Splendeurs mélancoliques de Severin von Eckardstein à Paris
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Paris. Église Saint-Jean de Montmartre. 29-I-2020. Gabriel Dupont (1878-1914) : La Maison dans les Dunes. Robert Schumann (1810-1856) : Davidsbündlertänze, op. 6. Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise-fantaisie en la bémol majeur, op. 61. Severin von Eckardstein, piano
Invité au Concertgebouw ou dans les plus grandes salles en Allemagne, Severin von Eckardstein fait une apparition en France cette saison dans un lieu beaucoup plus confidentiel, à l'Église Saint-Jean de Montmartre, dans laquelle il porte avec splendeur deux cycles de Dupont et Schumann.
En musique comme en art en général, le talent n'est qu'un élément parmi d'autres pour réussir à remplir des salles de concerts. Et si Severin von Eckardstein ne manque clairement pas du premier élément, son unique récital en France cette saison ne bénéficie malheureusement que d'une salle d'église à forte réverbération, devant un public d'à peine une centaine d'amateurs.
Pourtant, le récent enregistrement du cycle La Maison dans les Dunes de Gabriel Dupont, mort en 1914, couplé aux Images de Debussy, mort en 1918, prouve l'exceptionnel maîtrise de discours de l'artiste. Dans l'Église Saint-Jean de Montmartre, chaleureuse par ses dorures mais froide par sa température de ce soir d'hiver, le pianiste a gardé de son dernier album le cycle de Dupont, pour le coupler à la Polonaise-fantaisie opus 61 de Chopin, puis à un cycle rarement interprété de Schumann, Danses de la Communauté de David, (Davidsbündlertänze) opus 6.
Pour celui qui ne connaît pas l'œuvre de Dupont, surtout pour ceux passionnés par la musique du début du XIXe siècle français et plus particulièrement par Debussy, le seul conseil à donner est de foncer sur l'enregistrement du pianiste paru en 2018. Car dès la première des dix pièces, Dans les dunes, par un clair matin, l'expressivité et la pâte d'un compositeur de trente ans déjà totalement mature transparait. Le geste d'Eckardstein délivre à l'ouvrage toute sa puissance, d'une rare intensité et d'une splendide intelligence, pour un ouvrage qu'il joue sans partition. Le froid l'oblige à se réchauffer les doigts en soufflant dessus entre les parties, et si le Voile sur l'eau ne touche pas d'une superbe mélancolie, la main droite se crispe sur le passage animé Mon frère le vent et ma sœur la pluie en milieu de cycle. Toutes les pièces modérées, de la Mélancolie du bonheur aux Houles finales, montrent la même arche et la même puissance, pleine d'une délicatesse tout juste altérée dans le grave par les sons brouillés de l'acoustique, malgré un piano Bechstein à la sonorité particulièrement chaude.
La Polonaise-fantaisie de Chopin débute avec la même humilité, celle d'un pianiste particulièrement agile sans se montrer jamais démonstratif. Pourtant il utilise tous les moyens qui s'offrent à lui, à commencer par les deux pédales, jusqu'à de discrets accelerandos, pour développer un message que l'on aurait particulièrement aimé entendre dans une autre salle. Puis il aborde le Davidsbündlertänze, introduit par un Lebhaft déjà parfaitement canalisé, qui glisse vers une nouvelle mélancolie, moins directe mais tout aussi forte que celle de Dupont, avec la pièce n°II, Innig. Les parties « Mit Humor » montrent la capacité d'Eckardstein à bien différentier chaque danse de cet opus 6 de Schumann, jusqu'à une douce Wie aus der ferne puis à une tendre danse finale, Nicht schnell (Pas rapide).
Une pièce de Tchaïkovski en bis achève une soirée musicalement splendide, mais d'une froide mélancolie en pensant à ce qu'elle aurait dû et pu être dans une acoustique comme celle de Gaveau ou de la Cité de la Musique.
Crédits photographiques © severin-eckarsdtein.de
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Paris. Église Saint-Jean de Montmartre. 29-I-2020. Gabriel Dupont (1878-1914) : La Maison dans les Dunes. Robert Schumann (1810-1856) : Davidsbündlertänze, op. 6. Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise-fantaisie en la bémol majeur, op. 61. Severin von Eckardstein, piano