Aller + loin, Dossiers

La musique dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert

Plus de détails

 

L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de Lettres fut dirigée et publiée, entre 1751 à 1772, par Diderot et D’Alembert. Celui-ci prit en charge la partie mathématiques et rédigea plusieurs articles relatifs à la musique.

08e08be0005b8794a43d8efd44d491e8En 1751 parut le premier tome de l’Encyclopédie, dont Diderot a défini les enjeux en quelques lignes : « Le but de l’Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre, d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain ».

À l’origine, soit six ans auparavant, il ne devait s’agir que d’une simple entreprise éditoriale de traduction, puisqu’en ce siècle qui fut l’âge d’or des dictionnaires, le public manifestait un intérêt très vif pour ce type d’ouvrages, ceux-ci connaissant alors une expansion remarquable afin de répondre à la demande. Une association de libraires parisiens, Le Breton, David, Durant et Briasson, s’organisa pour publier la traduction augmentée d’un dictionnaire anglais, la Cyclopaedia ou Dictionnaire universel des arts et des sciences d’Ephraim Chambers, en deux volumes, paru à Londres en 1728 et souvent réédité. La réalisation finale s’est clairement éloignée de ce modeste projet de départ. En effet, l’Encyclopédie qui ne devait constituer qu’une dizaine de volumes, représentera à son achèvement vingt-huit volumes : dix-sept volumes d’articles ou « discours » et onze de gravures, les « planches ». Elle aura demandé plus de vingt-cinq ans de travail.

L’Encyclopédie fut donc la plus grande entreprise éditoriale de l’époque, tant sur le plan du capital investi que du circuit commercial. L’ouvrage fut tiré à plus de quatre mille exemplaires et connut un succès attesté par les multiples éditions pirates et autres contrefaçons qui accompagnèrent sa parution. L’Encyclopédie témoigne pour nous de ce que furent les Lumières : l’appétit de savoir, l’audace de penser, le goût d’inventer et la nécessité de douter. Loin d’un savoir paisible, les articles de l’Encyclopédie sont traversés par des combats politiques, religieux et scientifiques propres à leur époque, ce qui en fait toute leur saveur. Sa parution, au rythme d’un volume par an, souleva une redoutable vague d’animosités. En février 1752, un arrêt royal déclara que l’Encyclopédie contenait des maximes « tendant à détruire l’autorité royale, à élever les fondements de l’erreur, de la corruption des mœurs, de l’irréligion et de l’incrédulité ». En conséquence, il ordonna la suppression des deux premiers volumes.

La publication des tomes suivants reprit dans un climat de tension, entraînant l’exil des abbés Yvon et Pestré ayant collaboré au projet, alors que l’Encyclopédie bénéficie malgré tout d’un large soutien des gens de Lettres qui, comme Voltaire, voient dans cet affrontement le combat de l’esprit philosophique contre le pouvoir ecclésiastique. En 1757, suite à l’attentat de Damiens contre Louis XV, le procureur général du Parlement interdit la vente du Dictionnaire raisonné pour enrayer l’illégitimité de l’autorité royale et religieuse. Les dix derniers volumes de l’Encyclopédie s’achevèrent en secret, imprimés hors de Paris et diffusés tous ensemble en 1765.

Les innovations de l’Encyclopédie

Les traits novateurs de ce dictionnaire s’identifient essentiellement sur quatre plans. Elle est d’abord une entreprise collective : D’Alembert est responsable de la partie de mathématiques ; Daubenton s’occupe de l’histoire naturelle ; Bordeu et Tronchin de la médecine ; Blondel de l’architecture ; Marmontel de la littérature ; Dumarsais et Beauzée de la grammaire générale ; d’Holbach de la minéralogie ; Boucher d’Argis de la jurisprudence ; Voltaire de l’histoire et des lettres ; et Jean-Jacques Rousseau de la musique. Diderot a disposé pour ce projet, de plus de cent soixante collaborateurs, tous liés à l’activité productive de leur temps dans leur spécialité.

Le deuxième trait novateur est le caractère « raisonné » de ce dictionnaire. A chaque article est mentionné la discipline du savoir, permettant ainsi de détourner l’ordre alphabétique par une lisibilité transversale, renforcée par le système des renvois entre articles. La troisième nouveauté tient au fait que ce travail inclut les « arts mécaniques » avec un premier glossaire de termes techniques intégrant les définitions et les descriptions des procédés et des manœuvres du travail. Enfin, ce dictionnaire offre pour la première fois onze volume de planches. Cette Encyclopédie présente le contenu des différents savoirs et explicite aussi les rapports que ces savoirs entretiennent entre eux ; le parti-pris de chaque article et le point de vue donné par chaque auteur sur la connaissance dont il traite sont évidemment une originalité qui caractérise ce travail titanesque.

N0009953_JPEG_76_76DMLa place de la musique dans l’Encyclopédie

Diderot divise son système encyclopédique en trois grands volets en remontant aux mécanismes psychiques fondamentaux qui sont à la base des connaissances humaines ; il différencie trois modes de traitement du donné sensible : « Les êtres physiques agissent sur les sens. Les impressions de ces êtres en excitent les perceptions dans l’Entendement. L’Entendement ne s’occupe de ses perceptions que de trois façons, la Mémoire, la Raison, l’Imagination. Soit l’Entendement fait un dénombrement pur et simple de ses perceptions par la Mémoire ; soit il examine, les compare et les digère par la Raison ; soit il se plaît à les imiter et à les contrefaire par l’Imagination. De cette triple répartition résulte une distribution générale de la Connaissance humaine, qui paraît assez bien fondée, en Histoire qui se rapporte à la Mémoire, en Philosophie qui émane de la Raison, et en Poésie qui naît de l’Imagination ». (Explications détaillées du système des connaissances humaines de Diderot, Tome 1, p. xlvij).

Dans le cadre de l’Imagination, Diderot, en exploitant au sens large le mot « poésie » (du grec poiesis qui signifie création) rassemble les différents arts : « […] nous rapporterons l’Architecture, la Musique, la Peinture, la Sculpture, la gravure, etc., à la Poésie ; car il n’est pas moins vrai de dire du Peintre qu’il est un Poète, que du Poète qu’il est un Peintre ; et du Sculpteur ou Graveur qu’il est un Peintre en relief ou en creux, que du Musicien qu’il est un Peintre par les sons ». Ce statut privilégié de la poésie dans la pensée de Diderot, comme dans celle d’Alembert, vient du fait qu’elle entretient un rapport privilégié avec la notion d’imitation. Le verbe « peindre » recouvre assez exactement le sens d’imiter ; voir, de plus, le rapprochement entre image et imagination : « Le Poète, le Musicien, le Peintre, le Sculpteur, le Graveur, etc., imitent ou contrefont la Nature ; mais l’un emploie le discours ; l’autre, les couleurs ; le troisième, le marbre, l’airain, etc., et le dernier l’instrument ou la voix » (Discours préliminaire, tome 1).

Mais la Musique est un art spécifique qui imite mais qui crée également : « la Musique, qui parle à la fois à l’imagination et au sens, tient le dernier rang dans l’ordre de l’imitation ; non que son imitation soit moins parfaite dans les objets qu’elle se propose de représenter, mais parce qu’elle semble bornée jusqu’ici à un petit nombre d’images ; ce qu’on doit moins attribuer à sa nature, qu’à trop peu d’invention et de ressource dans la plupart de ceux qui la cultivent » (Discours préliminaire). La Musique doit peindre certains objets sonores, c’est-à-dire les reproduire de façon très ressemblante et elle doit aussi en créer, c’est-à-dire les faire exister pour la première fois « par la chaleur, le mouvement et la vie qu’elle sait leur donner ».

L’art musical a représenté un centre d’intérêt constant pour des écrivains aussi différents que Diderot, Rousseau ou d’Alembert, ce dont témoignent leurs œuvres personnelles tout au long de leur période de production. Ces œuvres, plus encore, montrent que la Musique, en tant qu’objet de réflexion, se trouvait au croisement de quelques-unes des grandes problématiques qui parcoururent toute la pensée des Lumières : réflexions épistémologiques sur les principes des connaissances et leurs fondements naturels ; réflexions théoriques et génétiques sur le langage et l’expression ; réflexions esthétiques sur le beau et les variations du goût ; réflexions politiques, même sur la liberté et les conditions de son exercice…

C’est ce que l’Encyclopédie permet de mesurer exemplairement : le domaine musical s’y trouve articulé à un vaste ensemble de connaissances et les questions qu’il suscite, étroitement reliées à des débats plus larges qui ont dominé le siècle de Lumières.

Crédits photographiques : © Académie des Sciences

(Visited 2 647 times, 1 visits today)

Plus de détails

 
Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.