Une histoire inédite des spoliations nazies dans l’Europe musicale
Alors que les spoliations des nazis ont été étudiées en ce qui concerne les œuvres d'art et tout particulièrement les tableaux, l'ouvrage « Commando Musik » de Willem de Vries offre une perspective saisissante sur les confiscations effectuées dans l'Europe musicale.
Traduit et révisé, Commando Musik parut en Hollande en 1996, sous le titre Sonderstab Musik. Ce livre compile des données et explique des mécanismes souvent complexes qui ne concernent que la France, la Belgique et les Pays-Bas. De fait, il comporte nombre de redites car il est nécessaire de contextualiser chaque opération au cœur des organisations de L'État nazi. Un seul chiffre : 6000 pianos, clavecins et épinettes furent volés dans ces trois pays. Un chiffre sous-évalué car il ne prend pas en compte les instruments des familles juives décimées et dont personne n'a réclamé la restitution.
Le pillage des biens culturels dans l'Europe occupée a été systématisé. Les rapports sont nombreux à ce sujet (la commission Mattéoli témoigne de cette ampleur), mais ce que montre de Vries, c'est la spécificité du système appliqué à la musique et mis en place par Alfred Rosenberg : le fameux Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg connu sous le sigle ERR. Théoricien du nazisme condamné à mort au procès de Nuremberg, Rosenberg délègue l'organisation méthodique du pillage des instruments de musiques, des archives, manuscrits, partitions, disques, etc. en territoires occupés. Un pillage qui sert l'État et plus encore les officiels du NSDAP ainsi que les citoyens allemands dont les demeures sont détruites au fur et à mesure que l'Allemagne croule sous les bombes.
Bien avant guerre, les services de renseignement aidés par des musicologues allemands ont ciblé les lieux publics et privés recelant les objets à rapatrier. Il s'agit de vider le plus efficacement possible les bibliothèques des manuscrits allemands pour les ramener sur le territoire national. Au fil des pages, on est saisi par la soif inextinguible des responsables de l'organisation et par les guerres intestines entre les nombreuses administrations du Reich. Les pillages qui concernent en priorité les juifs (“déportation” signifiant “saisie”) s'étendent rapidement à toutes les collections dignes d'intérêt. Tout doit être utilisé pour la propagande d'État. Au point que des musicologues travestissent les manuscrits afin, par exemple, de prouver un antisémitisme de Schumann à l'égard de Mendelssohn.
Mais, ce qui bouleverse tout autant, ce ne sont pas uniquement les razzias au domicile déserté de Wanda Landowska, domicile riche de dizaines d'instruments de musique (s'ajoutent aussi les appartements de Darius Milhaud, Gregor Piatigorsky, Ida Rubinstein, etc.). C'est plus encore, l'éparpillement et la destruction des collections, l'évaporation de milliers d'objets parfois entreposés dans des conditions déplorables dans des châteaux, par exemple, et qui disparaissent lorsque les territoires de l'Est sont repris par les Russes. L'auteur estime que les dix-mille volumes que contenait la bibliothèque musicale de Wanda Landowska sont probablement archivés en Russie. Des centaines de trains provenant de l'Europe entière ont ainsi circulé en tous sens. Ces voyages se sont souvent achevés par des destructions massives en raison des bombardements des villes et des réseaux de communication allemands.
La restitution spectaculaire de tableaux de maîtres a pris des années. Elle fut parcellaire. Elle est quasi-inexistante pour les instruments de musique. Aujourd'hui, nombre de foyers allemands possèdent des objets dont ils seraient bien en peine d'expliquer la provenance. Grâce à ses recherches, de Vries a dénoncé des responsables de ces forfaits alors qu'ils occupaient des postes prestigieux bien des années après la guerre. La fin de l'ouvrage décrit minutieusement les cas particuliers de deux collaborateurs de l'ERR (l'Allemand Wolfgang Boetticher et le Français Guillaume de Van) et de deux de leurs victimes (Darius Milhaud et Wanda Landowska).
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Commando Musik de Willem de Vries. Editions Buchet Chastel. 416 p. 26 euros. 2019
Buchet Chastel