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Brundibár, un opéra pour les enfants ?

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Brundibár de Hans Krása (1899-1944) est une œuvre pour les enfants, destinée à n’être chantée que par des enfants. Les conditions de sa création ont pourtant été terribles. En partant de celles-ci et aboutissant aux productions contemporaines, ResMusica raconte la vie d’un opéra, de sa naissance jusqu’aux difficultés actuelles de montage, de traduction ou d’adaptation. Un voyage sur 80 ans. Pour accéder au dossier complet : Brundibár de Hans Krása

 
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Brundibár, comme Hansel et Gretel, comme Bastien et Bastienne, et dans une moindre mesure, comme l'Enfant et les sortilèges, est un opéra d'un peu plus d'une trentaine de minutes, conçu par et pour les enfants. Mais son histoire est bien différente, et beaucoup plus sombre.

Screenshot_2019-11-07 dossier-brundibar-1 pdfContrairement à ce que l'on croit communément, Brundibár ne fût pas créé dans le camp de Terezin. Son auteur, Hans Krása, est né à Prague le 30 novembre 1899, dans une famille aisée, ce qui explique peut-être sa faible productivité musicale : il n'en avait pas besoin pour vivre. C'était néanmoins un enfant prodige, doué pour le piano, le violon et la composition. Le soutien financier et les relations de son père, alliés à son indéniable talent et sa facilité d'écriture, aidèrent à la diffusion de ses premières créations, et probablement à sa nomination au poste de directeur du chœur du Nouveau Théâtre allemand de Prague, dont le directeur musical était Alexandre von Zemlinski, qui devint rapidement son mentor. Sa carrière et sa notoriété avancèrent régulièrement. Habitué des membres de l'intelligentsia et proche des hommes du théâtre d'avant-garde pragoise, malgré de nombreuses sollicitations étrangères, il ne parvint jamais à se détacher de sa ville natale.

Brundibár fut écrit pour un concours d'opéra pour enfants prévu en 1938, organisé par le ministère de l'Éducation et de la Culture tchèque, qui finalement n'eut jamais lieu. Le spectre des sombres accords de Munich, qui allaient offrir une Tchécoslovaquie sans défense à l'invasion nazie, devaient déjà peser. Est-ce pour cette raison que Krása, déjà célèbre, avait pensé à y contribuer de façon anonyme, ou alors était-ce pour y participer sans l'ombre du prix de composition de l'État de Tchécoslovaquie, qui lui avait été décerné en 1933 ?

Entre 1939 et 1941, les différentes lois nazies sonnèrent le glas à toutes tentatives de représentation publique d'une œuvre d'un musicien juif. La première de Brundibár eut donc lieu en cachette, à l'orphelinat juif Belgicka de Prague au cours de l'hiver 1942-1943, dans une réduction pour piano, violon et percussion. Quoi de plus normal qu'un orphelinat, s'agissant d'un opéra interprété uniquement par des enfants ? A ce moment, après des semaines de répétition, Rafael Schächter, initiateur du projet, celui à qui l'on doit les représentations du Requiem de Verdi et , mais aussi František Zelenka, ex-directeur de scène du prestigieux Théâtre National de Prague, chargé à cette occasion des décors et des costumes, avaient déjà été déportés à Terezín. Après une seconde représentation, en juillet 1943, ce fut au tour de la totalité des enfants de l'orphelinat d'y être envoyés.

Au moment de sa déportation, le directeur de l'orphelinat, Rudolf Freudenfeld, apporta avec lui la partition de chant. Hans Krása écrivit alors une nouvelle mouture de l'orchestration, en l'adaptant aux moyens du bord, c'est à dire aux instruments disponibles dans le camp, et aux musiciens professionnels qui s'y trouvaient internés. C'est pour cette raison qu'il en existe plusieurs versions, toutes légitimes. La première dans le ghetto eut lieu le 23 septembre 1943. L'original de la partition de 1938 ne fut retrouvée qu'en 1972.

Mis à part les principaux rôles solistes, il semble que la distribution enfantine changeait régulièrement, en raison de ce qu'on appelait pudiquement les convois vers l'est. Tous les témoins survivants s'accordent cependant à dire que le titulaire du rôle-titre, et qui le tint jusqu'au bout, Honza Treichlinger, possédait un réel talent, qui aurait pu, en d'autres temps, le destiner à une carrière glorieuse. Il disparut à Auschwitz en 1944, à l'âge de 14 ans.

Brundibár poursuivit malgré tout son aventure, 55 représentations à Terezín, dont une devant le Comité International de la Croix Rouge, et quelques scènes furent enregistrées, à destination d'un film de propagande nazie. Pour ces occasions, les enfants étaient un peu mieux nourris, afin qu'ils n'aient pas l'air trop faméliques.

L'opéra a été recréé pour la première fois aux États-Unis en avril 1975, et en France en juin 1993 par l'ensemble Disman de Prague au festival du Marais. En 1997, des représentations quasi-simultanées eurent lieu en tchèque à l'Opéra Bastille, et dans une version française au théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, puis par exemple en 2015 à Caen, Dijon ou Besançon, et dernièrement en mai 2019, la Philharmonie de Paris en fit même une sorte d'événement.

Le livret, dû à Adolf Hoffmeister, qui avait pu fuir à temps pour l'Angleterre, comporte tous les éléments d'un conte de fées : deux enfants pauvres, un méchant terrifiant, des animaux magiques, et une fin heureuse en forme de morale. La maman de Pepíček et Aninka est malade. Le médecin lui recommande de boire du lait pour guérir, mais les enfants n'ont pas d'argent pour en acheter. Sur la place du marché, le marchand de glace, le boulanger, le crémier font la publicité pour leurs produits, mais ne les vendent qu'à ceux qui peuvent payer. Le policier le leur confirme, pas de crédit ! Arrive Brundibár, joueur d'orgue de barbarie, à qui les badauds jettent des pièces. Les enfants décident de l'imiter et de chanter, pour gagner l'argent nécessaire à l'achat du lait, mais leurs voix sont trop faibles, personne ne les entend, et même, ils indisposent les passants. Brundibár les chasse brutalement. La nuit tombe. Pepíček et Aninka sont terrorisés, et se rendent compte que seuls, ils sont démunis. Mais l'oiseau, le chat et le chien les réconfortent et leur promettent de réunir trois cent filles et garçons pour le lendemain. Les enfants s'endorment. Au matin, la ville s'éveille, les trois animaux rassemblent les écoliers. Quand Brundibár arrive pour son spectacle quotidien, il se fait attaquer par le chien, le chat et l'oiseau, et tous les enfants entonnent ensemble une berceuse, morceau le plus célèbre de l'ouvrage. Pepíček et Aninka rassemblent assez d'argent pour acheter le lait, mais l'horrible Brundibár tente de le leur voler. Tous les enfants s'unissent alors pour le neutraliser et récupérer leur pécule. L'opéra se termine sur un chant de triomphe, un hymne à la solidarité contre la barbarie.

Rien n'indique là que l'abominable Brundibár porte une moustache, et rien dans les didascalies ne l'oblige non plus. Pourtant, les photos des représentations de Terezín sont sans appel, le jeune Honza Treichlinger en arborait une de très belle facture, et il paraît qu'il s'en servait de façon désopilante. Un groupe d'enfant qui parvient à vaincre un monstre à moustache éructant rien qu'en s'unissant ? C'est presque trop beau pour être vrai. Pourtant, les témoignages des rescapés sont formels : l'œuvre devint immédiatement un hymne à la résistance, à la solidarité, à la lutte contre l'indifférence, aux lendemains qui finiraient bien par chanter, et tout cela à la barbe des nazis, trop bêtes pour comprendre ? Pour bien enfoncer le clou, les toutes dernières lignes du livret ont été modifiées à Terezín par le poète Emil A. Saudek, passant de « celui qui aime véritablement sa mère, son père et son pays natal, celui-là est notre ami, et a le droit de jouer avec nous » à « celui qui aime la justice, qui lui reste fidèle, et qui n'a pas peur, celui-là est notre ami, et a le droit de jouer avec nous ».

Adolf Hoffmeister et  avaient-ils envisagé cette situation d'entrée de jeu ? Ils possédaient assez d'intelligence et d'ironie pour cela. Il est certain qu'en 1938, date de la conception de l'ouvrage, même si la Tchécoslovaquie était encore un pays libre, et pas encore le protectorat de Bohème-Moravie, le personnage d'Adolf Hitler et ses exactions étaient déjà bien connus, mais personne à Prague ne savait encore exactement ce qu'était un camp de concentration. Est-il alors raisonnable de décortiquer Brundibár pour en révéler une œuvre quasi-visionnaire, qui parle de la faim, de la solitude, de l'indifférence, ou cela est-il venu après, par la force des circonstances ?

Au sujet de la valeur littéraire de l'original tchèque, la sommité en la matière, Joža Karas, est sans appel : « le livret d' Hoffmeister est plutôt naïf, et laisse beaucoup à désirer sur le plan poétique Même s'il est évident que le texte s'efforce d'imiter le langage des enfants, cela n'excuse pas les entorses à l'accentuation, l'utilisation de rimes triviales obtenues par l'usage abusif des diminutifs tchèques. Ces problèmes étaient accentués par le fait que Krása était issu d'une famille germanophone et fut élevé en citoyen tchécoslovaque, qui, bien que possédant des notions de la langue tchèque, ne maîtrisait pas toutes les subtilités de son accentuation. ». De même, , à l'origine de la première production française, reconnaît avoir pris quelques libertés avec la traduction littérale du livret. On doit pourtant avouer qu'en tant qu'opéraphile, on a déjà entendu bien plus faible.

La plupart des productions de Brundibár données un peu partout dans le monde font référence à l'horrible histoire de ses origines, serait-ce sa véritable malédiction ? Ne pourra-t-on jamais la savourer au premier degré, comme un vrai conte pour enfants ? Ou n'est-ce même pas souhaitable ? On laissera au lecteur le soin de trancher.

Cet article a été rédigé en collaboration avec

Sources : Joža Karas, La musique à Terezin, 1941-1945, Gallimard ; Michael Gruenbaum et Todd Hasak-Lowy, Quelque part, le soleil brille encore, romans Didier jeunesse ; Henriette Chardak, Les enfants de Terezin et le monstre à moustache, Max Milo

Crédits photographiques : l'illustration de cet article est tiré d'un décor de Béatrice Turquand d'Auzay pour la création française © Frédéric Terzian

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