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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 8-XII-2019. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : sinfonia et « Augelletti, che cantate » extraits de Rinaldo, Entrée des songes funestes et musique de ballet extraits de Ariodante, « V’adoro pupille » et « Da tempeste » extraits de Giulio Cesare, « What passion cannot music raise and quell » extrait de Ode on Saint Cecilia’s Day ; Nicola Porpora (1686-1768) : « Vaghi amori » extrait de La festa d’Imeneo, « Lontan dal solo e caro… Lusingato dalla speme » extrait de Polifemo ; « Nobil onda » extrait de Adelaide ; Geminiano Giacomelli (1692-1740) : « Sposa, non mi conosci » extrait de Epitide ; Johann Adolf Hasse (1699-1783) : Sinfonia et « Un sol tuo sospiro » extraits de Cleopatra ; Johann Friedrich Fasch (1688-1758) : allegro et allegro moderato du concerto pour trompette et orchestre en ré majeur tromba ; Johann Joachim Quantz (1697-1773) : Allegro du concerto pour Flûte en sol Majeur QV 5 ; Leonardo Leo (1694-1744) : « Qual farfalle innamorata » extrait de Zenobia in Palmira ; Leonardo Vinci (1690-1730) : « Cervo in bosco se l’impiaga » extrait de Medo ; Antonio Caldara (1670-1736) : Sinfonia et « Quel bon pastor son io » extrait de La morte d’Abel. Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. Les Musiciens du Prince, direction : Gianluca Capuano
Dans un concert-spectacle dont elle a désormais le secret, Cecilia Bartoli enflamme à nouveau la Philharmonie du Luxembourg. Exubérance et simplicité sont les maîtres-mots d'une programmation exemplaire qui renouvelle et rajeunit le rituel du concert de musique classique.
Après trente-cinq ans de carrière internationale Cecilia Bartoli parvient encore à renouveler l'approche de ses concerts tout en préservant son intégrité artistique et musicale. Consacré à un programme intitulé « Farinelli and his Time », dont plusieurs airs figuraient déjà lors de la tournée « Castrats/Sacrificium » de la saison 2010/2011, le concert de Cecilia Bartoli se déroule dans un continuum musical que ne vient troubler aucun applaudissement intempestif. Les différents morceaux s'enchaînent naturellement les uns aux autres, l'orchestre ou le continuo se chargeant d'improviser délicatement de subtiles transitions musicales. Partiellement mis en scène, situé devant une toile de fond représentant la salle du San Carlo de Naples, le concert utilise un fil conducteur qui repose sur la présence d'un habilleur-coiffeur en charge du confort de sa diva, laquelle se change à plusieurs reprises sous les yeux du public selon qu'elle incarne un personnage masculin ou féminin. Cette figure tutélaire, vêtue d'un costume XVIIIᵉ siècle, suggérerait-elle la présence bienveillante de Riccardo Broschi auprès de son castrat de frère ? En milieu de première partie la diva quitte ainsi la perruque androgyne arborée jusque-là pour se transformer en aguichante Cléopâtre au service des airs de Hasse et de Haendel. Après de nouveaux déguisements faisant alterner redingotes, panaches et autres cuirasses, le public retrouve en fin de concert la célèbre tignasse de sa diva chérie, vêtue d'une simple robe qu'un léger retroussement permet de masculiniser pour le premier bis.
De manière à contourner la traditionnelle et quasi systématique alternance « airs vifs/airs lents », typique désormais des concerts de musique baroque donnés par des artistes qui croient avoir quelque chose à prouver, Cecilia Bartoli construit son programme de manière à privilégier le raffinement de l'émotion sur la démonstration de virtuosité. De fait, les airs véritablement brillants restent relativement rares dans ce programme, le « Nobil onda » de l'Adelaide de Porpora constituant également, du moins pour sa partie A, le troisième et dernier bis du concert. On notera également l'absence de reprise pour le « Da tempeste » de la Cléopâtre de Haendel ou le « Cervo in bosco se l'impiaga » du Medo de Vinci, notre chanteuse se privant de l'étalage de vocalises dont d'autres qu'elle se font un devoir ou une spécialité. Sans doute est-il significatif que le programme officiel du concert s'achève sur l'air le moins brillant de tous, le sublime « What passion cannot music raise and quell » extrait de l'Ode on Saint Cecilia de Haendel. Un air disant le pouvoir de la musique sur les émotions ? Un air célébrant une certaine Cécile née à Rome ? Le message est clair.
Que peut-on dire encore du chant de Cecilia Bartoli ? Il serait vain aujourd'hui de vouloir décliner toutes les qualités de cet art qui enchante la planète depuis tant d'années. Peut-être pourra-t-on signaler à quel point cette voix, qui n'a jamais été volumineuse, semble se clarifier encore dans le haut du registre, au point de se demander si l'appellation de mezzo-soprano est encore justifiée. La beauté et le cristal des notes filées, qui semblent n'avoir aucune limite dans le registre supérieur (ce que montrent d'ailleurs les ornementations qui voyagent désormais vers les sommets de la voix) font partie des plus belles sonorités qu'il est donné d'entendre aujourd'hui. Nous l'avons dit, à la pure virtuosité vocale Cecilia Bartoli préfère désormais la simplicité qui est la marque des plus grandes. Outre la profondeur du sentiment et la sincérité de l'affect, elle cultive également, pour le plus grand bonheur de tous, les joies de l'humour et de la dérision. Qui restera insensible aux œillades de cette Cléopâtre délurée s'adonnant aux délices de la cigarette ? Comment résister à ce véritable numéro de clown au cours duquel Cecilia Bartoli, prenant comme prétexte la partie A du redoutable « Dopo notte » d'Ariodante, s'amuse à faire des ronds de fumée avec son cigare ? Si notre diva sait chanter de manière aussi sublime, elle sait aussi courir, sauter, trépigner, danser et même partir à la pêche aux oiseaux (!), déployant une énergie inépuisable pendant les plus de deux heures et demie au cours desquelles elle tient son public en haleine.
De toute évidence, cette énergie communicative se transmet également aux musiciens dont Bartoli s'accompagne pendant sa tournée. Grâces soient rendues aux solistes Jean-Marc Goujon à la flûte et Thibaud Robinne à la trompette. Ils auront contribué à l'immense bonheur vécu lors de ce concert, à l'instar du violoncelle solo et de l'ensemble des instrumentistes des Musiciens du Prince, placés sous la baguette alerte et vive de Gianluca Capuano. Pour ensoleiller les soirées pluvieuses d'un mois de décembre, on aura du mal à trouver mieux.
Crédit photographique : Les Musiciens du Prince et Cecilia Bartoli © Sébastien Grébille
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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 8-XII-2019. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : sinfonia et « Augelletti, che cantate » extraits de Rinaldo, Entrée des songes funestes et musique de ballet extraits de Ariodante, « V’adoro pupille » et « Da tempeste » extraits de Giulio Cesare, « What passion cannot music raise and quell » extrait de Ode on Saint Cecilia’s Day ; Nicola Porpora (1686-1768) : « Vaghi amori » extrait de La festa d’Imeneo, « Lontan dal solo e caro… Lusingato dalla speme » extrait de Polifemo ; « Nobil onda » extrait de Adelaide ; Geminiano Giacomelli (1692-1740) : « Sposa, non mi conosci » extrait de Epitide ; Johann Adolf Hasse (1699-1783) : Sinfonia et « Un sol tuo sospiro » extraits de Cleopatra ; Johann Friedrich Fasch (1688-1758) : allegro et allegro moderato du concerto pour trompette et orchestre en ré majeur tromba ; Johann Joachim Quantz (1697-1773) : Allegro du concerto pour Flûte en sol Majeur QV 5 ; Leonardo Leo (1694-1744) : « Qual farfalle innamorata » extrait de Zenobia in Palmira ; Leonardo Vinci (1690-1730) : « Cervo in bosco se l’impiaga » extrait de Medo ; Antonio Caldara (1670-1736) : Sinfonia et « Quel bon pastor son io » extrait de La morte d’Abel. Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. Les Musiciens du Prince, direction : Gianluca Capuano
« Peut-être pourra-t-on signaler à quel point cette voix, qui n’a jamais été volumineuse, semble se clarifier encore dans le haut du registre, au point de se demander si l’appellation de mezzo-soprano est encore justifiée. »
Que NON : la « COULEUR » de voix demeure bien celle d’une mezzo … grave !!!