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À Genève, une Cenerentola de rêve

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Genève. Grand-Théâtre. 14-IX-2020. Gioachino Rossini (1792-1868): La Cenerentola opéra bouffe en deux actes sur un livret de Jacopo Ferretti d’après Perrault. Mise en scène et costumes : Laurent Pelly. Collaboration aux costumes : Jean-Jacques Delmotte. Décors : Chantal Thomas. Lumières : Duane Schuler. Avec : Carlo Lepore, Don Magnifico ; Anna Goryachova, Angelina ; Simone Del Savio, Dandini ; Simone Alberghini, Alidoro ; Edgardo Rocha, Don Ramiro ; Marie Lys, Clorinda ; Elena Guseva, Tisbe. Chœur du Grand-Théâtre de Genève (direction : Alan Woodbridge). Orchestre de la Suisse Romande, direction : Antonino Fogliani

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« E sogno o realta ! » se demande Mr. Ford dans sa scène de la jalousie du Falstaff de Verdi. C'est la question qu'on peut aussi se poser à l'issue de La Cenerentola de Gioachino Rossini au Grand Théâtre de Genève.

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Sept mois d'absence de l'opéra et un virus sont passés par l'esprit du critique pour que d'un côté, il se sente paralysé devant sa feuille blanche et d'un autre, se voit régénéré d'un coup, d'un seul, quand il pénètre dans le théâtre de ses passions. Un théâtre malheureusement occupé en dessous de sa jauge autorisée laissant au parterre de plus grands trous que les espacements légaux à respecter.

La paralysie de la feuille blanche s'efface bien vite lorsque invite l' dans l'ouverture de cette Cenerentola. Soudain, peut-être parce que le nombre des violons a été fortement réduit à cause de ces satanées distances physiques, la musique de Rossini prend une tout autre dimension, lui faisant éclore des sonorités jamais jusqu'ici perçues. Avec tout le talent des musiciens de la phalange romande en belle forme, combiné à la musicalité exacerbée du chef, on entend chaque pupitre distinctement. Une flûte aussi aérienne, un basson aussi mélodieux ne pouvaient qu'enchanter des contrebasses à la présence subtile et appuyée. Quel bonheur ! On nous offre de la musique en lieu et place des fréquentes, spectaculaires et bruyantes fanfares rossiniennes.

Rêve et réalité sont les maîtres-mots de la mise en scène de , rêve et réalité comme l'impression mélangée des spectateurs éblouis et comblés par ce spectacle de réouverture du Grand Théâtre de Genève. Dans cette Cenerentola, le metteur en scène offre un monde éclaté entre le misérable des intérieurs de Don Magnifico, avec ces décors coulissants chargés de tables de formica, d'électroménagers obsolètes, d'armoires disparates et le merveilleux du rêve amoureux, descendant des cintres, meubles démesurés et diaphanes sortis d'une imagerie d'Alice au pays des merveilles. L'univers gris de la réalité opposé à celui rose bonbon de la passion amoureuse. Dans ces ambiances contrastées, les protagonistes admirablement dirigés s'agitent en tous sens (quand bien même le ballet des protagonistes est réglé dans ses moindres détails) pour imposer leur monde contrasté.

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À l'image d'Angelina (), les cheveux tirés en un chignon aplati, affublée d'une méchante blouse de travail, figure efflanquée de la servante, courant d'un fauteuil à un canapé, de la cuisine à la lessive, montant et descendant les escaliers de la maison dans un ballet effréné. Véritable athlète de marathon, la soprano s'évertue sans ménagement dans cette course à l'improbable bonheur d'épouser son prince charmant. D'abord un peu timorée avec une diction restant à perfectionner et sa voix peut-être trop « grande » pour le rôle, s'améliore de scènes en scènes pour offrir un rondo final d'admirable tenue.

À ses côtés, le ténor (Don Ramiro) brille de tous ses aigus dans un exercice qu'il avait déjà abordé avec succès à l'Opéra de Lausanne en 2015 à l'instar de ces chanteurs, qui de Luigi Alva à Juan Diego Flórez et Javier Camarena, sont incontournables des œuvres rossiniennes.
Autre figure de cette farce amoureuse rondement menée, la basse (Don Magnifico) prouve, si besoin l'était, que la crédibilité des personnages de Rossini passe par la maîtrise de la langue de Dante, par la projection vocale que cette langue induit et par la tradition italienne du chant. Des qualités qu'il possède pleinement, même si en début de soirée il est apparu hésitant. Il a ensuite offert une démonstration de chant dans un convaincant et pétillant « Mi par che quei birbanti », puis plus tard dans le duo « Un segreto d'importanza » enlevé avec brio et complicité avec le baryton napolitain (Dandini). Quant à Simone Alberghini (Alidoro), il nous est apparu en petite forme peinant à imposer sa voix (aigus serrés).

Last but not least, les deux pestes de sœurs d'Angelina se sont affirmées d'une qualité scénique et vocale exceptionnelle. Si la voix puissante mais admirablement contenue dans la mesure de son emploi d' (Tisbe) s'inscrit en Tisbe de luxe (ayant à son palmarès rien moins que les rôles titres d'Aida, Madama Butterfly, Tosca), on reste sous l'emprise de la soprano (Clorinda) qui fait preuve d'une formidable énergie dès les premières scènes. Avec sa voix lumineuse, ses aigus percutants, son jeu scénique débordant, la jeune femme confirme tout le bien que nous avions souligné à son sujet lors de l'Orlando Paladino de Haydn de Fribourg, puis du Lotario de Händel à Berne en mars 2019.

À signaler encore, la parfaite prestation du en acteur vivant et stylé des exigences scéniques de .

Le public conquis par tant de joie, d'enthousiasme, de qualité musicale et scénique, a longuement acclamé cette production reçue comme un cadeau des artistes après leur longue absence des plateaux.

Crédit photographique : © Carole Parodi/Grand Théâtre de Genève

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