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Un dernier samedi aux Flagey Piano Days de Bruxelles

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Bruxelles. Flagey. 15-II-2020. Flagey piano days.
14 heures. Studio 4. Ludwig van Beethooven (1770-1827) : six bagatelles op. 126; Leoš Janáček (1854-1928) : sonate pour piano « 1.X*1905″ ; Johannes Brahms (1833-1897) : trois intermezzi op. 117 ; quatre Klavierstücke op. 119. Lars Vogt, piano
15 heures 30. Studio 3. Masterclass Lars Vogt. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : sonate pour piano n° 24 en fa dièse majeur op. 78  » à Thérèse ». Samuel Van de Velde, piano. Franz Liszt (1811-1886) : Mephisto-Valse n°1 S. 514. Alexis Carré, piano
18 heures. Studio 1. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto italien en fa majeur BWV 971; Edvard Grieg (1843-1907) : suite « au temps d’Holberg » op. 40 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : rondo en sol majeur op. 51 n° 2 ; Claude Debussy (1862-1918) : Suite bergamasque L.75 ; Moondog (1916-1999) : « Für Fritz », chaconne en la mineur ; Bryce Dessner (né en 1976) : ornaments 2&3 ; Philipp Glass (né en 1937) : études pour piano N° 5 et 9. Vanessa Wagner, piano
20 heures. studio 4. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : symphonie n° 7 en la majeur op. 92 ; concerto pour piano n° 5 en mi bémol majeur op. 73 « l’Empereur ». Boris Giltburg, piano ; Brussels Philharmonic, direction : Thierry Fischer

Les de Bruxelles offrent un regard original sur l'incontournable deux-cent cinquantième anniversaire de Beethoven et sur la multiculturalité allemande.

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, brahmsien émérite et pédagogue patenté

Pour ce début d'après-midi, , hôte régulier des dernières éditions, se taille la part du lion, et présente deux facettes  de ses multiples talents : le récitaliste et le professeur. La programmation du concert de quatorze heures est envisagée tel un dialogue entre  les ultimes opus de Brahms et le dernier cycle de bagatelles de Beethoven, juste séparés par la sonate fragmentaire et lapidaire 1.X.1905 de .
retient l'aspect éclaté, quasi schizophrène, du dernier Beethoven, en ces « presque rien » tendant la main, par delà la tombe et les générations, avec leur fragmentation parcellaire et leurs pôles expressifs antinomiques, aux futurs cycles schumanniens. Si les pièces impaires, déjà très prémonitoires du futur Eusébius ouvrent la voie, par les espaces sonores qu'y creuse le pianiste allemand, à une certaine contemplation et à une sensation d'infinitude, magnifiées par une sonorité splendide et perlée, les deuxième et quatrième bagatelles par exemple, dans des tempi très prestes lissent quelque peu par excès d'emportement les savoureux décalages rythmiques et les aspects presque plaisantins de ces pages partagées entre tendresse rêveuse et emportement bourru. À ce titre, l'ultime sixième se révèle bien plus exemplaire en véritable étude de style et de phrasés au-delà de ses imprévisibles sautes d'humeurs.

La sonate 1.X.1905 de Janáček laisse une même impression un peu mitigée, par une relative opacité polyphonique et une exacerbation des contrastes plombant le premier temps « le pressentiment ». Par contre la progression dramatique du second mouvement évoquant la mort d'un jeune manifestant ouvrier en faveur de l'université tchèque de Brno emporte l'adhésion par sa progression dramatique inéluctable et son crescendo expressif irrépressible et quasi insoutenable.

Mais, à la lumière de son récent CD paru chez Ondine consacré au premier concerto, dirigé du clavier, et aux ballades opus 10 , c'est dans Brahms que Vogt donne toute la mesure de son immense talent : une interprétation limpide et châtiée, allant droit à l'essentiel, entre la douleur discrète mais sincère des trois intermezzi de l'opus 117, et un opus 119 oscillant entre mélancolie pudique (les deux premiers numéros), détente plus souriante du pénultième grazioso e giocoso avant de terminer de manière flamboyante mais ambiguë avec la rhapsodie finale, où le triomphalisme apparent n'est ici que le masque du tragique des ultimes mesures. En bis, l'intermezzo opus 118 n°2 du même Brahms donné avec une droiture exquise et une pudeur frémissante conclut en beauté ce récital par moment déconcertant et parfois un rien décevant.

Au fil de la (longue) masterclass qui suit, Lars Vogt fait travailler deux des meilleurs élèves issus des conservatoires bruxellois, flamand et francophone. Il recadre complètement la lecture bien relâchée par Samuel van de Veld de la Sonate n° 24 « à Thérèse » de Beethoven, attirant l'attention du jeune pianiste sur la nécessité d'un respect scrupuleux des tempi, des phrasés et des nuances. Puis il métamorphose l'interprétation au départ presque trop sonore et peu nuancée de la première Mephisto-Valse de Liszt sous les doigts irrépressibles d'Alexis Carré, élève de Dominique Cornil.

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, de Bach à Glass, du bonheur du mélange des genres.

aime les programmes atypiques et exploratoires. Elle explicite ses choix par une courte mais éclairante présentation de chaque pièce du programme : il s'agira d'une part de montrer les convergences entre musiques populaire et savante au sein d'une même œuvre et par-delà les siècles et les écoles, et d'autre part de montrer l'omniprésence, de Bach à nos jours, du caractère de la danse à travers les dess(e)ins rythmiques retenus. Elle explique aussi ne plus guère jouer Beethoven, mais avoir répondu à la demande des organisateurs (une œuvre du Grand Sourd dans chaque programme) en intégrant au parcours de son récital, pour davantage encore en illustrer le propos, le second rondo en sol majeur, du rare opus 51, donné dans une interprétation ductile et racée.

On ne peut d'ailleurs que louer ce piano clair, bien timbré, sans afféterie, et cet équilibre souverain des registres magnifiant un Concerto italien de , qui frise la perfection dans ses oppositions dynamiques, entre imaginaires concertino et ripieno, nonobstant un très court moment de distraction, sans conséquence fâcheuse, dans le final pris dans un tempo irrésistiblement vif.

met en parallèle les univers de Grieg et Debussy avec leur héritage tout personnel de la suite de danses baroques. Au fil de la Suite Holberg du premier, donnée dans sa rare version originale pour piano, elle retrouve la quintessence de l'œuvre, en en gommant tout aspect de pur pastiche. Mais c'est une version sublimement décantée, parnassienne par son souci d'économie gestuelle et expressive, de la Suite Bergamasque du second qui constitue le sommet de ce récital. De nouveau on ne peut qu'admirer cette science du timbre, ce jeu à la fois raffiné et puissant, balayant du discours toute brume impressionniste pour magnifier l'écriture d'un (jeune) Debussy où le dessin l'emporte ici sur la couleur, l'articulation formelle sur la magie de l'instant, sans pour autant renier l'art poétique et la discrète effusion toute verlainienne du célébrissime Clair de lune, donné avec une superbe droiture, sans la moindre affectation déplacée.

Pour terminer son récital, la pianiste française donne quelques extraits de son tout dernier album « Inland » paru chez InFiné. Avec force et conviction, et toujours cette splendide sonorité et cette franche découpe des registres, même dans les canevas les plus complexes, elle nous livre en vrac le Für Fritz, sorte de chaconne aux nombreux avatars polyphoniques, de l'atypique , les ornaments 2 et 3 de , jeune musicien inclassable évoluant entre scène pop underground et musique expérimentale, placés ici dans l'héritage d'un certain minimalisme, et enfin deux des études pour piano de Philipp Glasss. Ces dernières sont jouées avec une foi et une conviction inébranlables pour atteindre, au-delà des réticences que peut inspirer à certains auditeurs critiques le compositeur américain, une pure et ensorcelante magie sonore.

Boris Giltburg sasha gusov

, beethovénien plus poète qu'impérial.

L'un des projets-phares de cette édition est la programmation en trois soirées consécutives des cinq concertos pour piano de Beethoven confiée au seul pianiste , premier lauréat du concours musical international Reine Elisabeth de Belgique en 2013.  L'ensemble, pour cet ultime rendez-vous, n'est complété ni par le triple concerto ni par la fantaisie chorale, mais par une vision électrisante de la Symphonie n° 7, donnée en première partie, sous la direction très impliquée de à la tête d'un irréprochable : tempi vifs, science du rebond rythmique (enfin un vivace du temps initial vraiment donné à 6/8), sens du suspense, énergie inébranlable, enchaînements inattendus et efficaces (l'Allegretto donné attaca dès la conclusion du premier temps, de même que les deux derniers mouvements). Le chef suisse, par ailleurs longtemps flûtiste à l'Orchestre de l'Opéra de Zürich ou à l'Orchestre de chambre d'Europe, a retenu les leçons d'un Harnoncourt ou du dernier Abbado et nous livre un Beethoven où le texte, rien que le texte, mais tout le texte prime sur toute dérive interprétative ou « philosophante ». Il en résulte une approche très tendue, revigorante et électrique, véritable apothéose du rythme (pour paraphraser Wagner) où le triomphe de l'Allegro con brio final se souvient aussi des affres d'un Allegretto vraiment déchirant, rondement mené et malgré tout finement ciselé et articulé.

Fischer livre une version tout aussi combative et urgente du concerto l'Empereur, mais ne semble pas toujours sur la même longueur d'onde que son soliste : y creuse d'avantage les nuances et y met en valeur plus la poésie de l'instant (miraculeux Adagio un poco mosso) que l'architecture grandiose du monument : au fil de l'Allegro initial ne déploie-t-il peut-être pas toujours les moyens de ses ambitions, notamment dans l'ambitus  dynamique : le développement en particulier le montre un peu en retrait, parfois digitalement aux abois. On devine l'intention avec ce choc entre soliste et orchestre, mais paradoxalement le son du piano semble parfois un rien étriqué, pas totalement libéré du coffre de l'instrument : à quoi l'attribuer ? Un peu de fatigue en bout de course de l'ultime soirée de cette intégrale ? Une position un peu crispée et voûtée sur le clavier ? Un léger manque d'engagement corporel ? Le Rondo final, plus ludique et directement brillant, est à notre sens bien mieux venu, par une implication plus immédiate du pianiste et une connivence cette fois indiscutable avec le chef,  assurant aux interprètes un triomphe juste un peu flatté, eu égard au temps initial. En bis, Boris Giltburg donne une version de l'Intermezzo opus 118 n°2  de Brahms, chantante mais très libre dans son rubato, aux antipodes de la version millimétrée de Lars Vogt entendue dans l'après-midi. Il se retrouve tout à fait dans son élément dans une « suggestion (vraiment) diabolique » opus 4 n° 4 de Prokofiev, à la fois vénéneuse sardonique et (enfin?) totalement libérée sur le plan sonore.

Crédits photographiques :  Lars Vogt : © Giorgia Bertazzi ; Vanessa Wagner © Caroline Doutre ; Boris Giltburg © Sasha Gusov

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