L’orchestre enchanteur de Ravel sous les doigts d’Émile Naoumoff
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Émile Naoumoff (1962) : Improvisation. Maurice Ravel (1875-1937) : Valses nobles et sentimentales ; Miroirs ; Pavane pour une infante défunte ; Sonatine. Émile Naoumoff, piano. 1 CD Mélism. Enregistré à l’Eglise évangélique Saint-Marcel, à Paris en juillet 2017. Notice en anglais, français et allemand. Durée : 73:58
MelismEn concert comme dans chacun de ses disques, Émile Naoumoff pense d'abord en orchestrateur. Peu d'interprètes font jaillir avec une telle générosité la musique de Ravel. Voilà du plaisir à l'état pur.
C'est le son qui, tout d'abord, surprend. Émile Naoumoff ne joue pas en pianiste, mais avec les doigts d'un compositeur. Avec un instrument capté si proche, il assure une présence familière. Ce récital est une invitation dont la carte n'est rien d'autre que sa propre Improvisation. Elle se situe entre Ravel, Borodine et le Rachmaninov des Vêpres. Une sorte de praeludium aux Valses nobles et sentimentales. Dans le cas présent, on ne devrait pas les écrire au pluriel puisqu'il ne s'agit que d'une seule valse métamorphosée. Émile Naoumoff les orchestre, à rebours de Daphnis et Chloé dont on entend si rarement la version pour piano. Colorées dans leurs atmosphères si peu chorégraphiées, elles respirent le grand air. La dynamique considérable du Steinway, à la densité charnue, les porte à bout de bras. Entre l'envoûtement de la masse sonore, les souvenirs nostalgiques de fêtes, les huit pièces de la partition n'ont plus rien de commun avec leurs lointaines origines viennoises. Leur sensualité appartient au répertoire français d'avant la Première Guerre mondiale.
Apothéose de l'écriture ravélienne, les Miroirs reflètent autant d'objets que d'échos de la nature. Ils sont prétextes à une étude des timbres, à des impressions sonores dont les vibrations annoncent Gaspard de la nuit. « La torpeur d'une forêt très sombre aux heures les plus chaudes de l'été » que cite Ravel est bien devant nous. Avec Une barque sur l'océan, le Steinway laisse échapper ses grondements sourds. L'orchestre est si proche. Alborada del giocoso, « cette sorte de Petrouchka andalou » selon l'excellent mot de Vladimir Jankélévitch paraît plus tactile, proche des senteurs humaines. Le piano se fait guitare. C'est une Aubade du bouffon qui regarde du côté de Falla. La pantomime est trop occupée à maîtriser sa pulsation et sa sueur. Magnifique ! Le Paris rêvé – celui où les cloches étaient encore audibles – s'égrène dans la dernière pièce, comme engloutie. Dans La vallée des cloches, Émile Naoumoff y salue Debussy. On ne lui fera pas le reproche d'une fratrie si évidente.
Altière et timide à la fois – quel bonheur ! – l'Infante défunte contemple une danse processionnelle, à la limite du “blanc” dans les graves. Peu de pianistes osent ainsi raconter leur rêve parfois exalté. Enfin, la Sonatine brille dans la délicatesse du toucher. Son caractère faussement enfantin contient la passion. A l'extrême limite de la préciosité, la solennité de l'écriture se moque d'elle même. Les dissonances acidulées n'en sont que plus justes. Le finale « très vite, mais pas précipité » est un bijou de finesse, animé sans brusquerie. C'est l'art du divertissement classique jusque dans le thème calfeutré. Émile Naoumoff a, une fois encore, tout restitué.
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Émile Naoumoff (1962) : Improvisation. Maurice Ravel (1875-1937) : Valses nobles et sentimentales ; Miroirs ; Pavane pour une infante défunte ; Sonatine. Émile Naoumoff, piano. 1 CD Mélism. Enregistré à l’Eglise évangélique Saint-Marcel, à Paris en juillet 2017. Notice en anglais, français et allemand. Durée : 73:58
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