Plus de détails
La musique et le silence, deux entités, à la fois contradictoires et complémentaires, à l’origine d’une dialectique qui ne se résoudra que dans l’inéluctable victoire de la musique, victoire de la vie sur la mort, symbolisée par le mythe de l’éternel retour. Pour accéder au dossier complet : Musique et silence
Sans vouloir aborder le difficile et douloureux problème des rapports entre la contrainte (physique, morale, censure) imposée par les totalitarismes et la création artistique (présentement musicale), il est heureux de constater que le silence, qu'il soit transcendant ou immanent, annonce inlassablement le retour de la musique : stigmate inextinguible d'un éternel retour de la vie, qui, quand elle est vivante veut inlassablement la vie, définitive victoire de Dionysos sur Apollon.
Des musiques, comme des promesses, musiques de combat, musiques plus fortes que la mort, musiques se situant au-delà du son, musiques de mémoire, musique de la vie qui ne parvient pas à se taire, musiques d'une irréductible humanité. L'art et la politique entretiennent souvent des rapports complexes, parfois symbiotiques, souvent conflictuels dont témoignent ces voix étouffées…
Hitler aurait assisté, le 8 mai 1906, à une représentation de Tristan, à l'opéra de Vienne, dirigée par Gustav Mahler : l'expérience musicale la plus importante de toute sa vie aurait été dirigée par un Juif, ce qui, au milieu de ses échecs personnels, aurait pu le conforter dans son antisémitisme, mêlant admiration et répulsion. Dés son accession à la Chancellerie, le 30 janvier 1933, il confia la surveillance des structures culturelles, dont la musique, à Goebbels qui créa la Reichsmusikkammer (Chambre de musique du Reich) dont le premier président fut Richard Strauss, marquant ainsi le début d'une position attentiste de plusieurs années, faite alternativement de soumission et de rébellion.
Les clauses antijuives de la charte fondatrice jugèrent inaptes nombre de grandes figures musicales juives, ce qui, associé à la loi du 7 avril 1933 qui bannissait les juifs de la fonction publique, eut pour effet de conduire à l'exil Kurt Weill, Otto Klemperer, Arnold Schoenberg, Norbert Glanzberg, Erich Wolfgang Korngold et bien d'autres… Dans l'Allemagne nazie, l'atonalité et autres tendances modernistes connurent un destin des plus sombre. Une exposition consacrée à la « musique dégénérée » eut lieu à Düsseldorf en mai 1938, l'atonalité y fut considérée comme un pur produit de la mentalité juive. Malgré cette surveillance et ces interdictions, la musique persista, dans un climat parfois surréaliste et il suffit d'imaginer Richard Strauss travaillant sur Capriccio début 1941, alors que se prépare l'invasion de l'Union soviétique où les Einsatzgruppen massacreront juifs et slaves par milliers jusque dans leur sommeil.
Le jour de la création de l'Opéra à Munich, un premier convoi de juifs en provenance de Theresienstadt (Terezín) arrivait à Auschwitz. Transformée en « camp modèle » à destination de certaines personnalités juives, l'ancienne prison de Theresienstadt accueillit de nombreux compositeurs, Karel Ancerl, Pavel Haas, Viktor Ullmann, Hans Krasa, Gideon Klein, on y écrivit et joua beaucoup de musique, Karel Ancerl y donnant une curieuse exécution de l'Hymne à la joie de Beethoven ! En 1944, à l'occasion d'une visite de la Croix Rouge, l'opéra de Krasa, Brundibar, fut donné avec une distribution entièrement composée d'enfants, au sourire forcé, qui, tous, seront déportés, quelques mois plus tard, vers Auschwitz.
A Auschwitz, la musique était également présente, des orchestres de déportés jouant devant des parterres de SS. Un orchestre féminin y fut créé en 1943, Alma Rosé, nièce de Gustav Mahler, en prit la direction. Regroupant, autour d'elle, une cinquantaine de musiciennes venues de tous horizons, Alma Rosé sut convaincre les nazis de lui fournir des rations supplémentaires, une baguette et une estrade, pour diriger des fragments de marches militaires, le premier mouvement de la Symphonie n° 5 de Beethoven, certains passages de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, ainsi qu'une transcription de Träumerei de Schumann, à l'attention de Mengele qui en raffolait. « Elle vivait dans un autre monde, pour elle, la musique était l'écho de son amour, de ses déceptions, de ses chagrins, de ses aspirations éternelles, de sa foi, et c'est cette musique là qui flottait dans l'air, au dessus du camp ». Une obsession, apparemment vaine, pour échapper peut être à la folie ? Alma Rosé mourut en 1944, dans des circonstances qui demeurent controversées dont on ne peut exclure le fait quelle fut éventuellement victime d'expérimentations…mais nombre de ses musiciennes survécurent à l'horreur nazie.
Le 12 avril 1945, Richard Strauss mettait la dernière note sur la partition des Métamorphoses, tandis que le même jour l'Orchestre Philharmonique de Berlin donnait le Concerto pour violon de Beethoven, la Symphonie n° 4 dite romantique de Bruckner et l'immolation de Brünnhilde, tirée du Crépuscule des Dieux de Wagner, dans les ruines de la capitale du Reich. A la sortie du concert, les jeunesses hitlériennes auraient distribué des capsules de cyanure au public ! Quelques jours plus tard, Hitler se suicidait d'une balle dans la bouche. Les corps d'Hitler et d'Eva Braun furent incinérés, comme un dernier clin d'œil à Wagner, « vivant sa propre annihilation comme une jouissance esthétique suprême » (Walter Benjamin). Toutefois, aux dires des rares témoins, les deux corps carbonisés n'avaient rien d'une œuvre d'art !
Crédits photographiques : Orchestre féminin à Auschwitz. Anonyme
Plus de détails
La musique et le silence, deux entités, à la fois contradictoires et complémentaires, à l’origine d’une dialectique qui ne se résoudra que dans l’inéluctable victoire de la musique, victoire de la vie sur la mort, symbolisée par le mythe de l’éternel retour. Pour accéder au dossier complet : Musique et silence