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Stéphane Denève, à propos d’Honegger

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Le chef d'orchestre , bien connu en Belgique où il est directeur musical du Brussels Philharmonic, est le récipiendaire d'un International Classical Music Award pour son enregistrement de Jeanne d'Arc au Bûcher. Pour cette gravure, il est au pupitre de l'Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam pour le label de l'orchestre, RCO Live.

Pic: Tom Finnie (15.1.2010) RSNO: Usher Hall (Fauré's Requiem; Roussel's Symphony No. 3, Ravel's La Valse) - Stéphane Denève leads rehearsals.

: Honegger est un compositeur qui est victime d'un a priori souvent négatif. Quelle est pour vous la place d'Honegger dans l'histoire de la musique au XXe siècle ? Quelles sont ses particularités ?

: Ce quasi-« purgatoire » d'Honegger est étrange pour moi quand on voit l'immense importance de ce compositeur avant la Seconde Guerre mondiale. Mais on pourrait dire la même chose de Zemlinsky ou Hindemith, par exemple. Pourtant, Honegger a une place unique dans l'histoire de la musique française car il réussit une synthèse des valeurs françaises et allemandes. Sa musique est très colorée harmoniquement, très sensuelle dans son orchestration, en cela très française, mais en même temps très organisée, formelle, contrapuntique, d'une pulsation rythmique très affirmée, des qualités d'Outre-Rhin ! En tout cas, sa profondeur humaniste est sûrement internationale ! Afin de tenter d'expliquer l'a priori négatif, et même si j'adore ce compositeur, je dois avouer qu'il y a peut-être un aspect grandiloquent et une sentimentalité qui a un peu vieilli. Mais rien qui justifie cet a priori assurément exagéré !

: Jeanne d'Arc au Bûcher reste de très loin son œuvre la plus jouée, et partout à travers le monde. Qu'est-ce qui fait la force de cette partition ?

SD : Son inspiration ! C'est une oeuvre très inspirée, traversée d'un souffle particulier, et dont la fin est exceptionnellement émouvante, édifiante. Il est toujours difficile d'expliquer ce qui sépare une bonne pièce d'un vrai chef-d'oeuvre. Beaucoup d'oeuvres de Mozart ne sont presque jamais jouées alors qu'elles sont très similaires à ses chefs-d'oeuvre les plus populaires. Quel est ce petit supplément d'âme qui rend une musique essentielle ? Pour Jeanne au Bûcher, comment définir ce souffle, cette puissance ? La collaboration avec Claudel ? C'est aussi le cas de La Danse des morts, avec un livret de Claudel également, et qui n'est pourtant presque jamais jouée… Je pense en tout cas que le personnage de Jeanne est évidemment un immense atout, et que le contexte historique de la création a aidé l'oeuvre à devenir une icône d'héroïsme et d'amour, au-delà d'un patriotisme exacerbé qui est pour moi plus anecdotique.

: Quels sont les défis interprétatifs à relever pour transcender cette œuvre ?

SD : En fait, c'est une œuvre très délicatef car elle est très disparate et il est compliqué d'en faire un « tout ». C'est sur l'intensité et la puissance théâtrale des deux acteurs principaux, Jeanne et Frère Dominique, que repose la continuité de l'oeuvre. Je dois dire que j'ai été très gâté avec Judith Chemla et Jean-Claude Drouot qui ont été absolument merveilleux. Il faut aussi un choeur extrêmement investi car le contrepoint honeggérien est complexe. Le défi est aussi de ne pas craindre une certaine naïveté bienveillante pour les aspects pittoresques de la partition, d'assumer sa théâtralité un peu datée. Au fond, étant moi-même du Nord de la France et donc le produit d'un mélange entre les influences latines du Sud et protestantes du Nord, cette sentimentalité me parle beaucoup. Plus techniquement, il y a beaucoup de questions à résoudre au niveau des tempos écrits qui sont parfois troublants dans leur lenteur, et des balances entre les voix, l'orchestre et les acteurs qui imposent un compromis pas toujours idéal.

ICMA : L'orchestration est un peu particulière avec un grand orchestre complété par 3 saxophones ou des ondes Martenot. Est-ce qu'il est difficile de faire sonner un tel instrumentarium ? 

SD : Pour être franc, je n'ai pas grand mérite avec un orchestre comme le Concertgebouw qui est si fantastique et qui fait preuve d'une attitude si créative, si passionnée et si généreusement attentive. Qui plus est, l'orchestration d'Honegger est très efficace. L'utilisation des saxophones à la place des cors est somme toute assez naturelle, cela donne aux vents de l'orchestre une couleur un peu plus acide, un aspect un peu plus archaïque, médiéval, comme un Moyen-Âge fantasmé. Je regrette presque qu'Honegger n'ait pas utilisé de sacqueboutes à la place des trombones, ou encore un Serpent. J'aime beaucoup les ondes Martenot : même si elles offrent une couleur rétro-futuriste un peu datée, elles apportent un élément composite en phase avec cette oeuvre assez bric-à-brac.

ICMA : Le Concertgebouw d'Amsterdam est un orchestre d'élite avec lequel vous collaborez régulièrement. Comment se sont-ils approprié cette musique ? 

ICMA : La plupart des musiciens ne connaissaient pas l'oeuvre et la jouaient pour la première fois. Ils ont donc eu un regard frais et vierge sur une musique nouvelle pour eux. Je peux dire qu'ils l'ont clairement adorée. Beaucoup sont venus me dire à quel point ils sont tombés amoureux de cet oratorio, c'était vraiment touchant. C'est un orchestre de rêve, d'élite en effet, mais sans snobisme, comme un immense groupe de musique de chambre. J'ai la chance d'avoir une relation très amicale avec eux et nous avons fait beaucoup de répertoire différent ; je jouis donc d'une confiance qui m'a permis de travailler le style en détail et j'espère que le résultat discographique s'en ressent. Je suis profondément heureux qu'il y ait une trace sonore de cette expérience inoubliable…

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot, rédacteur en chef de Crescendo Magazine, membre du jury des ICMA

Crédits photographiques : © Tom Finnie

Lire aussi notre chronique du disque récompensé :

Jeanne d'Arc au bûcher en live par le Concertgebouw et Stéphane Denève

 

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