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C’est l’une des surprises des expatriés occidentaux nouvellement installés au Japon : découvrir que le mois de décembre est principalement consacré à l’écoute ou à l’exécution de la Neuvième Symphonie de Beethoven, ou la « Daiku » comme l’appellent tendrement les japonais.
Ce sont chaque année un nombre incroyable de concerts qui sont organisées dans le pays, impliquant autant les musiciens professionnels que les formations d’amateurs, à Tokyo comme dans les villages les plus reculés de l’Archipel.
La Daiku, les origines
La première représentation au Japon de la Neuvième Symphonie de Beethoven a été donnée par des prisonniers allemands du camp de Bandô à Naruto (Tokushima). 4 700 prisonniers de guerre avaient été amenés au Japon en 1914, au début de la Première Guerre mondiale, suite au siège de Tsingtao, alors concession allemande, remporté par l’alliance entre le Japon et la Grande-Bretagne. En 1918, le sergent Hermann Hansen avaient formé un orchestre de quarante-cinq instrumentistes et une chorale de quatre-vingt chanteurs, avec l’objectif de jouer la Symphonie complète, ce qu’ils firent. « Dans le camp de Bando POW, les prisonniers ont été autorisés à mener diverses activités telles que tenir des magasins, bars et restaurants ; publier des journaux ; construire des loges privées ; et profiter des sports, de l’art et de la musique », explique Kiyoharu Mori, le directeur de la Maison allemande de Naruto. La Neuvième rejouera un rôle militaire lors de la Seconde Guerre mondiale où son quatrième mouvement fut utilisé pour galvaniser les jeunes recrues, et à l’après-guerre où elle sera associée à la commémoration des étudiants allemands morts au combat.
Mais c’est en 1924 que s’est déroulée la première exécution de l’œuvre par des musiciens japonais à l’occasion du 48ᵉ concert de l’école de musique de Tokyo à Ueno. Par la suite la pratique de célébrer l’arrivée de l’hiver avec la célèbre partition de Beethoven, désormais bien ancrée dans les habitudes japonaises, vient probablement et involontairement du chef d’orchestre Joseph Rosenstock qui dirigea l’Orchestre de la radio japonaise le 31 décembre 1932. Pour fêter sa nomination à venir en 1933 à la direction musicale de l’Opéra de Berlin, il fit en sorte qu’à ce concert, le mouvement choral de la Neuvième soit les premières notes entendues à la nouvelle année. Mais son destin fut bouleversé. La prise du pouvoir d’Hitler le 30 janvier suivant l’ayant écarté de Berlin avant d’avoir pris ses fonctions, il se voit cantonné à diriger l’Orchestre du Jüdischer Kulturbund à Mannheim (regroupant les artistes juifs) avant de finalement être contraint de revenir au Japon en 1936, sans toutefois avoir oublié d’intégrer dans son programme musical de départ la Neuvième. Il prit ensuite l’habitude d’inscrire la symphonie au programme de son orchestre japonais chaque fin décembre en tant que chef permanent jusqu’en 1946.
L’Orchestre de la radio japonaise devenue l’Orchestre symphonique de la NHK, programme depuis cette date, et cela continuellement d’année en année, la Daiku pour la fin décembre. Face à l’engouement du public, l’institution fit le choix, à partir de 1975, de proposer dans sa programmation, plusieurs concerts consacrés à l’œuvre, soit quatre à cinq concerts entre le 22 et le 27 décembre. Le succès de cette initiative est total, puisque depuis cette décision, c’est une salle de pas moins de 3 000 places qui se remplit chaque soir, les concerts se jouant tous à guichet fermés.
L’amour japonais pour la Daiku
Les autres orchestres du pays suivirent ainsi le mouvement, et quand on sait que Tokyo seul ne détient pas moins de seize orchestres, on peut imaginer l’effervescence autour des célèbres notes de Beethoven. Mais ne soyons pas dupes, au-delà de la portée historique ou symbolique de ces manifestations, elles engendrent surtout des envolées économiques non négligeables pour des petites structures musicales et associatives, celles-ci programmant une quantité substantielle de concerts afin de répondre à la demande des Japonais.
Aujourd’hui, on peut parler de rite tant l’évènement est devenu incontournable et majeur. Et comme dans tout rites, des visions différentes se construisent. Pour que le phénomène soit accessible à tous, les paroles inspirées du poème de Schiller ont été traduites en japonais. Mais pour les puristes, c’est la version originale, en allemand donc, qui doit être interprétée.
Le rayonnement de cette musique reste parfois surprenant lorsqu’on découvre que des « associations pour chanter la Neuvième » prospèrent sur l’ensemble du territoire japonais. Ce sont des chorales d’amateurs qui naquirent dans le courant du XXᵉ siècle, avec pour seule finalité ces représentations beethovéniennes d’hiver, soutenues généralement par l’orchestre symphonique professionnel de la région. Même si l’objectif est principalement musical, il permet aussi de redynamiser des quartiers défavorisés ou reculés, et de faire se rencontrer différentes générations d’une même région… C’est un véritable facteur de cohésion sociale et à travers la Daiku, les Japonais se sont construits une identité culturelle qui leur est propre, grâce à un patrimoine artistique initialement étranger au pays. Concerts participatifs pour les choristes amateurs, ou concert traditionnel pour les autres, la Neuvième fédère incontestablement.
Les productions titanesques (dix mille chanteurs amateurs à Osaka en 2011 ; cinq mille choristes chaque année au palais des sports de Tokyo), traversent désormais les frontières, certaines étant diffusées sur les télévisions européennes comme Arte en 2011 sous la direction artistique de Yutaka Sado.
Bibliographie
Ludwig van. Le mythe Beethoven, ouvrage collectif, Paris, Gallimard, 2016
D’un camp de prisonniers de guerre à des salles de musique réputées à l’échelle nationale, article de Chiho Iuchi sur The Japan Times, 2018.
Crédits photographiques :
– Chœur d’environ 5000 personnes chante la 9e symphonie de Beethoven avec le New Japan Philharmonic et l’Orchestre symphonique de Tokyo le 27 février 2000 © Alliance / Kazuhiro Nogi – Le prisonnier de guerre Hermann Hansen, assis au centre, une chorale composée d’autres prisonniers de guerre et l’orchestre de Tokushima lors de la représentation de la Neuvième en juin 1918 © Naruto German House
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