Les chants de l’âme d’Olivier Greif par Marie-Laure Garnier
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Olivier Greif (1950-2000) : Les Chant de l’âme op. 310, pour voix et piano. Les Trottoirs de Paris op. 315, pour deux voix et piano. Thierry Escaich (né en 1965) : D’une douleur muette, pour voix, violoncelle et piano. Marie-Laure Garnier, Clémentine Decouture, sopranos ; Paco Garcia, ténor ; Yan Levionnois, violoncelle ; Philippe Hattat, piano. 1 CD B-Records. Enregistré au festival de Deauville les 31 juillet, 7 et 9 août 2019. Notice et poèmes anglais-français. Durée: 57:55
B RecordsIl faut du cran pour assumer la charge émotionnelle des œuvres d'Olivier Greif, et la jeune soprano Marie-Laure Garnier n'en manque pas.
Les Chants de l'âme est un cycle de mélodies sur des poètes anglais du XVIIᵉ siècle, mûri sur une période de 30 ans et qui constitue une pièce-clef du corpus de Greif. Il n'avait connu à ce jour que le seul enregistrement par ses créateurs, Jennifer Smith accompagnée par Olivier Greif lui-même en 1999, l'année précédant la disparition du compositeur (CD Triton). Autant dire que pour relever le défi de succéder à cet enregistrement de référence, il fallait des encouragements, du courage, des affinités et du talent. Toutes choses dont Marie-Laure Garnier a pu disposer.
Des encouragements, elle n'en a pas manqué, car l'idée de confier ce cycle à la soprano est venu d'Yves Petit de Voize, directeur artistique du festival Août musical à Deauville (dont est issu cet album) et un très proche d'Olivier Greif. La notice, de qualité, comprend un texte de Brigitte François-Sappey, dédicataire du cycle et qui a suivi son écriture sur des décennies, et la perspective de la soprano et du pianiste Philippe Hattat. Il en ressort les caractéristiques bien connues de l'art de Greif : engagement émotionnel, dimension spirituelle, multiples références (en particulier au grégorien et à la renaissance), variété stylistique, le tout synthétisé par l'intensité propre du compositeur.
Pour les affinités, Olivier Greif avait en tête la voix de Jessye Norman et lui avait envoyé la partition, et le fait est que Marie-Laure Garnier a un timbre chaud et profond ainsi qu'un engagement qui s'apparentent à sa célèbre devancière. Cette captation permet ainsi d'avoir l'image vocale la plus proche de celle qu'imaginait Greif. Et on comprend ce que ce timbre proche du gospel apporte à ce cycle, en lui donnant une dimension afro-américaine à la fois populaire, religieuse, ancestrale et actuelle, qui ajoute encore au mélange et à la diversité recherchés par le compositeur. Si Jennifer Smith avait une diction impeccable et plus proche des textes anglais, la chanteuse française, récente lauréate du concours Voix des Outre-mer, répond davantage à l'idéal d'universalité par la diversité vers laquelle tendait Greif. Philippe Hattat a la rude tâche de succéder au compositeur. Si son jeu n'a pas tout à fait la dimension percussive et sans lourdeur – évocatrice des cloches – de Greif, il n'en réalise pas moins une prestation réussie qui s'approche au plus près des intentions du compositeur. Il n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il avait déjà assuré avec succès en 2017 la création du redoutable cycle des Hölderin Lieder avec Vincent Le Texier.
En complément de cette interprétation qui fera date dans la discographie greifienne, deux pièces qui méritent le détour, et pas seulement parce qu'elles reposent sur des textes d'Yves Petit de Voize. Les trottoirs de Paris, pour soprano, ténor et piano, sont « une mélodie de rien de tout » (dixit le compositeur), une « valse-java » qui commence comme un air d'Amélie Poulain et progressivement se déforme sous l'effet de décalages et de déformations installant malaise et morbidité. Avouons prendre du plaisir à ce glissement progressif. Clémentine Decouture et Paco Garcia mettent bien en valeur la dimension canaille de cette pièce ironique, qui gagne à ne pas être écoutée en continuité entre les Chants de l'âme et D'une douleur muette de Thierry Escaich, tant elle partage peu avec elles.
D'une douleur muette, écrite en 2001 sous le choc de la disparition de leur ami, est un tombeau pour Olivier Greif. Le violoncelle déchirant de Yan Levionnois et la tessiture tour à tour tendue et grave pour la soprano, expriment désarroi et colère devant un départ prématuré et qui semble tellement injuste. Une conclusion forte pour un disque qui installe une jeune et talentueuse génération d'interprètes, indispensable à la pleine reconnaissance de ce musicien.
N'oublions pas pour finir la réalisation originale du livret en deux parties, un livret classique pour les textes anglais-français et un grand format dépliant pour la notice, le tout dans une jaquette cartonnée. De quoi ne pas se contenter d'une version numérique.
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Olivier Greif (1950-2000) : Les Chant de l’âme op. 310, pour voix et piano. Les Trottoirs de Paris op. 315, pour deux voix et piano. Thierry Escaich (né en 1965) : D’une douleur muette, pour voix, violoncelle et piano. Marie-Laure Garnier, Clémentine Decouture, sopranos ; Paco Garcia, ténor ; Yan Levionnois, violoncelle ; Philippe Hattat, piano. 1 CD B-Records. Enregistré au festival de Deauville les 31 juillet, 7 et 9 août 2019. Notice et poèmes anglais-français. Durée: 57:55
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