendra à point nommé vous rappeler que ce cycle de Hector Berlioz a été initialement conçu pour voix de ténor. Dès la « Villanelle », la mâle assurance du jeune chanteur remet les choses à leur place, débarrassant le texte de Théophile Gautier de toutes les afféteries et préciosités que d'autres avant lui ont laissées. Le volume conséquent de la voix, la clarté et le velouté du timbre, la netteté de la diction ont vite fait d'emporter l'adhésion du public. « Le Spectre de la rose » souligne la qualité de la mezza voce ainsi que la longueur du souffle, « Sur les lagunes » la beauté du legato. « L'Île inconnue » vous transporte au-delà des mers. Salonnard, Henri Duparc ? Que nenni ! À nouveau, « L'Invitation au voyage » vous ouvre des horizons infinis, « Phidylé » et « La Vie antérieure » sont autant de scènes tragiques qui vous laissent le souffle coupé avant de s'achever dans une douleur contenue. Comment ne pas chavirer devant l'onctuosité de ces « Repose, ô Phidylé » de rêve, quasiment chuchotés sur une caresse de la voix.
La qualité et la beauté de l'allemand n'ont rien à envier à celles du français, et les murmures parfaitement maîtrisés de « Die Nacht » et de « Morgen » n'ont d'égal que l'éclat enthousiaste de « Heimliche Aufforderung » ou les élans passionnés de « Befreit ». Que l'on ne s'y trompe pas, ce sont les moyens d'un futur Bacchus que l'on décèle derrière des accents aussi glorieux. Précieux, Reynaldo Hahn ? Que l'on se remémore la sobriété de cette « Heure exquise » susurrée du bout des lèvres, pour s'achever sur un ineffable pianissimo émis en voix mixte. Faut-il remonter à Nicolaï Gedda ou à Alain Vanzo pour se souvenir de tant de délicatesse vocale ? Le premier n'avait pas cette droiture de ligne, le second était dépourvu du naturel dans la diction qui est l'apanage des chanteurs d'aujourd'hui : Alagna, Degout, Dubois et quelques autres. La confection du programme, lequel s'achève sur le « Voyage à Paris » de Poulenc, permet même à Benjamin Bernheim de clore son récital sur la petite touche d'humour « Frenchie » qui ravira le public luxembourgeois.
Que dire de plus ! Au terme d'un concert d'une heure et quart, donné sans entracte – Covid oblige –, on s'en voudrait presque de s'habituer à tant de perfection. Qu'on se rassure, quelques erreurs sur le texte ou de rares décalages pourront donner raison aux quelques Beckmesser qui se délecteraient à trouver ici ou là un minime défaut. Et ce serait compter sans la présence attentive et bienveillante de Carrie-Ann Matheson, pianiste aux petits soins qui sait également imposer sa musicalité dans l'introduction et la conclusion de « Morgen ». Unique bis de la soirée, le songe de Des Grieux de Manon permet d'achever le rêve. Il eût été difficile de rester plus longtemps sur de telles hauteurs.
Crédit photographique : Benjamin Bernheim © Christoph Köstlin
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Luxembourg. Salle de Musique de Chambre. 7-X-2020. Hector Berlioz (1803-1869) : Les Nuits d’été (« Villanelle », « Le Spectre de la rose », « Sur les lagunes », « Absence », « Au Cimetière », « L’Île inconnue »). Henri Duparc (1848-1933) : « L’Invitation au voyage » ; « Phidylé » ; « La Vie antérieure ». Richard Strauss (1864-1949) : « Heimliche Aufforderung » ; « Die Nacht » ; « Befreit » ; « Morgen ». Reynaldo Hahn (1874-1947) : « L’Heure exquise ». Charles Gounod (1818-1893) : « L’Absent ». Francis Poulenc (1899-1963) : « Voyage à Paris ». Avec Benjamin Bernheim, ténor ; Carrie-Ann Matheson, piano