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Tristan à Karlsruhe par Justin Brown et Christopher Alden

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Karlsruhe. Staatstheater. 17-XI-2019. Richard Wagner (1813-1883) : Tristan und Isolde, opéra sur un livret du compositeur. Mise en scène : Christopher Alden ; décor : Paul Steinberg ; costumes : Sue Willmington. Avec : Stefan Vinke (Tristan), Renatus Meszar (König Marke), Annemarie Kremer (Isolde), Seung-Gi Jung (Kurwenal), Matthias Wohlbrecht (Melot), Katharine Tier (Brangäne)… Chœur de la Badische Staatsoper ; Badische Staatskapelle ; direction : Justin Brown

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en Isolde est une révélation dans une mise en scène d'une remarquable clarté.

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Qu'il est agréable d'entendre une œuvre comme Tristan und Isolde dans une salle d'à peine plus de mille places, où le spectateur du dernier rang est bien plus proche de l'action que bien des spectateurs de la meilleure catégorie de l'Opéra Bastille ! On aurait pour autant tort de croire que c'est au détriment de la qualité scénique et musicale. Tout n'est certes pas parfait dans ce Tristan de Karlsruhe, mais le public des grandes maisons serait bien heureux s'il ne voyait que des spectacles de ce niveau.

La mise en scène de , créée en 2016, fait le pari du décor unique (on reconnaît la signature de Paul Steinberg, collaborateur fréquent de Christopher comme de David Alden), et il le tient brillamment, entre autres parce qu'il n'essaie jamais de meubler : on peut penser ici à la mise en scène de Christoph Marthaler à Bayreuth, « tragédie de l'écoute » (pour reprendre une expression de Luigi Nono) qui faisait des mots le véritable objet du duo d'amour. Les différences avec ce spectacle majeur sont pourtant considérables : l'espace scénique de vaste salon d'attente, surchargé de gros meubles cossus et laids, ouvert sur la droite par une grande véranda, n'évolue pas beaucoup, mais Alden sait lui donner une présence physique : sa direction d'acteurs subtile se sert de toutes les possibilités qu'il offre pour construire des situations et des personnages, parfois en décalage par rapport à la lettre de l'œuvre, mais de manière toujours significative.

La métamorphose physique d'Isolde entre le premier et le deuxième acte est spectaculaire : traumatisée, prisonnière de son passé refusé, éteinte et gauche d'abord, elle se trouve comme libérée par l'amour et campe au deuxième acte une Isolde jeune, vive, sensuelle. fait merveille dans cette vision très humaine du rôle : une voix solide, saine, chaleureuse, souple, qui lui permet d'offrir une Isolde vivante comme on en entend rarement. Sa transfiguration finale a une formidable énergie vitale – la question de savoir si elle meurt ou non est ici totalement accessoire.

Les choses sont un peu moins glorieuses pour Tristan lui-même. fête à la fin de la représentation ses 25 ans sur scène, sur la scène où il a fait ses débuts. Il faut passer le premier acte où le timbre plaintif et les phrases hachées de Vinke ne vont pas avec le personnage ; au fil de la représentation, les choses s'améliorent, et il peut terminer l'opéra dans une forme rare, gardant une capacité à nuancer jusqu'à ses toutes dernières répliques. À leurs côtés, le roi Marke est trop pâle, le Kurwenal de Seung-Gi Jung est efficace, aucun des deux n'étant très sollicité par la mise en scène ; Katherine Tier en Brangäne, au contraire, a visiblement bénéficié d'un travail en profondeur : Alden dessine un portrait humoristique de vieille fille naïve, qui ne comprend rien à ce qui arrive et voudrait surtout bien respecter les apparences – mais qui sait s'adapter finalement aux nouvelles circonstances à partir du deuxième acte. Vocalement, elle suit d'ailleurs un parcours similaire : sa voix est trop terne au premier acte et elle ne se distingue pas assez de celle d'Isolde, mais son récit et surtout ses appels du deuxième sont de toute beauté.

La faiblesse de la soirée, du point de vue musical, est donc dans la fosse. Karlsruhe est depuis longtemps un haut lieu du wagnérisme, et le directeur musical actuel, , a eu à cœur de prolonger cette tradition. Ce qu'il propose est très beau, avec un orchestre de grande qualité, mais l'ensemble manque tout de même cruellement de nerf. Les moments les plus théâtraux de la partition (la fin du deuxième acte par exemple) ont toute la force nécessaire ; le problème se pose quand au contraire Wagner renonce à l'action extérieure : on entend alors du beau son, mais peu d'émotion et peu de tension. Heureusement que les voix et la scène parviennent alors à soutenir l'attention.

Crédits photographiques © Arno Kohlem

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