L’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort conjugue modernité et éclectisme
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Frankfurt. Alte Oper. 21-XI-2019. Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonie n° 83 en sol mineur, Hob. I:83 « La poule »; Francis Poulenc (1899-1963) : Concerto pour orgue, cordes et timbales en sol mineur; Igor Stravinsky (1882-1971) : L’Oiseau de feu. Iveta Apkalna, orgue. HR-Sinfonieorchester, direction : Andrés Orozco-Estrada
Fort du succès de la création de sa propre chaîne Youtube en 2011, l'Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, fondé en 1929, est aujourd'hui un orchestre pleinement ancré dans l'ère numérique.
Alors que le Philharmonique de Berlin a fait le choix d'un modèle payant – le Digital Concert Hall – pour assurer la diffusion de ses productions, l'Orchestre symphonique de la Radio de Francfort a quant à lui misé sur une formule entièrement gratuite. On pourrait supposer qu'en donnant libre accès à son catalogue de concerts, sans faire débourser le moindre centime au spectateur, le projet tendrait in fine à l'éloigner de la salle de concert, à le maintenir satisfait dans le confort de son salon sans aucune contrepartie financière significative pour l'orchestre ? Il semble que ce dernier ait pourtant brillamment démontré le contraire… Les programmes proposés par l'orchestre sont joués plusieurs fois devant des salles combles mélangeant plusieurs générations d'auditeurs, et provenant d'horizons certainement plus larges qu'avant 2011. La vitrine que constitue pour l'orchestre sa chaine Youtube est certainement une très performante machine à renouveler le public. Un procédé dont pourraient s'inspirer d'autres formations musicales…
Andrés Orozco-Estrada, dont le poste de directeur musical de l'orchestre a été prolongé au moins jusque 2021 ouvrait son concert avec la Symphonie n° 83 de Joseph Haydn. Vraisemblablement créée en 1787 par le Concert de la Loge Olympique, elle trouve son surnom « la poule » dans les interventions du hautbois au cours du premier mouvement. On l'y entend répéter une même note sur un rythme pointé, imitant ainsi de façon évidente et amusante le volatile. Pour interpréter Haydn, l'orchestre joue évidemment en formation réduite. L'atmosphère chambriste était encore renforcée par la disposition des vents, alignés derrière les cordes, et jouant debout. L'orchestre apparaît très à l'aise dans ce répertoire et se joue de l'impressionnant volume de la salle du Alte Oper (deux-mille-cinq-cents fauteuils, soit une centaine de plus que dans la Philharmonie de Paris). Le son se révèle généreux, et parfait l'équilibre entre cordes et vents. Orozco-Estrada se montré très attentif au travail des dynamiques et articulations, permettant d'apporter un souffle de fraîcheur et d'élan dans cette partition élégante.
Après l'installation de la console d'orgue au centre du plateau et un large renforcement des effectifs de cordes, Haydn cède la place à la musique française et plus précisément au Concerto pour Orgue de Francis Poulenc. Les claviers sont naturellement confiés à l'artiste en résidence cette saison : l'organiste lettonne Iveta Apkalna. Notons que l'artiste est devenue en 2016 la première titulaire de l'orgue de la Philharmonie de l'Elbe à Hambourg. L'orchestration de l'œuvre, inhabituelle car ici limitée à un orchestre à cordes accompagné de timbales trouve sa justification dans la volonté de Poulenc de pouvoir facilement jouer son concerto en église. L'apparente simplicité de la partie soliste s'explique quant à elle par le fait que l'œuvre fut commandée à Poulenc par la Princesse de Polignac, elle-même organiste, et que Poulenc en parfait gentleman n'aurait voulu mettre en difficulté sa commanditaire face à une partition dépassant ses aptitudes.
Apkalna connait son Poulenc pour l'avoir régulièrement joué avec les plus grandes formations. Sa prestation convaincu un large public malgré quelques imperfections mineures. Ainsi on la perçoit régulièrement légèrement « devant » l'orchestre, comme si elle cherchait à corriger un problème d'écho pourtant totalement absent de cette salle moderne. Plus gênant mais non imputable – a priori – à la soliste, le rôle du timbalier mis constamment en exergue dans des nuances trop fortes, au point de se demander si le timbalier était assimilé ce soir à un second soliste… La puissance de l'orgue couvre également ponctuellement le jeu des cordes, nous privant de détails rythmiques pourtant essentiels à la bonne compréhension de la partition. Dernier regret, le tempo bien trop retenu dans lequel orchestre et soliste nous enlisent dans la dernière section. L'orgue y est pourtant sensé retrouver le tempo de l'Allegro Initial (indiqué comme tel sur la partition). Ce curieux choix se montre résolument contreproductif, déstabilisant la nervosité et la tension musicale installée jusque-là. En bis, le public peut découvrir, impressionné, une plaisante étude jouée uniquement au pédalier.
En seconde partie de concert, c'est l'orchestre en version « grand-format » qui réinvestit le plateau, pour exécuter la version complète de l'Oiseau de feu : le premier des ballets commandés par Diaghilev à Stravinsky. Dans cette œuvre, l'instrumentation de Stravinsky prévoit la présence de quelques cuivres sur scène (le reste de l'orchestre se tenant évidemment en fosse pendant l'exécution du ballet). Afin de restituer ces effets de spatialisation du son, Orozco-Estrada a choisi ce soir de disperser ces instruments au cœur de la salle. Ainsi, on peut entendre des appels de trompettes aux balcons, tandis que quelques pages plus loin, les trombones nous apparaissent aux balcons latéraux : effets des plus réussis. Orozco-Estrada et son orchestre sont assurément à leur jeu dans cette partition, dont ils ont enregistré la suite de 1919 chez Pentatone. Les tempi retenus sont judicieusement équilibrés et nourrissent habilement la dramaturgie des différents tableaux. On retient néanmoins que le Finale aurait facilement gagné en grâce si le solo de cor avait été interprété depuis une nuance pianissimo et non si fort. Il est assez étonnant de voir la façon dont le soliste entonne ce trait pourtant si subtil, en faisant fi de tout ce que ses collègues vont devoir ensuite déployer comme moyens pour étager de façon cohérente le crescendo menant à l'ultime mesure de la partition.
Saluons ici un riche programme à l'éclectisme assumé et maîtrise, applaudi à sa juste valeur par le public de Francfort.
Crédit photographique : Andrés Orozco-Estrada © Werner Kmetitsch
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Frankfurt. Alte Oper. 21-XI-2019. Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonie n° 83 en sol mineur, Hob. I:83 « La poule »; Francis Poulenc (1899-1963) : Concerto pour orgue, cordes et timbales en sol mineur; Igor Stravinsky (1882-1971) : L’Oiseau de feu. Iveta Apkalna, orgue. HR-Sinfonieorchester, direction : Andrés Orozco-Estrada