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Paris. Opéra Bastille. 4-III-2020. Jules Massenet (1842-1912) : Manon, opéra comique en 5 actes sur un livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille d’après le roman de l’abbé Prévost. Mise en scène : Vincent Huguet. Dramaturgie : Louis Geisler. Décor : Aurélie Maestre. Costumes : Clémence Pernoud. Lumières : Bertrand Couderc. Chorégraphie : Jean-François Kessler. Avec : Pretty Yende, Manon ; Benjamin Bernheim, Des Grieux ; Ludovic Tézier, Lescaut ; Robertto Tagliavini, Le comte Des Grieux ; Rodolphe Briand, Guillot de Morfontaine ; Pierre Doyen, de Brétigny ; Cassandre Berthon, Poussette ; Alix Le Saux, Javotte ; Jeanne Ireland, Rosette. Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris (chef de chœur: José Luis Basso), direction : Dan Ettinger
Après l'indigente production de Coline Serreau en 2012, voici une Manon « Belle Époque » qui bénéficie d'une transposition plutôt astucieuse et consensuelle et d'un casting trois étoiles qui devrait ravir le public en mal de Massenet.
Pour le metteur en scène Vincent Huguet, Manon est une héroïne libre qui refuse son destin, qui veut accéder à un nouveau statut dans une société entre deux eaux, éprise de fêtes et d'oubli, et qui connait un renversement des valeurs. Ces qualificatifs peuvent trouver à s'appliquer au XVIIIᵉ siècle mais c'est la Café Society de la Belle Époque qui a inspiré le metteur en scène avec une belle cohérence et une réelle acuité malgré quelques distorsions du livret. L'avantage est que le spectacle proposé est agréable à regarder avec ses superbes décors style Art Déco et ses très beaux costumes qui évoquent les bals organisés par les Noailles ou Charles de Beistegui. L'héroïne est universelle et se fond très bien dans cette transposition qui lui donne Joséphine Baker comme double émancipateur, mais aussi finalement destructeur. La fascinante Danielle Gabou prête son charisme au personnage quasiment muet de Joséphine qui éclaire par contraste les désirs de l'héroïne mais aussi ses doutes et ses peurs, notamment dans des intermèdes musicaux qui trouvent étonnamment bien leur place, sans se heurter à la musique de Massenet. Toutefois, en regardant trop la victime avec ses rêves et sa mélancolie (le grand air du Cour-la-Reine infiniment triste), on perd de vue le sphinx tentateur et le personnage devient un peu monochrome, sans ambivalence, sans soufre. L'épuisement final de Manon, ici transformé en exécution en bonne et due forme, relève en outre du gadget sans fondement. Pour autant, la direction d'acteurs reste très adroite, accordant une grande place aux personnages secondaires très travaillés et en évoquant, par la danse omniprésente, la vitalité de cette société et de l'héroïne qu'elle s'apprête à broyer à force de trop l'admirer.
Très investi, le casting insuffle une belle énergie à cette vision. Depuis leur apparition dans La Traviata en début de saison, Benjamin Bernheim et Pretty Yende sont devenus le duo lyrique à suivre tant leur complicité est évidente. Pretty Yende réussit une jolie prise de rôle et confère beaucoup de fraîcheur au personnage grâce à la pureté de son timbre et à un jeu de scène très simple et direct. Le français impeccable et l'aigu irradiant aboutissent à une scène du Cour-la-Reine parfaitement dominée. La soprano n'est en outre jamais avare de nuances et met en exergue l'émotion sur une inflexion, un mot, un murmure. À cet égard, son « Adieu ma petite table » est particulièrement inspiré. Souvent très touchante, elle peine en revanche davantage dans les passages dramatiques qui exposent un medium discret et souvent couvert et des graves assez confidentiels. Malgré ces quelques réserves, la scène de Saint-Sulpice déclenche l'ovation attendue grâce au formidable duo qu'elle forme avec Benjamin Bernheim qui dessine quant à lui un Des Grieux dominé et accablé, vocalement et techniquement impressionnant. Maître de la voix mixte et de la demi-teinte, il se joue avec une confondante facilité d' « En fermant les yeux » en trouvant un parfait équilibre entre intimité et projection. Le style trouve la voie de la simplicité et de l'évidence et après la retenue des deux premiers actes, il ouvre les vannes pour le tableau de Saint-Sulpice avec un « Fuyez douce image » d'une puissance étonnante et assez bouleversante de désespoir.
Ludovic Tézier est un autre grand styliste et serait presque un Lescaut de trop grand luxe. Le « O Rosalinde » de l'acte III est une leçon de chant stupéfiante qui confère une allure aristocratique à ce personnage d'habitude assez ingrat. Le baryton n'oublie pas toutefois qu'il s'agit d'une crapule et le duo qu'il forme avec le Brétigny onctueux et particulièrement bien chantant de Pierre Doyen est assez savoureux. Pour le personnage du père de Des Grieux, l'italianité de Roberto Tagliavini est parfois un peu gênante dans les passages parlés mais disparaît complètement dans un chant parfaitement conduit. La voix est en outre superbe d'autorité.
En Guillot de Morfontaine, Rodolphe Briand est un diseur hors pair et son jeu subtil entre enthousiasme, dépression et veulerie emporte l'adhésion. Il est toujours accompagné par le trio Poussette-Javotte-Rosette très réussi d'intention et de style mais hélas souvent couvert dans une salle trop grande et dans un dispositif qui peut-être ne facilite pas la projection.
Enfin, les chœurs de l'Opéra de Paris sont très sollicités par cette partition exigeante qui ne les prend jamais en défaut.
Dans la fosse, Dan Ettinger offre une direction parfois déconcertante par ses ruptures de rythmes. Il témoigne toutefois d'un souci constant du discours et du théâtre, soigne les couleurs et met en valeur les belles sonorités de l'orchestre dans un jeu de textures bienvenu, surtout dans les passages intimistes qui exposent des cordes suaves et duveteuses assez chics. Une direction certes un peu maniérée mais particulièrement efficace.
Crédits photographiques : © Julien Benhamou
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Paris. Opéra Bastille. 4-III-2020. Jules Massenet (1842-1912) : Manon, opéra comique en 5 actes sur un livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille d’après le roman de l’abbé Prévost. Mise en scène : Vincent Huguet. Dramaturgie : Louis Geisler. Décor : Aurélie Maestre. Costumes : Clémence Pernoud. Lumières : Bertrand Couderc. Chorégraphie : Jean-François Kessler. Avec : Pretty Yende, Manon ; Benjamin Bernheim, Des Grieux ; Ludovic Tézier, Lescaut ; Robertto Tagliavini, Le comte Des Grieux ; Rodolphe Briand, Guillot de Morfontaine ; Pierre Doyen, de Brétigny ; Cassandre Berthon, Poussette ; Alix Le Saux, Javotte ; Jeanne Ireland, Rosette. Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris (chef de chœur: José Luis Basso), direction : Dan Ettinger