« Universe, Incomplete » : passionnante réalisation posthume d’un projet de Charles Ives

Dans la mise en scène de Christoph Marthaler, « Universe, Incomplete » nous plonge dans le monde atypique et illuminé de Charles Ives.

Notre conseil serait de commencer le visionnage de ces deux DVD, édités par Accentus, par le documentaire The Un-answered Ives. Piloté par Anne-Kathrin Peitz il situe le personnage, sa musique et son époque grâce aux précieux documents révélant les lieux où il vécut, les photographies et les films le plaçant dans son milieu professionnel non musical et artistique, le tout complété par des témoignages récents éclairés. Un portrait bienvenu et instructif de ce solitaire radical.

« Universe, Incomplete » utilise un large échantillonnage du catalogue d'Ives confirmant un style patchwork où se fréquentent et s'enrichissent mutuellement des cantiques traditionnels, des accords vigoureux déclinés parfois en grappes, des mélodies américaines ou originales, des pages confiées à la polytonalité, la tonalité ou l'atonalité, des superpositions de musiques différentes, des fanfares, des pages mystiques ou chaotiques, des sections polyrythmiques et dissonantes. Ce panel aussi riche qu'hétéroclite sert de socle fondamental au travail très intéressant de mise en scène minimaliste du Suisse Christoph Marthaler, renforcé par de nombreuses références et enrichi des décors et des costumes d'Anna Viebrock. Les musiciens de l'Orchestre symphonique de Bochum, sous la baguette de Titus Engel participent avec engagement et fantaisie au déroulement scénique que magnifient une quinzaine d'acteurs entièrement dévoués à la cause. Un cadre post-industriel sommaire abrite le déroulement de l'œuvre avec une lenteur et des répétitions recherchées, certes réussies, mais dont on regrettera la longueur (plus de 2 heures), source d'une baisse de l'attention visuelle heureusement rachetée par les musiques d'Ives dont le choix et l'ordre relèvent essentiellement de la subjectivité du metteur en scène. L'ambiguïté entretenue, iconoclaste et énigmatique, des situations et des personnages émane d'un créateur de génie, empêché de donner corps à sa fantasque imagination. Celui-ci imaginait que d'autres pourraient s'inspirer de ses idées et les enrichir, ce qui fut fait à plusieurs reprises.

En prenant appui sur deux sections achevées de la Symphonie de l'Univers séparées par un large choix de partitions achevées tirées de son catalogue, les protagonistes du présent spectacle optent pour une approche probablement – et nécessairement – différente du projet utopique du compositeur imaginant une œuvre nécessitant plus de 4000 interprètes divisés en groupes distants de plusieurs kilomètres.

Ce spectacle proposé lors de la Triennale de la Ruhr en 2018, se déroule sur l'immense plateau de la Halle de Bochum et s'appuie donc sur le projet utopique de la Symphonie de l'Univers conçu par Charles Ives qui stimule, sans jamais la museler, la créativité et l'individualité des protagonistes de ce spectacle inspiré..

Une illustration libre et brillante du thème de l'inconstance apparente, interrogeant « le futur de l'humanité » selon le regard personnel et subjectif de Marthaler.