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Piotr Beczała rend justice aux mélodies de Karłowicz et de Moniuszko

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Mieczysław Karłowicz (1876-1909) : Mélodies op. 1 n° 1-2 et 4-6 ; Mélodies op. 3 n° 1-10 ; Mes plus jolies chansons op. 4 ; cinq mélodies sans numéro d’opus. Stanisław Moniuszko (1819-1872) : cinq mélodies : Dwie zorze (Deux aurores, extrait du onzième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Polna różyczka (La Rose champêtre, extrait du huitième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Prząśniczka (La Fileuse, extrait du troisième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Krakowiaczek (Le Cracovien, extrait du troisième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Znasz-li ten kraj (Connais-tu le pays, extrait du quatrième Recueil de mélodies pour chant et piano). Piotr Beczała, ténor ; Helmut Deutsch, piano Steinway. 1 CD Institut Frédéric Chopin de Varsovie (en coopération avec le Grand Théâtre — Opéra National de Varsovie). Enregistré au Studio Witold Lutosławski de la Radio polonaise à Varsovie du 24 au 26 octobre 2018. Textes en polonais et anglais. Durée : 53:50

 

et proposent une quasi-intégrale des mélodies de , auxquelles ils ajoutent cinq pages de , dont on célébrait le 200e anniversaire de la naissance en 2019. Une parution à ne pas manquer.

NIFCCD-114-Beczała-DeutschEntre Karłowicz et Moniuszko, deux noms sans lesquels la mélodie polonaise n'aurait pu exister, il y a autant de passerelles que de différences. Si Moniuszko est principalement identifié comme auteur d'opéras et de mélodies, Karłowicz fonctionne dans la mémoire collective en tant que compositeur de musique symphonique. Moniuszko élabora plus de trois cents mélodies parmi lesquelles 268 sont réparties sur douze Recueils de mélodies pour chant et piano (dont six seulement furent publiés de son vivant), tandis que Karłowicz n'en façonna que vingt-deux. Tous les deux nés dans la partie nord-est du territoire de la Pologne d'avant les partages, ils ont étudié à Berlin, l'un plus d'un demi-siècle après l'autre. Karłowicz sera revenu à son enfance dans la Rhapsodie lituanienne op. 11, pendant que Moniuszko se sera constamment tourné vers les poètes du grand-duché de Lituanie lors de l'écriture de ses mélodies.

Mais leur lien le plus significatif est la figure de Jan Aleksander Karłowicz, le père de Mieczysław. Lorsque l'ambitieux Jan a quitté la région de Vilnius, Moniuszko, son aîné de dix-sept ans, l'a recommandé à ses collègues de Varsovie, le qualifiant de « jeune ami ». Jan a ensuite suivi une formation de violoncelle et de philologie à Paris, et il y a été le guide de Moniuszko en juin 1858. Ils ont visité le Jardin des plantes et ont passé plusieurs soirs au théâtre et à l'opéra. Plus tard, en tant que linguiste et ethnographe reconnu, Jan est devenu un collectionneur de lettres, manuscrits musicaux et autres documents de Moniuszko. C'est grâce à lui qu'une part considérable de l'héritage existant du compositeur a été préservé.

Les mélodies de appartiennent au canon de la mélodie romantique polonaise, comme celles de Chopin et de Moniuszko qui en sont les représentants les plus éminents. L'œuvre de Karłowicz comprend 22 mélodies terminées et plusieurs mélodies incomplètes conservées sous forme d'esquisses. Les deux premières mélodies datent probablement de 1892 alors que les deux dernières de 1898. Après 1898, Karłowicz abandonne le genre de la mélodie afin de se concentrer sur la musique symphonique. La plus grande majorité des mélodies ont été composées en 1896, lors de ses études à Berlin. Dans les années 1895-1896, il a écrit un total de dix mélodies sur des textes de Kazimierz Przerwa-Tetmajer, particulièrement en printemps de 1896. Il jetait une nouvelle mélodie sur le papier chaque semaine, et parfois même presque tous les jours (il inscrivait la date exacte d'achèvement sur ses partitions). Ce fut une période difficile pour Karłowicz, âgé de vingt ans. À Berlin, il est atteint de dépression. Cela se retrouve dans les textes de ses mélodies. L'impact émotionnel y est d'une importance cruciale. On y perçoit le reflet d'un être humain traversé par les tourments de l'âme : la tristesse, la plainte, le désespoir, le pressentiment de la mort imminente ou l'exaltation, la séduction par la beauté et la rêverie.

En principe, la matière sonore des mélodies de Karłowicz ne va pas au-delà des procédés harmoniques trouvables dans celles de Chopin, et ne se rapproche ni de Wagner, ni de Strauss. Elles ne représentent même pas un avant-goût des idées à venir dans les poèmes symphoniques de Karłowicz de 1903-1909, avec leurs combinaisons harmoniques audacieuses, parfois à la limite de la tonalité. Pourtant, ces mélodies sont imprégnées d'un ton personnel, reflétant une individualité déjà remarquable. En dépit de leur caractère traditionnel, ainsi que des influences et des emprunts évidents (compréhensibles lors des débuts du compositeur), les mélodies de Karłowicz ont leur style distinct. Primo, il préfère des formes courtes, de sorte que la plupart de ses mélodies durent un peu plus d'une minute. Secundo, il attache de l'importance à la partie de piano, pour laquelle il emploie des harmonies intéressantes et crée une corrélation entre l'accompagnement et le contenu verbal. Ses prologues instrumentaux dépassent rarement quatre mesures, alors que les épilogues s'étendent parfois à huit mesures.

et défendent ce répertoire avec autant d'intimité que de feu. Ils abordent 21 des 22 mélodies de Karłowicz ; Na śniegu (Sur la neige) op. 1 n° 3 est la seule page omise pour cet enregistrement par le simple fait que le sujet lyrique y est une femme.

Tour à tour, émeut et galvanise avec sa voix claire, imprégnée de nostalgie autant que d'une expression flamboyante. Voici une voix de ténor lyrique lumineuse, emplie de couleurs dans le piano comme dans le forte, révélant de délicats mezza-voce. Une voix mûre, sensuelle, aux aigus brillants et affirmés. À cela s'ajoutent une diction irréprochable et une émission sans ce vibrato envahissant qui gâcherait la beauté du legato. Une voix « italienne » dans sa pureté et son agilité, mais aussi s'enflammant dans les climax, en fonction des besoins dramatiques. Enfin, une voix au timbre autant travaillé qu'illuminé par la fraîcheur, n'exhibant aucune inflexion qui ne soit soignée et, notamment, soumise au sens du texte chanté. Depuis les années, elle semble n'avoir rien perdu ni de sa souplesse, ni de son homogénéité, ni de sa présence. Par des phrasés aussi élégants que marqués par l'ardeur, Beczała nous fait redécouvrir l'humanité de ces œuvres, en évitant toute fadeur afin de toucher, du fond de son cœur, tantôt par la vigueur, tantôt par la douceur et la mélancolie.

livre, lui aussi, une prestation empreinte de raffinement et de profondeur. Le piano éloquent et précis sous ses doigts, se pare de sublimes teintes s'harmonisant avec le propos du soliste. Si son toucher cristallin, suggestif et velouté combine légèreté et énergie, on aurait aimé, par moments, y percevoir un peu plus d'ampleur, de rondeur et de puissance propres à restituer l'intensité de quelques-unes de ces partitions. Malgré cette menue réserve, ceci est, et de loin, la plus belle interprétation de ces pages. Ajoutons que le livret, relié, offre les paroles des mélodies chantées et leur traduction anglaise.

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Mieczysław Karłowicz (1876-1909) : Mélodies op. 1 n° 1-2 et 4-6 ; Mélodies op. 3 n° 1-10 ; Mes plus jolies chansons op. 4 ; cinq mélodies sans numéro d’opus. Stanisław Moniuszko (1819-1872) : cinq mélodies : Dwie zorze (Deux aurores, extrait du onzième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Polna różyczka (La Rose champêtre, extrait du huitième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Prząśniczka (La Fileuse, extrait du troisième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Krakowiaczek (Le Cracovien, extrait du troisième Recueil de mélodies pour chant et piano) ; Znasz-li ten kraj (Connais-tu le pays, extrait du quatrième Recueil de mélodies pour chant et piano). Piotr Beczała, ténor ; Helmut Deutsch, piano Steinway. 1 CD Institut Frédéric Chopin de Varsovie (en coopération avec le Grand Théâtre — Opéra National de Varsovie). Enregistré au Studio Witold Lutosławski de la Radio polonaise à Varsovie du 24 au 26 octobre 2018. Textes en polonais et anglais. Durée : 53:50

 
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