C'est un bel hommage que rend la Chapelle Musicale Reine Élisabeth de Bruxelles à Eugène Ysaÿe en alternant ses œuvres et celles qui lui furent dédiés par les plus grands de ses contemporains.
Eugène Ysaÿe a été une figure marquante de la vie musicale belge et française au tournant du XXᵉ siècle : violoniste célèbre, il suscita de nombreux chefs-d'œuvre qui lui sont dédiés ; professeur renommé, il eut des élèves glorieux comme Nathan Milstein ; chef d'orchestre, il œuvra pour les musiciens de son temps (c'est lui notamment qui créa la Symphonie n° 9 de Bruckner à Bruxelles en 1906, trois ans après sa création à Vienne par les Philharmoniker) ; compositeur enfin, il donna de nombreuses partitions magistrales notamment le génial cycle des six sonates pour violon seul opus 27, absolu chef-d'œuvre pour son instrument.
Outre deux mouvements de concerto de jeunesse, encore dans l'ombre des grands modèles (celui en mi mineur est une copie de celui de Mendelssohn) on trouve dans ce coffret de cinq CD quelques-uns de ses poèmes pour instruments et orchestre, la forme rhapsodique en un mouvement convenant tout particulièrement à Ysaÿe : le Poème élégiaque pour violon opus 12 est une petite merveille qui ouvre la voie à celui de Chausson (qui figure ici sous l'archet prestigieux de Renaud Capuçon superbement accompagné par Stéphane Denève), Amitié pour deux violons est une page d'une délicatesse émouvante, Méditation pour violoncelle un bijou grave, tandis que les Harmonies du soir pour quatuor et orchestre à cordes sonnent comme un pont entre l'Adagio de Lekeu et les Métamorphoses de Strauss. Si la virtuose transcription de la Valse de Saint-Saëns, la Légende norvégienne ou le touchant Rêve d'enfant phrasé avec beaucoup de tendresse par Augustin Dumay sont un cran en retrait et gardent un caractère encore proche des morceaux de salon, on reste impressionné par la densité harmonique de la monumentale Sonate pour deux violons (près de trente-cinq minutes) et surtout des deux ultimes trios, le Chimay et le Londres. Pour entourer ces partitions fascinantes, l'éditeur a fait l'impasse sur l'opus 27 déjà abondamment enregistré mais a retenu des chefs-d'œuvre dédiés à Ysaÿe et inspirés par son jeu : outre le Poème de Chausson déjà cité ainsi que le sublime Concert opus 21 du même auteur, on salue bien sûr l'admirable Sonate de César Franck splendidement défendue par le duo Lorenzo Gatto-Julien Libeer, celle tellement bouleversante de Guillaume Lekeu (Kerson Leong et Jean-Claude Vanden Eynden, puissants, mais non sans lourdeur) et son torrentiel Quatuor inachevé. Le Quatuor de Claude Debussy mené par Augustin Dumay vient achever ce panorama d'Ysaÿe inspirateur de ses contemporains. Les nombreux interprètes sont issus de la Chapelle royale Reine Élisabeth, professeurs ou alumni.
Si l'on veut compléter de façon exhaustive le panorama de l'œuvre d'Ysaÿe, on cherchera les autres poèmes dans le catalogue du label Musique en Wallonie, où figure aussi l'unique opéra du maître, Pierre le Houilleux. Pour les sonates pour violon seul, la discographie est si riche que chacun choisira selon ses goûts. Quant aux sonates dédiées à Ysaÿe, on les trouvera sur un autre coffret de Musique en Wallonie où Franck et Lekeu voisinent avec Magnard, Ropartz, Lazzari, Jongen, Samazeuilh et Vierne, quel ensemble ! Ce bel hommage à un géant protéiforme, accompagné d'un texte exemplaire d'une érudition particulièrement riche, permet de goûter à la fine fleur des archets des professeurs et élèves de la Chapelle Musicale Reine Élisabeth, et complète superbement ces CDs.