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Le 1er décembre 2019, nous avons appris le décès de Mariss Jansons, âgé de 76 ans, l'un des chefs d'orchestre les plus réputés des récentes décennies. Son départ va changer le paysage sonore de la musique symphonique.
Un survivant de la Shoah
Mariss Jansons est né à Riga le 14 janvier 1943, en plein milieu de l'opération Reinhard par les nazis allemands, ayant pour but, principalement, l'extermination des Juifs. Sa mère, Iraīda Jansone, une cantatrice d'origine juive, le met au monde dans une cachette, après qu'on l'a aidée à sortir du ghetto local. Le père et le frère de celle-ci y seront assassinés.
Le père de Mariss Jansons, Arvīds Jansons, était aussi chef d'orchestre. Ayant remporté en 1946, le second prix d'un concours organisé en URSS, il renforce sa position d'étoile montante dans le domaine de la direction et, en 1952, se voit invité – bien qu'il n'appartienne pas au parti communiste – par Evgueni Mravinski, à prendre le poste d'assistant au sein de l'Orchestre philharmonique de Léningrad où il travaille également avec Kurt Sanderling.
Mariss Jansons, grandissant dans une famille des musiciens, commence son aventure artistique en jouant du violon auprès de son père. En 1956, s'étant installé à Saint-Pétersbourg (alors Léningrad), il entre au conservatoire de la ville pour étudier le piano et la direction d'orchestre, bien que son père l'encourage à continuer l'apprentissage du violon.
Débuts de carrière et premiers succès
Entouré d'un père chef d'orchestre et des camarades de celui-ci, Mariss Jansons développe ses qualités sur le terrain le plus fertile possible, dans un environnement favorable et dûment instruit. En 1968, le conservatoire de Léningrad reçoit un invité spécial : Herbert von Karajan qui s'est rendu en URSS avec le Philharmonique de Berlin. Karajan, très influent, y organise une classe de maître avec des futurs chefs d'orchestre, en présence des autorités locales. Des années après, dans un entretien, Jansons affirmera : « Il y avait douze chefs d'orchestre et Karajan était assis à l'avant. Il m'a choisi, Kitajenko et moi, comme les meilleurs. Il m'a invité à étudier avec lui à Berlin ». Malgré cette proposition inhabituelle, les autorités soviétiques empêchent Jansons de partir, ne voulant pas laisser s'éloigner le jeune prodige vers l'Ouest.
Cependant, le nom de Jansons figure en tête d'une liste d'étudiants prometteurs qui pourraient être envoyés à Vienne pour y participer à un échange. C'est ainsi qu'en 1969, il s'y rend pour un perfectionnement auprès d'Hans Swarowsky. Par la suite, il va à Salzbourg pour apprendre, encore une fois, aux côtés d'Herbert von Karajan. Plus tard, Mariss Jansons disait à propos de cette collaboration : « J'y suis allé en tant qu'assistant au festival d'été, sans la permission de personne. J'ai travaillé avec lui de neuf heures du matin à onze heures du soir. Chaque jour était une telle opportunité ! Puis, je suis rentré à Léningrad plein d'idées, j'étais d'une humeur merveilleuse ».
Cette expérience lui donne la permission de se produire, en 1971, au Concours international de direction d'orchestre « Herbert von Karajan » où il remporte le deuxième prix ex aequo avec Antoni Wit (le premier prix est décerné à Gabriel Chmura). À la suite de ce succès, Jansons commence à trouver sa place sur la scène, au point d'être nommé, en 1973, chef d'orchestre assistant à l'Orchestre philharmonique de Léningrad où Evgueni Mravinski est encore le titulaire.
Une carrière internationale de tout premier plan
Mariss Jansons déploie donc ses ailes en Autriche puis en Russie. En 1979, il est nommé directeur musical de l'Orchestre philharmonique d'Oslo avec lequel il enregistre et effectue de nombreuses tournées. Perfectionniste et grand technicien de la direction d'orchestre, il hisse cette phalange norvégienne au plus haut niveau. Ce poste, qu'il occupe jusqu'en 2000, lui permet d'acquérir une stature internationale.
Puis, les offres et les nominations prestigieuses se multiplient, de sorte que Mariss Jansons dirige des orchestres de premier ordre en Europe et aux États-Unis. Chef très prisé, il est à l'affiche des principaux festivals et se produit même, en 2007, au Vatican devant le pape Benoît XVI. En 1992, il est nommé premier chef invité du London Philharmonic Orchestra. De 1997 à 2004, il est directeur musical de l'Orchestre symphonique de Pittsburgh, succédant à Lorin Maazel. En 2003, il est plébiscité directeur musical de l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise. Son contrat avec la formation allemande courait jusqu'en 2024. En outre, il est, de 2004 à 2015, à la tête de l'Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam. Il est également membre honoraire des orchestres philharmoniques de Vienne et de Berlin, dirigeant à trois reprises les Viennois pour le fameux concert du Nouvel An : en 2006, 2012 et 2016.
De ces coopérations naissent d'innombrables gravures jalonnant l'une des plus riches réalisations discographiques. Mariss Jansons enregistre, entre autres, pour EMI, Virgin Classics et Sony Classical, mais aussi – particulièrement – pour les labels qu'il fait créer au sein des orchestres qu'il dirige : RCO Live et BR Klassik. Il n'y manque pas de signer des références, d'autant que son vaste répertoire s'étend d'Antonio Vivaldi aux contemporains, passant par Bruckner, Tchaïkovski, Mahler, Chostakovitch et tant d'autres.
C'est un chef universel dans le bon sens du terme : non seulement il aborde un impressionnant éventail de partitions, mais aussi il se fait aimer de tous les artistes avec qui il joue. Les multiples hommages parus, ces dernières heures, sur les réseaux sociaux et sur Internet en témoignent. On salue en lui une approche « naturelle et pleine d'émotion », « la capacité de pousser les musiciens à se dépasser eux-mêmes », tout autant que la « précision au pupitre et une approche humaine des musiciens ».
Le Philharmonique de Vienne lui a dédié, dimanche matin, son concert du jour, en souvenir « d'une collaboration artistique étroite de plusieurs décennies et d'une amitié profonde ». Il était un excellent interprète des symphonies, ainsi qu'un attentif accompagnateur dans les concertos, mettant en valeur la variété des couleurs, l'énergie et la transparence des textures.
Une santé précaire
En 1996, Mariss Jansons est frappé d'un infarctus en pleine représentation de l'opéra La Bohème de Giacomo Puccini, à Oslo. Il se rétablit en Suisse. Plus tard, à Pittsburgh, des chirurgiens lui installent un défibrillateur dans la poitrine. Malgré ces efforts, les problèmes persistent. En 2010, Jansons se voit contraint à une pause de plusieurs mois.
Ces derniers mois, Mariss Jansons avait dû annuler des concerts et ne pouvait pas suivre le programme de ses engagements. Le 31 octobre, il avait encore donné un concert à la Philharmonie de Paris, à la tête de l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, devenu « son orchestre ». C'était sa dernière apparition publique dans l'Hexagone. Mariss Jansons est mort d'une insuffisance cardiaque dans sa maison de Saint-Pétersbourg. Dans nos mémoires, il restera un homme souriant, débordant d'enthousiasme et partageant la joie de la musique. Son public, toujours nombreux, lui réservera de longues acclamations.
J’étais à son dernier concert parisien. Quelle 10e symphonie mes aïeux !
Oui, carrément époustouflant !
Mariss Jansons était l’un des derniers très grands chefs.