Souvenirs de vieux festivals du midi de la France : Prades et Aix-en-Provence
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À l’aube de la deuxième moitié du XXe siècle voit le jour le concept de ce que nous appelons communément aujourd’hui « Festival ». Le sud de la France vit éclore deux festivals qui d’années en années devinrent emblématiques. Ceux qui eurent la chance de les fréquenter en gardent des souvenirs particuliers, nourris par des rencontres musicales de très haut niveau. Quelques précieux documents conservés sous forme de photos et de programmes permettent de retracer divers évènements d’exception.
Voici environ 70 ans, à une époque où les moyens de communication étaient loin d'être ceux d'aujourd'hui, se déplacer vers un festival de musique était une véritable expédition. Pour autant, l'attrait de la nouveauté et l'intérêt même de ce qui était proposé venait à bout de quelques fatigants voyages. Depuis, l'autoroute, le TGV et les véhicules modernes ont bien changé la donne. Vers 1950, le sud de la France vit la naissance de deux festivals à Prades dans les Pyrénées et à Aix-en-Provence, les premiers du genre.
Naissance du Festival de Prades, tricentenaire de la mort de Jean-Sebastien Bach en 1950
Pour comprendre la genèse du Festival Bach de Prades (Pyrénées-Orientales), il faut relire l'histoire tragique de la guerre d'Espagne qui, suite aux massacres, a vu déferler de nombreux réfugiés espagnols dès l'été 1936. La Catalogne, durement éprouvée, vit arriver de l'autre côté des montagnes, du côté français, des intellectuels et des artistes, républicains pour la plupart, partis précipitamment pour échapper au régime franquiste. Tel fut le cas de Pau Casals, natif de El Vendrell près de Tarragone, violoncelliste international qui trouva refuge dans la petite ville de Prades au pied de la montagne du Canigou. Il vécut là de nombreuses années, reclus, fréquentant un petit milieu d'artistes réfugiés comme lui, dont le grand poète Catalan Joan Alavedra qui fut son fidèle ami. De part sa notoriété mondiale, Pau Casals avait déjà joué avec les plus grands musiciens et connaissait donc ce que le monde musical possédait de plus prestigieux. L'année 1950 était celle du bicentenaire de la mort de Bach, alors lui vint l'idée d'organiser des concerts en hommage à ce grand compositeur dont il avait une admiration sans bornes. Voici ce qu'il écrivait en tête de la première édition du programme : « Le miracle Bach ne s'est produit dans aucun autre art. Dépouiller la nature humaine jusqu'à lui donner des profils divins, placer de la ferveur spirituelle dans les actions les plus à la portée de l'homme, donner des ailes d'éternité à la nature la plus éphémère : Rendre humaines les choses divines et divines les choses humaines. Tel est Bach, le moment le plus haut et le plus pur de la musique de tous les temps. »
Un premier festival dans l'église de Prades
Encouragé par de nombreux admirateurs étrangers, américains pour la plupart, ainsi que par ses amis concertistes qui lui proposèrent de venir jusqu'à Prades pour jouer avec lui et pour le soutenir, l'idée de rencontres musicales et d'un premier festival germa dans la tête de Casals. Un programme de 80 pages fut édité par la Tramontane, revue artistique du Roussillon, il était rempli d'hommages, de poèmes et de textes musicologiques entourant les biographies des musiciens invités et les pièces qu'ils devait interpréter. Cette année là, autour du maître étaient réunis Yvonne Lefébure, Rudolf Serkin, Isaac Stern, Clara Haskil, Joseph Szigeti, Alexandre Schneider, Eugène Istomin et quelques autres encore. On imagine la qualité des concerts qui se tinrent alors dans l'église de Prades à l'acoustique favorable bien que trop petite pour un public nombreux se pressant pour écouter religieusement les diverses représentations musicales.
En signe de deuil envers les oppressions et les atrocités de la guerre, aucun applaudissement ne venait saluer les prestations musicales, seul le public était autorisé à se mettre debout à la fin des concerts en une très émouvante minute de silence. Les concerts s'étalaient alors sur presque trois semaines, alternant des œuvres orchestrales et d'autres en formation de chambre. Le succès fut total, la firme Columbia fut autorisée à enregistrer les concerts et déjà on pensait renouveler l'évènement l'année suivante. Ainsi durant de longues années, le festival continua sa route, toujours en l'église de Prades, l'abbaye Saint-Michel de Cuxa n'étant pas encore suffisamment restaurée pour accueillir le public (Réfection de la toiture). Bien que cette petite ville se trouvait à l'écart des grand axes de communication alors à disposition, la fréquentation était importante et les concerts se donnaient à guichet fermé.
Chaque été, une douzaine de concerts accueillaient de nouveaux artistes tout aussi prestigieux : le quatuor Vegh, Wilhelm Kempff, Yehudi Menuhin, Julius Katchen, David Oistrak, le Festival prit alors le nom de Festival de Prades, tout simplement. Les années s'enchainèrent avec des programmes toujours de haut niveau puisés dans le grand répertoire romantique chambristre, essentiellement : Beethoven, Brahms, Schubert, mais aussi encore Bach et Mozart. D'autres musiciens arrivèrent encore : Paul Tortelier dont Casals fut le parrain de sa fille Maria de la Pau, Karl Engel, Arthur Grumiaux…
Le haut patronage de la reine Elisabeth de Belgique
Parmi les personnalités qui fréquentèrent assidument le festival tout en lui apportant leur soutien, il faut remarquer la reine Élisabeth de Belgique, amie de Casals notamment par ses actions en faveur des soldats sur le front de l'Yser durant la Première Guerre mondiale. Violoniste elle-même, élève de Eugène Ysaye, la reine créa le célèbre prix qui porte son son et qui avait été fondé par son professeur. Casals fêta dignement à Prades les 80 ans de la reine en 1956 par une allocution radiodiffusée et un concert en sa présence. Entre Casals et Élisabeth une amitié était née. La violoncelliste belge Germaine Grottendieck rapporte quelques moments privés notamment avant les concerts qui se déroulaient dans la célèbre villa Colette où habitait le Maître : « Ces répétitions étaient privées et intimes mais le Maître aimait à garder grandes ouvertes à tous, les portes du salon, exigu et dont on craignait que le plancher vermoulu ne s'effondre quand trop d'affluence s'y entassait.
La Reine, toute blanche, fragile et légère, se posait au côté du Maître et restait subjuguée par cette création souveraine qui émanait, toute proche des cordes vibrantes. Ces répétitions matinales nous bouleversaient encore plus que les admirables concerts du soir. Nous étions là, entourés, pénétrés de beauté confiée, de fraternité idéalisée. Nous en sortions, sous l'éblouissant soleil du midi, et sur l'aride route de montagne, Brahms et Schubert chantaient encore en nous ». À plusieurs reprises, le public pu apercevoir à différents concerts Sa Majesté Élisabeth, discrète et fidèle à un rendez-vous artistique que le monde entier enviait.
Quelques souvenirs personnels…
Ce Festival de Prades, qui existe toujours sous le nom de Festival Pablo Casals reste parmi ces souvenirs d'enfance qui marquent à vie. Mon grand père, musicien et républicain espagnol, exilé avec sa famille depuis l'Andalousie s'était rapproché de Pau Casals et de son combat pour la liberté. Ce festival était l'occasion unique d'approcher le Maître ainsi que tous les musiciens exceptionnels qu'il faisait venir à Prades. Durant plusieurs années, mes parents me firent découvrir un monde merveilleux qui pour eux, après les douleurs de la guerre apportait paix et réconfort. Casals ne disait-il pas lui même : » La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent « . Ainsi à l'âge de sept ans, je rencontrais Casals, assis avec sa pipe légendaire sur un vieux fauteuil épiscopal de la sacristie de l'église de Prades, serrant chaleureusement mes petits mains et me donnant sa bénédiction pour mon amour naissant de la musique. Ce soir là, David Oïstrakh et Julius Katchen jouèrent avec lui un programme Beethoven. Je me souviens encore de la fascination qui fut la mienne d'observer tous ces doigts en action, sur la touche du violon, du violoncelle et sur celles du piano. Par la suite je revins souvent écouter les concerts du festival qui se tenait désormais dans la nef restaurée de l'abbaye de Saint-Michel de Cuxa proche de Prades. Yehudi Menhuin, Nikita Magalov, Kurt Redel, Alexis Weissenberg, autant de virtuoses entourant Casals ne jouant plus car devenu très âgé, mais toujours là, charismatique et rayonnant.
Le Festival d'Aix-en Provence
Un autre festival méridional de musique classique naquit au milieu du XXᵉ siècle de l'autre côté du Rhône, dans cette belle région qu'est la Provence. Il prit naissance deux ans avant celui de Prades, durant l'été 1948. Dès 1947, la comtesse Lily Pastré, grande amie des arts à Marseille apporta un soutien financier et la mise à disposition du château de Montredon. Gabriel Dussurget (1904-1996), amateur d'art et mélomane éclairé entendait redonner une vie à l'art lyrique, dévasté après la guerre. Peu convaincu par le site marseillais proposé, son choix se tourna vers la ville proche d'Aix-en-Provence, tombant amoureux d'un lieu unique : la Cour de l'archevêché. Frappant dans ses mains, il déclara : « l'acoustique est merveilleuse, c'est ici que je ferai mon festival ».
L'installation du festival dans la Cour de l'archevêché d'Aix
Comme à Prades, il y avait alors au milieu du XXᵉ siècle une soif de musique et de paix immense, au sortir d'une guerre qui avait fortement éprouvé le domaine des arts. Grâce à un soutien supplémentaire du Casino d'Aix, le festival put commencer. Gabriel Dussurget, le magicien d'Aix, lanca un premier spectacle en 1948 avec Cosi fan tutte de Mozart, dans une cour à peine aménagée pour l'occasion. L'année suivante c'est Don Giovanni qui fut proposé dans une cour réaménagée avec de très beaux décors du décorateur Cassandre. Cette fois-ci le festival était bel est bien lancé avec succès, à raison de trois représentations d'opéras et de quelques concerts puisés dans le répertoire mozartien, baroque et contemporain. Les lieux de concerts étaient multiples mais l'épicentre demeurait la Cour de l'archevêché dont les aménagements à la fois de la scène et des gradins s'améliorèrent d'années en années pour aboutir à ce qui fut appelé le Théâtre de l'archevêché. Si la place prépondérante de Mozart peu paraitre aujourd'hui assez banale, écoutons ce qu'en disait alors Edmonde Charles-Roux, femme de lettre fidèle au festival : « Dans un midi où les maçons italiens chantaient Verdi sur leurs échafaudages, monter des opéras de Mozart pouvait paraitre révolutionnaire ».
Le maître des lieux
Gabriel Dusserget resta directeur artistique du festival jusqu'en 1972. Durant toutes ces années, il resta attaché à la programmation de créations contemporaines, avec à titre d'exemple en 1952 La guirlande de Campra d'Arthur Honneger. D'autres évènement restèrent profondément marqués à ce festival, avec le 25 Juillet 1970, la création d'une œuvre pour violoncelle et orchestre d'Henri Dutilleux Tout un monde lointain. Mstislav Rostropovitch, ami du compositeur et l'Orchestre de Paris, dirigé par Serge Baudot, offraient au monde une œuvre majeure pour le violoncelle, inspirée par des textes de Baudelaire.
A partir de 1974, c'est Bernard Lefort qui prit les rennes du festival et lui imprima une tournure nouvelle : « Le chant y règnera en maître absolu et chaque manifestation lui sera consacrée en tout ou partie ». Une nouvelle aire pour le « Bel canto » au sens large, de Mozart à nos jours, et y compris des concerts de jazz avec Ella Fitzgerald ou de folk avec Joan Baez. Par la suite, divers directeurs se succéderèrent. Louis Erlo de 1982 à 1996, rendit une place centrale à Mozart, « secrètement en personne à Aix ». La période 1998-2006 fut dirigée par Stéphane Lissner qui s'attacha à un croisement des mondes de la danse, du théâtre et de l'opéra, au moment où l'on assistait à une rénovation complète du Théâtre de l'archevêché. Plus proche de nous, de 2007 à 2018 Bernard Foccroulle apporta un nouveau regard tourné vers la création et l'avenir en privilégiant les artistes de la jeune génération. Depuis 2019, c'est Pierre Audi qui fait briller le festival d'Aix au sein de la scène internationale.
Quelques souvenirs personnels…
Ceux qui ont eu la chance de fréquenter à ses débuts le festival d'Aix gardent profondément marqué en eux l'empreinte du chant mozartien. Ses grands opéras furent l'épine dorsale de ce festival et l'ambiance même du Théâtre de archevêché reste unique. Ce lieu en plein air, avantageusement porté par une belle acoustique crée par les murs de pierre sèche, semblait à chaque fois l'univers idéal pour ces représentations lyriques. Les chanteurs eux-mêmes étaient sous le charme. La grande soprano américaine Teresa Stich-Randall fut une cantatrice assidue au festival d'Aix dès 1954, essentiellement dans des rôles mozartiens. Plusieurs enregistrements sont de précieux témoignages de son immense et unique talent. J'ai le souvenir de cette voix à la pureté de cristal et de ses yeux inspirés tournés vers le ciel : « J'aime chanter à l'archevêché car je peux contempler les étoiles briller dans le firmament ». En juillet 1969, je fus marqué par un Don Giovanni avec Roger Soyer dans le rôle-titre et Donald Gramm dans le rôle de Leporello. La fameuse scène de la mort de Don Giovanni m'avait marquée par sa force terrible, ses effets de scène : l'orchestre et ses cors, le feu et la trappe qui s'ouvrait engloutissant le chanteur sous la scène… Auparavant, Gabriel Bacquier qui fut lui aussi un chanteur emblématique de ce festival avait chanté alternativement les deux rôles, du maître et du serviteur au gré des représentations. Nous finissions par connaitre cet opéra par cœur.
Mon père violoncelliste nous amena en juillet 1970 à Aix pour la création de l'œuvre de Dutilleux avec Mistlav Rostropovitch : étrange soirée, ébouriffante d'un mistral tenace comme seule la Provence connait. Les partitions volaient bon train, le soliste avait posé sur son pupitre des poids pendus à des ficelles, pas toujours de grande efficacité. L'ambiance décrite dans certains passages par les vers de Baudelaire prenaient alors toute leur signification : « …Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve de voiles, de rameurs, de flammes et de mâts… »(Houles, troisième mouvement). Le public, galvanisé par l'œuvre, et malgré des conditions météorologiques peu favorables, fit une ovation à tout rompre, ce qui conduit à la fin le chef Serge Baudo à se tourner vers l'auditoire et déclarer après quelques remerciements d'usage : « Nous allons redonner l'œuvre intégralement !.. » Quel souvenir !
Ce festival fut aussi propice à des soirées où le sensationnel l'emportait parfois sur l'intériorité musicale. Ainsi la fin des années 60 vit quelques concerts dont les souvenirs sont inoubliables : Alexis Weissemberg jouant le Concerto n° 1 de Tchaïkovski dirigé par Herbert von Karajan à la tête de l'Orchestre de Paris, ce dernier toujours tourné vers ses premiers violons, ou Karl Richter dirigeant de main de fer la Missa Solemnis de Beethoven dans la nef comble de la cathédrale Saint-Sauveur.
L'apport de ces deux festivals dans la deuxième moitié du XXᵉ siècle
Au-delà des impressions personnelles gravées à jamais dans nos esprits, les programmations de ces deux festivals vieux de 70 ans maintenant ont permis à un public fidèle et nombreux de côtoyer et d'entendre en concert les plus grand artistes de l'époque,tous de stature internationale, ce que seul le disque permettait d'approcher alors. Ces évènements musicaux sont les modèles originaux de ce qui peu à peu deviendra une toile ténue recouvrant tout le territoire. L'idée était la bonne !
Crédits photographiques : Festival de Prades : documents : collection privée. Photos : Gustavo Muñoz ; Festival d'Aix : Photos Archives du festival
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À l’aube de la deuxième moitié du XXe siècle voit le jour le concept de ce que nous appelons communément aujourd’hui « Festival ». Le sud de la France vit éclore deux festivals qui d’années en années devinrent emblématiques. Ceux qui eurent la chance de les fréquenter en gardent des souvenirs particuliers, nourris par des rencontres musicales de très haut niveau. Quelques précieux documents conservés sous forme de photos et de programmes permettent de retracer divers évènements d’exception.