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Pour ou contre les sonates de Scarlatti par Lucas Debargue ?

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Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonates K. 6, K. 14, K. 25, K. 27, K. 32, K. 41, K. 45, K. 69, K. 105, K. 106, K. 107, K. 109, K. 113, K. 115, K. 125, K. 172, K. 192, K. 193, K. 196, K. 211, K. 212, K. 206, K. 214, K. 242, K. 244, K. 247, K. 253, K. 258, K. 260, K. 268, K. 302, K. 308, K. 343, K. 404, K. 405, K. 414, K. 431, K. 443, K. 438, K. 447, K. 461, K. 462, K. 468, K. 469, K. 474, K. 477, K. 491, K. 521, K. 526, K. 531, K. 534, K. 535, K. 545. Lucas Debargue, piano. 4 CD Sony Classical. Enregistrés à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin en septembre 2018. Notice en français, anglais et allemand. Durée totale : 3:55:06

 

52 sonates de Scarlatti. Autant que de semaines en une année. Une sorte de bain de jouvence, un Ludus personnel et savant destiné à réveiller l'âme et les doigts. nous fait ici une proposition. Sa proposition. Un choix assumé de bout en bout. Il déplait ou séduit. Il choque et nous oppose. Avec ce « Pour ou contre », nous vous présentons deux opinions opposées sur cette nouvelle parution.

Un Scarlatti joyeusement expérimental

Scarlatti Debargue SonyCes Essercizi per gravicembalo ravivés par Horowitz, Gieseking et Casadesus, Grinberg, Hess, Lipatti, Gilels, Michelangeli, Haskil et Bartók, devaient éveiller, chez ces pianistes du passé, quelque chose de spécial pour qu'ils s'y plongent avant la première intégrale, au clavecin, de dont le souvenir a bouleversé . Celui-ci avait prévenu qu'il reviendrait tôt ou tard à Scarlatti et après quatre sonates gravées pour Sony et tant d'autres jouées en concert, il a relevé le défi.

Voici ses petits univers clos, entre haïkus, aphorismes et nouvelles, dont le pianiste s'ingénie, dans un premier temps, à en extraire les sèves populaires et aristocratiques mêlées. Il est peu soucieux de l'apparence. Sa quête est celle d'un catalogue d'expressions, qui est tout sauf décoratif. En multipliant les possibilités de jeux et d'accents rythmiques, en triturant en tous sens les ornements, il crée son propre paradis du goût. Les influences de tel ou tel instrument (guitare, clavecin), les chants et chorégraphies de tel ou tel folklore (italien, espagnol, portugais, français) passent au second plan. Il s'agit donc bien d'une appropriation car refuse, à l'évidence, d'entrer dans le moule convenu d'un « style ». Cette possession exclusive est dans un premier temps dérangeante parce qu'elle pose d'emblée la nature intemporelle du style de Scarlatti – tout comme chez Bach. Une sorte de conception baroque et autodidacte s'impose, l'oriflamme d'un après-. Ici, la netteté, la finesse d'un côté, la puissance et la percussivité des attaques de l'autre ne sont pas contradictoires. De fait, l'articulation la plus anguleuse, les contrastes dynamiques violents ne brisent jamais la projection du chant, à peine soutenu par la pédale. Cette pulsation verticale que l'on perçoit dans d'autres époques et bien loin de la cour d'Espagne (avec quelques exceptions dans les sonates K. 468 et K. 469, par exemple, marquées d'un pas rageur comme chez le Padre Soler) font songer à Gurdjieff voire à certains minimalistes. L'ivresse de l'Arménien et les tensions de la musique répétitive des américains et des baltes ne sont pas si éloignées du caractère hypnotique de ces Scarlatti. D'où le choix, pour l'essentiel, de pièces rapides. Peu d'adagios ou d'andantes, mais des sonates tournoyantes, obsessionnelles (K. 253) et modulantes sans fin, dont les traits et silences ne manquent ni d'humour ni de panache. Une fois encore Lucas Debargue interpelle l'auditeur d'un « et alors ? » magistral. (SF)

Un Scarlatti à la limite de la surinterprétation et loin de la spontanéité

Voici un vaste voyage qui commence plutôt mal. La sonate K. 206 en tête de premier disque, interminable (neuf minutes avec les reprises !), augure d'un parcours du combattant pour l'auditeur : accentuation cagneuse et progression hésitante, vu les incessants changements de tempi, les rallentandi quelque peu outrés, les ornements pensés en dehors de toute progression agogique, ou les oppositions de registres dynamique surlignées. La K. 531 qui s'y enchaîne semble presque ânonnée dans un tempo d'études, avec cette coquetterie du détaché systématique, de l'exacerbation des pauses et des silences, et avec cette insistance quasi-maniaque d'accentuer identiquement certaines cellules obsessionnellement répétées.

Tout concourt dans cette approche à un certain maniérisme (K. 6) et à la recherche de l'expressivité pour elle-même, à la limite de la surinterprétation (par exemple l'insistance sur les modulations et dissonances inattendues de la K. 244) loin de la spontanéité jaillissante. Le pianiste transmute le clavier moderne ci et là en une sorte de clavecin émasculé, ou parfois en une guitare géante (K. 105) dans l'accentuation brutale des accords, ou en vihuela plus fantomatique (K. 211) par le halo d'une pédale subitement retrouvée, mais globalement la sonorité demeure souvent monocorde, notamment dans les acciacatura (K. 214).

Les tempi sont souvent soutenus et parfois interchangeables, dans une relative indifférence face aux indications de mouvements mentionnées au fil des diverses éditions… l'andante K. 404 devient allegro, et l'allegro K. 405 un presto (non sans quelques ruptures, derechef, et dans le mouvement et une exacerbation du ralentissement des dernières mesures), le prestissimo K. 45 nous paraît subitement bien sage. Ailleurs, la multiplication des ruptures met à mal la logique du discours musical (K. 414). Parfois c'est la précipitation qui l'emporte : subitement la K. 125 devient une caccia furieuse. Ailleurs, c'est le déhanchement des phrasés qui devient gênant : pourquoi tant de brisures dans la K. 115 tant inspirées par le caractère de la danse, un fandango stylisé au profil rythmique ici trahi ? Ailleurs, c'est parfois le morcellement de la phrase ou des idées musicales (K. 462) qui sacrifie toute vision d'ensemble de certaines sonates.

Mais pourquoi diable s'être imposé un tel marathon (cinquante-deux sonates fixées seulement en neuf jours de studio !), opter de la sorte pour une fatale interchangeabilité d'approche et tomber dans le piège des réflexes interprétatifs confinant aux tics, au détriment de la variété insigne de ces pages ? Lucas Debargue a-t-il péché par jeunesse, gourmandise, ou orgueil ? Sa démarche se voulait sans doute sincère, mais la réalisation en semble autant affectée qu'alambiquée, avec quelques fléchissements et une certaine fatigue inévitables. (BH)

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Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonates K. 6, K. 14, K. 25, K. 27, K. 32, K. 41, K. 45, K. 69, K. 105, K. 106, K. 107, K. 109, K. 113, K. 115, K. 125, K. 172, K. 192, K. 193, K. 196, K. 211, K. 212, K. 206, K. 214, K. 242, K. 244, K. 247, K. 253, K. 258, K. 260, K. 268, K. 302, K. 308, K. 343, K. 404, K. 405, K. 414, K. 431, K. 443, K. 438, K. 447, K. 461, K. 462, K. 468, K. 469, K. 474, K. 477, K. 491, K. 521, K. 526, K. 531, K. 534, K. 535, K. 545. Lucas Debargue, piano. 4 CD Sony Classical. Enregistrés à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin en septembre 2018. Notice en français, anglais et allemand. Durée totale : 3:55:06

 
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7 commentaires sur “Pour ou contre les sonates de Scarlatti par Lucas Debargue ?”

  • _pia_pia dit :

    Ça veut dire quoi? Pourquoi de telles critiques?

  • charakterkopf dit :

    L’ironie de publier cette critique le lendemain de l’article perspicace de Christian Merlin dans Le Figaro sur le manque de curiosité et d’intérêt pour la plupart des artistes qui méritent d’être connus aujourd’hui. Le sujet : un récital Scarlatti de Yevgeny Sudbin offert par les Concert de Monsieur Croche, annulé à cause d’une salle vide. « Dès qu’un interprète a un potentiel d’attraction sur le public, il occupe le terrain de façon totalement disproportionnée », dit M. Merlin.

    ResMusica nous donne l’exemple parfait en nous dévoilant les deux – et seuls – dieux de Scarlatti à idolâtrer : Lucas Debargue, un pianiste de 29 ans, et Scott Ross, un claveciniste mort il y a 30 ans. On dirait qu’avant Debargue, personne n’a joué Scarlatti depuis Ross, mais c’est une représentation erronée, un récit fallacieux et manipulateur.

    Où est Yevgeny Sudbin ? Dans la cimetière des pianistes cités dans cette critique, Sudbin, grand spécialiste de Scarlatti de nos jours, est une exception du simple fait qu’il est encore vivant !

    Au clavecin, l’omission de tout artiste sauf Scott Ross est insidieuse. Depuis l’enregistrement de son intégrale des sonates de Scarlatti, soutenue par France Musique dans les années 1980, le sujet de Scarlatti et sa discographie font polémique. Oublions Leonhardt et Verlet dans les années 1970 et passons à l’époque post-Ross.

    Où est Pierre Hantaï, qui depuis 1993 a sorti 7 volumes de Scarlatti au clavecin pour Astrée et Mirare qui ont tous été primés ? Où est Lillian Gordis (2019), issue de l’école Leonhardt via Hantaï et Sempé, la première femme en France d’avoir enregistré Scarlatti depuis Verlet en 1976 ? Il paraît que ResMusica n’a même pas daigné publier une critique de ce disque exceptionnel alors que il est très apprécié, plus récemment en Allemagne par Fono Forum. Aucune mention de Bertrand Cuiller (2010). Ni de Jean Rondeau (2019) ou Justin Taylor (2018).

    Quand on a une telle panoplie d’artistes à explorer, pourquoi utiliser votre plateforme pour endoctriner les gens à idolâtrer un seul artiste ou école d’interprétation, en réprimant tous les autres ? Pourquoi homogénéiser un marché déjà beaucoup trop homogène et conformiste ?

    • ResMusica dit :

      Loin de nous, l’envie de manquer de curiosité quant au choix des artistes, qu’ils « aient un potentiel d’attraction sur le public » ou pas. Il semble que la liste, ce mois-ci, des chroniques parues dans ResMusica, le démontre clairement. Je vous rappelle que l’album Scarlatti de Yevgeny Sudbin a été chroniqué sur ResMusica (https://bit.ly/2q6ZgQU).

      Lucas Debargue est (aussi) un artiste important. Le fait qu’il soit davantage médiatisé que d’autres musiciens devrait-il nous interdire d’en parler ?

      Loin de nous l’envie de nier l’existence des interprétations pour le clavecin que vous citez. Debargue cite le nom de Scott Ross, claveciniste qui a marqué son temps, notamment par le fait qu’il a été le premier à enregistrer l’intégrale Scarlatti. Nulle part dans l’article il n’est mentionné ou même suggéré que les « seuls dieux de Scarlatti à idolâtrer » seraient Scott Ross et Lucas Debargue. L’introduction de l’article est précise : « Lucas Debargue nous fait ici une proposition. Sa proposition. Un choix assumé de bout en bout. Il déplait ou séduit. Il choque et nous oppose. » Cordialement, Stéphane Friederich

      • charakterkopf dit :

        Bonjour,

        Merci de votre réponse ! J’aimerais préciser quelques points parce que je trouve la question du lien entre la médiatisation des artistes et les responsabilités de la presse (musicale ou non) extrêmement importante aujourd’hui — un moment où les monopoles dominent de plus en plus nos vies. Vous avez raison qu’il y aura toujours des artistes plus ou moins médiatisés en fonction de leur soutien institutionnel, et je suis bien conscient du fait que ResMusica publie des chroniques sur d’autres artistes aussi. Mais ce n’est pas la question.

        Je maintiens que l’omission de tout pianiste vivant sauf Debargue et tout claveciniste sauf Ross est bien grave — et que ce n’est pas par accident.

        Le propos de cette chronique est un « pour ou contre » de l’enregistrement de Debargue. Pour ça il suffit de parler de Debargue seul. Une fois qu’on ajoute un contexte à cet enregistrement (ex. l’influence de Ross), il faut représenter de manière équilibrée le champs discographique. Il me paraît absurde qu’on ne peut parler que des influences que cite Debargue lui-même : si on croyait réellement que les seules influences sur les artistes étaient ceux qu’ils citaient, nos connaissances du passé et de l’art seraient bien pauvres (je vous invite à regarder les sources primaires citées dans les études scientifiques / historiques). Même si Debargue ne parle que de Ross, une discussion qui inclut d’autres artistes sur le marché aurait enrichi ce débat pour vos lecteurs. En plus, les 52 sonates de Debargue ne constituent même pas une intégrale — pourquoi pas parler d’autres « récitals » Scarlatti (Hantaï, Gordis, Rondeau, Cuiller, Sudbin) ou bien de l’autre grande « non-intégrale » (Hantaï) ? Pourquoi pas faire une comparaison d’une seule sonate enregistrée par plusieurs interprètes (e.g. K 253, enregistrée par Ross, Hantaï, Sempé, Sudbin, Belder, Gordis) ?

        La presse porte la grande responsabilité de représenter les actualités d’une manière équilibrée (*pas objective*) aux lecteurs. Ça fait partie de cette responsabilité de prendre en compte les pratiques des lecteurs. En général, les lecteurs 1) croient (peut-être bêtement) que le contenu d’une chronique est un microcosme de la politique de la presse en question, 2) s’attendent à un traitement équilibré du sujet dans chaque chronique et 3) ne cherchent pas à reconstruire l’actualité d’un sujet en faisant des statistiques du corpus des chroniques publiées. Le lecteur se confie à la presse, d’où cette responsabilité écrasante.

        On n’a pas besoin d’une injonction explicite à la déification de Debargue et Ross pour pousser le lecteur à conclure, par raisonnement inductif, qu’il n’y a que ces deux choix, qu’il n’y a eu aucun travail sur ce répertoire au clavecin, au pianoforte, voire, au piano moderne depuis Ross jusqu’à l’arrivée du Messie sous la forme de Debargue. Et ce n’est pas la responsabilité du lecteur de contrôler le contenu de ce que publie la presse ! Pourtant, dans les deux dernières années, on a eu quatre contributions importantes à la discographie au clavecin et un au piano, et la semaine dernière on a évoqué, à l’occasion de l’annulation du récital Scarlatti de Sudbin, le fait que les institutions et la presse françaises empêchent les artistes provenant d’autres circuits de s’établir en France.

        D’où vient cette représentation si déformée ?
        Soit ces omissions sont un simple accident et c’est bien dommage que ResMusica ne prend pas plus au sérieux la responsabilité de représenter précisément l’actualité de la musique classique, qui est un secteur économique très significatif pour la France (voir les rapports du Bureau Export).
        Soit elle n’est pas un accident et je me demande :
        – quel est le biais de ResMusica ?
        – quel est le biais de ses auteurs ?
        – est-ce qu’il y a un soutien non-déclaré derrière cette chronique ?
        – est-ce qu’il y a une raison non-déclarée pour ces omissions, surtout pour le clavecin ?
        – est-ce qu’il existe une presse libre à laquelle on peut vraiment se confier ?
        – comment distinguer une chronique comme celle-ci du marketing ?

        Ici, la réponse est simple :
        Vous travaillez à l’École normale, où vous êtes un directeur artistique et où Debargue a poursuivi ses études. La fidelité est une très bonne qualité, mais vos affiliations professionnelles sont en opposition avec vos responsabilités journalistiques, et il fallait déclarer ce conflit d’intérêt.

      • charakterkopf dit :

        Franchement choqué que vous avez supprimé mes commentaires qui dévoilaient un potentiel conflit d’intérêt : que Stéphane Friédérich est un directeur artistique à l’École Normale, où a étudié Lucas Debargue, et que ses affiliations professionnelles compromettent son éthique journalistique. Une presse sérieuse aurait apprécié ces questions. L’agression de ResMusica et ses écrivains me laisse penser qu’il s’agit bien d’un conflit d’intérêt et « cover-up » flagrants.

        [suite du message supprimé par la rédaction de ResMusica]

        • Jean-Christophe Le Toquin dit :

          Bonjour,

          Notre rubrique « Pour ou contre? » suscite de nombreux commentaires. Les admirateurs de M. Debargue sont consternés que nous nous attaquions à cet artiste, tandis que ceux qui comme vous contestent son talent fustigent l’opinion de M. Friédérich. D’autres encore ne comprennent même pas l’intérêt d’une rubrique qui donne la parole à des points de vue opposés, ce principe du débat contradictoire étant pourtant plus vieux encore que « Le masque et la plume » ou « La Tribune des critiques de disques » qui occupent les ondes depuis des décennies.

          Si M. Friédérich avait été « contre » le disque de M. Debargue, d’aucuns y auraient vu l’expression de la jalousie d’un critique aigri contre un élève surdoué. Que M. Frédiérich lui reconnaisse du talent, et certains y voient la preuve d’un conflit d’intérêt.

          Ce que l’on peut dire, c’est que ResMusica a publié une critique comprenant deux avis opposés rédigés par des rédacteurs prenant la responsabilité publique de leurs écrits.

          Ce que l’on peut regretter, c’est qu’au lieu de soutenir ResMusica pour avoir eu l’indépendance de publier des avis opposés, et de remercier les deux critiques qui ont accepté de se confronter en toute confraternité, vous vous focalisez sur la partie de l’article qui ne correspond pas à vos vues et vous cherchez à tenter de jeter le discrédit sur l’ensemble de la rédaction.

          Nous vous invitons à prendre du recul et à regarder l’ensemble de notre démarche éditoriale.

          Ce fil de discussion est désormais clôt.

          Jean-Christophe Le Toquin
          Médiateur

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