Concours de chefs d’orchestre Siemens Hallé à Manchester : compte-rendu
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Manchester. Hallé St Peters. 21 & 22-II-2020. Siemens – Hallé International Conductors Competition. Demi-Finales : Wagner : Siegfried Idyll ; Stravinsky : Dumbarton Oaks. Candidats : Rodolfo Barráez, Diogo Costa, Chloé Dufresne, Jonas Ehrler, Andres Kaljuste, Delyana Lazarova, Antoine Petit-Dutaillis, Elinor Rufeizen, Joel Sandelson, Francisco Valero-Terribas. Finale : Beethoven : Coriolan ; Symphonie n° 1. Weber : Der Freischütz. Verdi : La Forza del Destino. Britten : Sea Interludes. Huw Watkins : Symphonie. Dvořák : Symphonie n° 9. Brahms : Symphonie n°1. Candidats : Rodolfo Barráez, Chloé Dufresne, Delyana Lazarova, Joel Sandelson. Hallé Orchestra. Président du Jury : Sir Mark Elder
Afin d'afficher leur étroite relation par un évènement important, Siemens et le Hallé Orchestra organisent pour la première fois une compétition internationale de chefs d'orchestre, dont le premier prix offre la place d'assistant de l'orchestre pour deux ans, en même temps que celle de directeur musical du Hallé Youth Orchestra.
Trois cents participants de toutes nationalités pour débuter, seulement dix en demi-finale à Manchester ce jeudi 20 et vendredi 21 février 2020. Sept hommes pour trois femmes. Telle est la répartition des candidats lorsqu'il faut répéter le premier jour Finlandia de Sibelius, puis Sinfonia Sacra de Panufnik, avec la formation de jeunes, le Hallé Youth Orchestra. Dans le jury, Sir Mark Elder, que nous avons interviewé récemment sur le sujet, préside, assisté d'autres membres du Hallé, et de la Fondation d'Art de Siemens, dont son directeur, Stephan Frucht.
Les demi-finales
Le vendredi, les mêmes se retrouvent dans la superbe salle de répétition Hallé St Peters devant l'orchestre principal du Hallé, en formation réduite d'une vingtaine de cadres, dont le premier violon. Ils vont devoir s'atteler le matin à Siegfried Idyll de Wagner, l'après-midi à Dumbarton Oaks de Stravinsky, avec l'apport d'une technologie inédite de Siemens. Le matin, les mouvements des chefs sont filmés par une caméra devant eux, afin de leur montrer l'après-midi un avatar, qui exprime leurs gestes de façon simplifiée et leur fait remarquer les points à corriger. Le directeur du programme d'art de Siemens, Stephan Frucht, nous précise ensuite que le but n'est surtout pas de créer un substitut à l'homme, mais d'utiliser la machine pour servir l'humain et améliorer ses performances.
Malgré tout, au huitième candidat – le jeune Français Antoine Petit-Dutaillis, actuellement en classe de direction au Conservatoire de Paris, Frucht tente de faire jouer l'orchestre devant l'avatar… et cela fonctionne ! La même tentative est réitérée avec encore plus de réussite face à l'avatar du dernier demi-finaliste, Joel Sandelson, Anglais de vingt-cinq ans, retenu parmi les quatre finalistes du lendemain.
Par Dumbarton Oaks, on découvre dès le premier candidat la qualité du Hallé en version de chambre, avec pour commencer la direction la plus énergique de la journée, celle du très prometteur Rodolfo Barráez, Vénézuélien retenu lui aussi pour la finale. Très expressif, le jeune chef montre déjà de véritables idées musicales et arrête très régulièrement les musiciens, là où d'autres montrent plus de confiance et laissent surtout avancer la musique. Le second chef est portugais. Diogo Costa, lui aussi très énergique et très expressif, mais encore trop vertical, comme il le remarque lui-même avec la vidéo de l'avatar. Sir Mark Elder, présent depuis le début et en surveillance constante, n'hésite pas à le couper régulièrement, sans aucune concession. Il faut être sûr de soi pour ne pas craquer, tout en écoutant les conseils et en défendant ses positions. Cela coûtera sa place en finale au jeune chef portugais, comme ensuite au Suisse Jonas Ehrler, vingt-sept ans, qui voulait proposer de passer le tempo de 4 à 2, afin de complètement jouer l'effet ragtime de la pièce, mais se voit très rapidement remercié par un Mark Elder au visage totalement fermé. En troisième position s'avance la première des trois femmes, la Française Chloé Dufresne. Elle se montre très souriante en regardant son avatar, bien qu'il ait aussi un visage d'homme, alors qu'une version féminine aurait été bienvenue. Actuellement en fin d'étude entre Helsinki et Paris, Chloé Dufresne nous fait penser parfois à Karina Canellakis, épaules très relevées, gestes amples et bras droit très précis pour marquer le temps. Elle sera justement retenue en finale, comme la candidate suivante, Delyana Lazarova, très sure d'elle, très stricte, pour un rendu plus violent et très fort.
On remarque au passage avec ces jeunes chefs, pour la première fois de leur vie devant l'orchestre, la souplesse d'un Hallé Orchestra qui trouve à chaque fois, après une simple mesure, une sonorité très différente pour chaque participant. La direction musicale reste quelque chose de magique, et participer à des concours et masterclass est toujours un moment exceptionnel pour comprendre l'influence presque surnaturelle d'un chef sur un podium. Francisco Valero-Terribas, espagnol, montre ensuite une plus grande maturité, et l'on pense, comme pour l'Estonien Andres Kaljuste ensuite, que ces deux artistes plus expérimentés ne seront pas retenus à cause de leur âge, quarante-quatre ans pour le premier et trente-sept pour le second. Il y a un temps pour tout, et diriger un orchestre de jeunes musiciens doit sans doute rester dans les mains d'un jeune chef.
Avec Rodolfo Barráez, Chloé Dufresne, Delyana Lazarova et Joel Sandelson, nous avons donc nos quatre finalistes, au détriment d'Antoine Petit-Dutaillis, seulement vingt-trois ans et sans doute encore un peu inexpérimenté face aux autres, et de l'Israélienne Elinor Rufeizen, très économe en mouvements, mais qui ne parvient pas tout à fait à maintenir les équilibres, ni à profiter de la clarté de l'ensemble.
La finale
Ils ne sont plus que quatre le samedi matin, lorsqu'à 11h30, le Hallé, maintenant en grande formation, s'installe dans la salle de répétition récemment rénovée. La journée se décompose en deux parties, le matin une répétition de trente minutes de deux à trois œuvres par candidats, sur une sélection de huit ; l'après-midi de 15h30 à 17h, une prestation public de vingt minutes avec l'orchestre, sur les ouvrages répétés le matin.
Joel Sandelson, dernier à passer la veille, est maintenant le premier et le seul Anglais encore en lice. Il s'avance d'un pas relativement détendu pour débuter sa répétition avec la pièce la plus moderne de la sélection de huit pièces prévues. La Symphony mancunienne de Huw Watkins, musique aux coloris post-britteniens, met tout de suite en avant la palette de couleurs de la formation anglaise. La transparence des cordes s'allie aux bois clairs, notamment la première flûte, ainsi qu'à une harpe cristalline, le tout déjà très bien agencé par le jeune Anglais. Puis débute Der Freischütz, dans un son cette fois trop clair, interrompu par Sandelson pour demander plus d'appui aux cordes, et plus de mystère dans les violoncelles. Il termine par deux minutes de la Symphonie n° 1 de Beethoven, ordre de programme respecté l'après-midi lors du concert définitif. A la fin des répétitions, il est notre favori, par la tradition sonore et le style demandé à l'orchestre, et par les idées musicales proposées.
Delyana Lazarova entre ensuite, d'apparence très assurée, pour jouer immédiatement la quasi intégralité de l'Ouverture de La Forza Del Destino. En quelques secondes, le son de l'orchestre s'est adapté à la personnalité de la cheffe, pour devenir beaucoup plus violent, plus nerveux. Il y a déjà de beaux moments dans cette vision acide de Verdi, même si l'on perd la couleur, en plus de transitions plus difficiles à gérer, dans cette ouvrage qui nécessite véritablement une tradition latine pour être maîtrisée par les chefs. Elle reprend ensuite seulement quelques parties, sans jamais parler de l'œuvre, mais seulement de la partition. Cela adoucit le son, le reconcentre aussi à l'occasion, puis elle passe à l'un des Sea interludes de Britten. Le son s'y montre beaucoup plus froid qu'avec Sandelson, mais le geste est plus sûr et plus précis. Elle finit par l'introduction de la Symphonie n° 1 de Brahms.
Chloé Dufresne apparaît maintenant, pour reprendre la même symphonie, et immédiatement donner à l'orchestre une sonorité beaucoup plus douce. Il manque encore ici la tension des accords introductifs, mais la cheffe préfère comprendre son ensemble et joue environ cinq minutes sans s'arrêter. Elle s'attèle ensuite à Britten, directement en comparaison avec Lazarova donc, mais avec un rendu beaucoup plus cotonneux, plus intègre à l'ensemble. La Française doit finir par Coriolan, difficile ouverture de Beethoven, pour laquelle elle se montre cette fois très stressée. Sa nervosité s'en ressent sur sa façon de rechercher où reprendre dans la partition, après avoir donné à l'orchestre quelques préconisations. Elle jouera avec plus de calme l'après-midi, même si l'impression laissée le matin a forcément influencé le jury, et la perception de l'orchestre, qu'il aurait sans doute fallu mieux équilibrer et recadrer sur certains pupitres.
Rodolfo Barráez entre enfin, très souriant, pour revenir au Freischütz, qu'il joue avec énergie, interrompant très vite l'orchestre pour le reprendre sur des accents et valeurs. Très expressif, il se met à crier « Samiel ! Erschein ! », afin de donner une idée du son surnaturel qui doit être trouvé, pendant que les musiciens jouent sur le thème de la grotte. Cela est plein d'idées et exprime un très beau rendu, pour faire du chef un véritable challenger de cette finale. Il dirige ensuite la symphonie de Hawkins, sans s'arrêter, ici un peu trop forte et moins transparente qu'auparavant. Puis il prend les quelques minutes restantes pour répéter la Symphonie n° 9 de Dvořák, pour un mouvement lent qu'il rendra très dynamique lors du concert. Sir Mark Elder l'arrêtera par des cris, comme si son temps était dépassé, alors qu'il lui restait plus de trois minutes sur le temps imparti.
Les Résultats
Samedi – 15h30 : Après trois discours des directeurs du Hallé et de Siemens, les candidats jouent les uns à la suite des autres avec, pour les introduire, une courte interview vidéo de chacun, retransmise sur deux larges écrans placés sur les côtés de l'orchestre. La finale confirme globalement ce que l'on a entendu et vu le matin, même si Chloé Dufresne s'y montre plus sereine, Joel Sandelson légèrement moins coloré et Rodolfo Barráez particulièrement énergique. Ces trois prétendants finissent respectivement quatrième, troisième et deuxième, pour un premier prix remis, à la surprise générale chez les journalistes, à Delyana Lazarova. Clairement la plus mature de la finale et visiblement la plus appréciée par l'orchestre, notamment parce qu'elle parle et reprend très peu, ainsi que par sa confiance immédiate envers les musiciens, la Bulgare gagne le premier prix ! Elle aura donc pour charge de diriger pour les deux ans à venir le Hallé Youth Orchestra, avec lequel elle devra proposer quatre concerts, ainsi qu'assister le Hallé Orchestra, pour peut-être,vers la fin de son contrat, participer à un ou quelques concerts officiels.
Crédits Photographiques : © The Hallé
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Manchester. Hallé St Peters. 21 & 22-II-2020. Siemens – Hallé International Conductors Competition. Demi-Finales : Wagner : Siegfried Idyll ; Stravinsky : Dumbarton Oaks. Candidats : Rodolfo Barráez, Diogo Costa, Chloé Dufresne, Jonas Ehrler, Andres Kaljuste, Delyana Lazarova, Antoine Petit-Dutaillis, Elinor Rufeizen, Joel Sandelson, Francisco Valero-Terribas. Finale : Beethoven : Coriolan ; Symphonie n° 1. Weber : Der Freischütz. Verdi : La Forza del Destino. Britten : Sea Interludes. Huw Watkins : Symphonie. Dvořák : Symphonie n° 9. Brahms : Symphonie n°1. Candidats : Rodolfo Barráez, Chloé Dufresne, Delyana Lazarova, Joel Sandelson. Hallé Orchestra. Président du Jury : Sir Mark Elder