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Isabelle Faust dans un exigeant programme Schoenberg

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Arnold Schoenberg (1874-1951) : Concerto pour violon et orchestre opus 36 ; « Verklärte Nacht », d’après un poème de Richard Dehmel, version originale pour sextuor à cordes opus 4. Isabelle Faust, violon ; Orchestre symphonique de la Radio suédoise ; direction : Daniel Harding ; Anne Katharina Scherieber, violon ; Antoine Tamestit et Danushka Waskiewicz, altos ; Christian Poltera et Jean-Guihen Queyras, violoncelles. 1 CD Harmonia Mundi. Enregistré en septembre 2018 au studio Teldex de Berlin (la Nuit transfigurée) et en janvier 2019 au Berwald studio de Stockholm (concerto). Textes de présentation et poème de Richard Dehmel en français, anglais et allemand. Durée : 63:12

 

Le tout nouveau disque d' est intégralement dévolu à , associant le Concerto pour violon et la célèbre Nuit transfigurée.

Arnold Schoenberg_ Isabelle Faust_Orchestre symphonique de la Radio suédoise_Daniel Harding_Harmonia-MundiDans un passionnant mais parfois discutable texte de présentation, montre comment les deux œuvres retenues, écrites à quarante ans d'écart, signées sous deux orthographes différentes du même patronyme, l'une par un jeune musicien protestant émancipé, l'autre par un immigré retourné sous le poids de l'Histoire à ses racines judaïques, posent des jalons presque contradictoires dans l'évolution du langage schönbergien. Mais a contrario, soulignons-le, du point de vue du style et de l'idée, le compositeur affirmait haut et fort toujours avoir composé et œuvré de la même façon, par-delà les décennies et les différentes techniques de compositions, quant à l'organisation logique du discours et du matériau !

Il est ainsi passionnant de voir juxtaposés d'une part, avec la Nuit Transfigurée (1899), une musique de chambre « à programme » sur un poème « scandaleux » de Richard Dehmel, synthétisant en un travail motivique intense, l'infinitude des phrases wagnériennes au moule fin-de-siècle post-brahmsien du sextuor à cordes ; et d'autre part un Concerto pour violon (1934-36) écrit dans l'ivresse donnée par le vin nouveau dodécaphonique, versé il est vrai dans les outres anciennes du genre selon les jalons traditionnels des trois mouvements. Dans cette dernière œuvre, certes plus « abstraite », les principaux repères thématiques sont assez facilement identifiables et deviennent prétextes à une écriture soliste virtuose, presque baroque dans son foisonnement ornemental.

approche les deux partitions avec la même rigueur doublée de la même légèreté de touche, non sans une certaine distanciation expressive. Le Concerto pour violon, conçu durant l'exil américain, dédié à Anton Webern, fut pourtant pensé pour l'archet virtuose d'un Jascha Heifetz – qui en déclina la création – et destiné par l'accumulation de difficultés techniques spécifiques selon le mot ironique du compositeur, à une « nouvelle génération de violonistes à six doigts ». Rarement entendue en concert au vu de ses nombreux écueils pour le soliste, comme pour l'orchestre et le chef, l'œuvre a connu quelques gravures légendaires : le créateur Louis Krasner, capté en concert en compagnie de (au moins à deux reprises à New York et surtout Munich–Orfeo), Zvi Zeitlin autre champion de la partition, également avec l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise et Rafaël Kubelik (DG). Si Pierre Boulez, à la tête du London Symphony Orchestra, avec un Pierre Amoyal un peu timoré, n'a pas livré ici son témoignage discographique le plus essentiel dans ce répertoire (Erato), beaucoup plus récemment, (DG) en a gravé la version de référence moderne, dans des tempi incroyablement vifs et avec une sûreté technique à toute épreuve sous la baguette experte et concernée d' à la tête d'un enthousiasmant . C'est cette même phalange que dirige ici, de manière plus tempérée, , ménageant un délicat écrin à la soliste jusqu'à l'explosion du tutti final, enfin libératoire. à l'image de ses derniers disques, et en particulier d'un décevant concerto de Felix Mendelssohn, semble jouer la carte d'une relative pudeur dans l'implication : les tempi se veulent assez prudents, la sonorité parfois assez mince et les cadences bien moins flamboyantes que sous l'archet de sa jeune rivale américaine. La violoniste allemande retient donc d'avantage la filiation néo-classique de l'œuvre plutôt que son expressionnisme larvé, option certes défendable pour une « lecture » très cursive, plus que correcte, mais en retrait face à ses illustres devancières.

De même, en complément, cette version en demi-teinte, de la Nuit transfigurée appelle quelques réserves. Certes, et à la lecture des noms des invités (Tamestit, Waskiewicz, Queyras, Poltera) la réalisation instrumentale est, on se doute, quasi parfaite, dans les options choisies… Car au second violon, Isabelle Faust a aussi invité Anne Katharina Schreiber, bien connue (outre son activité de soliste et de chef) pour son rôle de violon conducteur au sein de différentes phalanges baroqueuses. Oserions-nous dire que nos (excellents) interprètes donnent ici une version « historiquement informée » de cet opus 4 ? Avec cette économie du vibrato, ces portamenti millimétrés très connotés, ce son chaud mais discret à la fois (y aurait-il utilisation de cordes en boyaux ?), voici une version à la fois un peu salonnarde et paradoxalement presque trop pudique de la partition, redevenue « Tristan de boudoir », comme aimait la brocarder un Harry Halbreich. Nous gardons le souvenir ému de versions autrement plus engagées ou enflammées, « jungendstil » (tel l'enregistrement historique de l'Hollywood String Quartet de Felix Slatkin et leurs comparses-Testament), plus délibérément romantiques (les exemplaires Belcea secondés par Nicolas Bone et Antonio Meneses- Alpha), ou prophétiquement modernes (autour du et leurs invités ou du , renforcé pour l'occasion d'une moitié du Quatuor Alban Berg de l'époque réédité chez Naïve). Isabelle Faust et ses amis nous livre un bien bel ouvrage, beau travail certes, mais où sont passés l'emportement et la passion de cette musique si éruptive ?

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Arnold Schoenberg (1874-1951) : Concerto pour violon et orchestre opus 36 ; « Verklärte Nacht », d’après un poème de Richard Dehmel, version originale pour sextuor à cordes opus 4. Isabelle Faust, violon ; Orchestre symphonique de la Radio suédoise ; direction : Daniel Harding ; Anne Katharina Scherieber, violon ; Antoine Tamestit et Danushka Waskiewicz, altos ; Christian Poltera et Jean-Guihen Queyras, violoncelles. 1 CD Harmonia Mundi. Enregistré en septembre 2018 au studio Teldex de Berlin (la Nuit transfigurée) et en janvier 2019 au Berwald studio de Stockholm (concerto). Textes de présentation et poème de Richard Dehmel en français, anglais et allemand. Durée : 63:12

 
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1 commentaire sur “Isabelle Faust dans un exigeant programme Schoenberg”

  • Jean-Michel Molkhou dit :

    voilà une critique signée de quelqu’un qui sait de quoi il parle , qui a des références précises sur chaque oeuvre, et qui malgré l’admiration que l’on peut avoir pour Isabelle Faust, ne tombe pas dans tous ses pièges interprétatifs. La version du sextuor, enregistrée à Marlboro autour de Felix Galimir dans les années 60, et celle d’Israël Baker (partenaire régulier d’Heifetz) dans le concerto (Columbia) sont également remarquables . Bravo cher collègue . Jean-Michel Molkhou

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