George Benjamin est l’hôte de Radio France au festival Présences
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Paris
Festival Présences
Auditorium de Radio France 7-02-2020
Gérard Pesson (né en 1958) : Ravel à son âme pour orchestre ; George Benjamin (né en 1960) : Duet pour piano et orchestre ; Palimpsests pour orchestre ; Hans Abrahamsen (né en 1952) : Left, alone pour piano et orchestre ; Claire-Mélanie Sinnhuber (né en 1973) : Toccata pour piano (CM). Vanessa Benelli Mosell, Alexandre Tharaud, piano. Orchestre National de France ; Sir George Benjamin, direction.
Le festival Présences se met à l'heure britannique, célébrant cette année Sir George Benjamin qui fête ses soixante ans et dont une douzaine d'œuvres est à l'affiche. Compositeur et chef d'orchestre, il dirige l'Orchestre National de France pour ce concert d'ouverture.
Le piano, seul ou adossé à l'orchestre, constitue le fil rouge de cette soirée inaugurale où l'ombre de Ravel se profile dans trois des cinq pièces au programme.
Vignette orchestrale (à peine 6′), Ravel à son âme (2013) de Gérard Pesson n'avait encore jamais été entendue en France! Le compositeur adapte avec bonheur le titre d'une des mélodies de Ravel (« Ronsard à son âme ») pour ce « tombeau » en hommage à celui qu'il aime considérer comme « son refoulé ». La pièce semble répondre au mécanisme du rêve avec ses discontinuités, et son flux agité et sa fin très abrupte. Elle dialectise les deux instances chères au compositeur, être grave (la scansion tragique qu'il empreinte à Mahler) et rester léger (avec ces pixels de couleurs et autres figures familières à l'auteur du Boléro) y compris la caisse claire qui irise l'espace orchestral de Pesson. George Benjamin et les musiciens du « National » en scrutent les détails avec une précision d'orfèvre.
C'est Vanessa Benelli Mosel qui est au piano dans Duet (2007-2008) de George Benjamin, une œuvre dédiée à Pierre-Laurent Aimard, que la pianiste a travaillée avec le compositeur lorsqu'elle était étudiante au Royal College de Londres. Benjamin imagine toutes sortes d'alliages instrumentaux entre les timbres de l'orchestre et celui du piano, au sein d'une trajectoire presque cinématographique, où défilent images et paysages sonores aussi énigmatiques que délectables. La fluidité et la synergie entre les musiciens de l'orchestre et le piano opèrent sous le geste expert de notre compositeur.
Piano toujours et réminiscences ravéliennes avec Alexandre Tarraud, second pianiste de la soirée et dédicataire du concerto pour la main gauche left, alone de Hans Abrahamsen qu'il a gravé chez EMI Classics. « Je suis né avec une déficience de la main droite » révèle le compositeur danois, pianiste lui-même, qui sublime ce léger handicap en écrivant son concerto pour la main gauche. L'énergie du jazz et ses rythmes heurtés ne sont pas sans évoquer le geste virtuose du Concerto pour la main gauche de Ravel. La présence d'un deuxième piano dans l'orchestre génère des effets de spatialisation bienvenus. L'œuvre juxtapose six séquences où se renouvellent les climats et la combinatoire rythmique, entre jaillissement de la matière orchestrale et espaces presque silencieux, l'errance formelle suscitant, tout à la fois, le mystère et le questionnement. En recherche continuelle de positionnement et d'équilibre pour optimiser sa main gauche, Alexandre Tarraud relève superbement le challenge aux côtés d'un orchestre toujours réactif.
Comme chez Bartók, le piano de la compositrice Claire-Mélanie Sinnhuber est percussif et obstiné, mais la touche est toujours légère et l'espace transparent et lumineux. Ainsi le jeu de Vanessa Benelli Mosel privilégie-t-il le registre clair de l'instrument dans Toccata (commande de Radio France qu'elle joue en création mondiale), mettant à l'œuvre, avec une sonorité cristalline, les fins mécanismes et autres motifs circulaires qui font délicatement « tinter » le piano et irradient, ce soir, l'espace de l'Auditorium dans des références à l'enfance et à ses jeux facétieux, avec des instances bruitées (les coups de pédales intempestifs) et le balayage nerveux des touches du clavier. Claire-Mélanie Sinnhuber écrit une musique à la fois raffinée et limpide, avec cette recherche de l'épure et ce goût du merveilleux qui rejoignent là encore l'univers ravélien.
Le concert se termine avec Palimpsests (2002), l'une des œuvres orchestrales maîtresses de George Benjamin. Comme dans Duet, le compositeur modèle le dispositif orchestral selon son désir sonore (pas de violoncelles mais un pupitre de contrebasses renforcé, pas d'anches doubles non plus, sauf un contrebasson) autant de choix induits par un imaginaire sonore hors norme. La palette est d'une richesse extravagante et les alliages de timbres toujours surprenants. Benjamin accuse les reliefs, multiplie les fausses pistes au sein d'une trajectoire complexe dont il a le secret. Le maître fait sonner son orchestre avec une rare acuité, conférant à la fois énergie du son et sensualité de la matière.
La soirée s'achève au 22ᵉ étage de la Maison Ronde, offrant une vue à 360ᵉ sur la capitale. Mais l'enjeu est musical et l'expérience d'écoute unique, donnant à entendre, au sein d'un univers immersif, Flux æterna, une œuvre générative et interactive, en son 3D, de Vincent-Raphaël Carinola où la musique, sans début ni fin, se nourrit des sons que l'on peut poster depuis son portable. Une expérience à retrouver encore le week-end prochain, dans le cadre des concerts de Présences à Radio France.
Crédit photographique : © Christophe Abramowitz / Radio France
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