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Munich. Académie des Beaux-Arts de Bavière. 28-XI-2019. Hommage à Heinz Holliger. Robert Schumann (1810-1856) : Chansons de hussards op. 117 ; Six poèmes et un requiem op. 90 ; Heinz Holliger (né en 1939) : Elis, pour piano ; Lunea, cycle pour baryton et piano ; Trois Lieder de 1957 ; Hugo Wolf (1860-1903) : Abendbilder. Christian Gerhaher, baryton ; Gerold Huber, piano
A Munich : un hommage dans un hommage dans un hommage : Holliger, Schumann, le poète Lenau, et Hugo Wolf en invité surprise.
L'Académie des Beaux-Arts de Bavière est à deux pas de l'Opéra ; Gerhaher en est membre titulaire, Holliger membre correspondant, et le public se compose à parts égales d'invités de l'Académie et de chanceux qui ont fait la queue quelques jours plus tôt pour des places gratuites. La salle est petite, l'ambiance intime et concentrée – pas de toux, pas de bavardages intempestifs. Et le programme exigeant que proposent Gerhaher et Huber, sans entracte et presque sans applaudissements intermédiaires, est d'une intensité qui a de quoi sidérer l'auditoire.
Holliger donc : le concert s'ouvre sur Elis, trois courtes pièces en forme d'improvisations sur des poèmes de Georg Trakl, première occasion, pour une fois sans la voix, d'admirer l'art de Gerold Huber. Huber n'est pas seulement le meilleur accompagnateur de son temps : c'est aussi, tout simplement, un des plus grands pianistes d'aujourd'hui, en toute discrétion. Son art est fait d'un travail minutieux et subtil sur la couleur, une manière de construire des volumes, de sembler toujours découvrir le chemin que suit la musique comme si c'était la première fois. La poésie sonore et l'éloquence de ces trois pièces sont une introduction idéale aux œuvres suivantes.
Au cœur du récital, Lunea, avant d'être un opéra créé en 2018 à Zurich, a été un cycle de mélodies écrit sur mesure pour pour Gerhaher et Huber. Retrouver ces phrases que la scène diffractait dans leur nudité, avec leur potentiel comique et leur noirceur souterraine, en quête des démons intérieurs du romantisme, est une toute autre expérience, beaucoup plus intime. Le cycle fait irrésistiblement penser à celui écrit pour Georg Nigl par Pascal Dusapin sur des phrases de Nietzsche, O Mensch!, mais l'équilibre entre voix/phrase et piano/musique est différent : chez Dusapin, le mordant de l'aphorisme a quelque chose du feu d'artifice, loin de l'ampleur des paysages dessinés par Holliger sous les doigts de Gerold Huber, qui ont la consistance des songes.
La jeunesse a sa place dans ce récital : Wolf met en musique Lenau pour la seule fois de sa vie à 17 ans, avec ces Abendbilder, crépusculaires en effet malgré leur décor pastoral. Le duo Gerhaher/Huber est toujours chez lui dans le clair-obscur, et Gerhaher a cette qualité unique de diction qui semble livrer les mots dans leur absolue nudité : idéal pour Wolf. Autre juvénile compositeur, Holliger avait écrit à 18 ans des mélodies dont il autorise seulement aujourd'hui, pour ce concert, la création mondiale : elles ne donnent pas nécessairement une idée très précise de ce qu'allait être l'œuvre de Holliger, mais elles marquent un point de départ.
Schumann, un des alter ego les plus chers de Holliger, a lui aussi chéri le poète Lenau – le Requiem qui clôt l'opus 90 est à sa mémoire, même si Schumann s'était laissé tromper par une annonce anticipée de la mort du poète, quelques mois avant l'échéance réelle. Les poèmes de Lenau choisis par Schumann sont en apparence beaucoup plus légers que les fragments de Lunea. L'op. 117 met en scène un hussard, mais ce n'est qu'un travestissement carnavalesque, pas une parade militaire, et Gerhaher y fait paraître une légèreté humoristique qu'on n'aurait pas forcément attendu de lui, mais cette gaîté forcée dissimule des abîmes. Holliger, amoureux des mots des poètes, amoureux des destins brisés, est constamment présent dans cette soirée, même si le concert a lieu en son absence (il dirige une série de concerts en Suisse) ; l'acte d'amour des interprètes pour un musicien unique, que Gerhaher n'a de cesse de qualifier de génie, est irrémédiablement contagieux.
Crédits photographiques : ©bBayerische Akademie der Schönen Künste
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Munich. Académie des Beaux-Arts de Bavière. 28-XI-2019. Hommage à Heinz Holliger. Robert Schumann (1810-1856) : Chansons de hussards op. 117 ; Six poèmes et un requiem op. 90 ; Heinz Holliger (né en 1939) : Elis, pour piano ; Lunea, cycle pour baryton et piano ; Trois Lieder de 1957 ; Hugo Wolf (1860-1903) : Abendbilder. Christian Gerhaher, baryton ; Gerold Huber, piano