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Stuttgart. Opernhaus. 14-XI-2019. Atem-Beraubend.
Hikarizatto. Chorégraphie, décor, costumes, lumières : Itzik Galili ; musique : Percossa. Avec Anna Osadcenko, Hyo-Jung Kang, Jason Reilly, Adhonay Soares da Silva…
Out of Breath. Chorégraphie : Johan Inger ; décor et costumes : Mylla Ek ; musique : Jacob Ter Veldhuis, Félix Lajkó. Avec Agnes Su, Elisa Badenes, Hyo-Jung Kang, Jason Reilly, Shaked Heller, Louis Stiens.
Kaash. Chorégraphie : Akram Khan ; décor : Anish Kapoor ; costumes : Kimie Nakano ; musique : Nitin Sawhney. Avec Friedemann Vogel… Membres du Staatsorchester Stuttgart ; direction : Wolfgang Heinz
Atem-Beraubend, autrement dit À couper le souffle, ainsi s'intitule le programme mixte créé l'été dernier à Stuttgart et repris cet automne. Et c'est vrai, il y a bien des moments dans cette courte soirée d'à peine plus d'une heure de danse où le spectateur oublie de respirer devant la beauté de ce qu'il voit.
La pièce qui obtient le plus de succès auprès du public n'est pourtant pas, et de loin, la plus intéressante de la soirée. Créée en 2002, Kaash durait alors près d'une heure et n'employait que cinq danseurs ; reprise en 2017 au Ballet royal de Flandres, elle ne dure désormais qu'une bonne vingtaine de minutes, mais affiche quatorze danseurs. C'est toujours un plaisir de voir danser Friedemann Vogel, présent d'abord de dos, immobile, tandis que le corps de ballet s'agite, puis qui déploie ses ailes, en grand format. Mais la pièce de Khan ne permet pas d'admirer longtemps les danseurs, parce qu'elle est d'abord un grand spectacle : les lumières dorées, le décor d'Anish Kapoor qui donne la caution « art contemporain » à la pièce sans apporter grand-chose, la musique superficielle et rythmée, tout ceci en met certes plein les yeux et les oreilles, mais l'efficacité du show est le prix à payer pour sa vacuité.
Les deux autres pièces rachètent amplement la soirée, et elles se répondent admirablement. La soirée débute donc par Hikarizatto, création d'Itzik Galili pour les danseurs de Stuttgart en 2004. Depuis les cintres, des projecteurs quadrillent la scène en petits carrés de lumière : ils sont parfois tous allumés, mais la plupart du temps seuls ceux occupés par des danseurs le sont. Et qu'y danse-t-on ? Souvent, une recherche fragile d'intimité, cette figure obligée du ballet qu'est le couple, laissée dans son expérience individuelle quand il peut être seul en scène, mais parfois démultiplié : on pense alors, avec ces petites cases allumées, aux appartements d'un immeuble façon La vie mode d'emploi ; parfois certains peuvent passer d'une case à l'autre, mais l'espace laissé à chacun reste étroitement fini. Les étoiles n'ont ici qu'un rôle à peine supérieur à celui du corps de ballet, et ce dernier même n'est pas, malgré les apparences, la troupe indifférenciée du ballet classique : les petites différences entre les uns et les autres traduisent cette résistance à l'uniformisation, la vie personnelle qui s'accroche même là où il faut faire comme tout le monde.
Le sommet émotionnel de la soirée est pourtant la pièce de Johan Inger Out of Breath, créée en 2002 pour le NDT et entrée au répertoire dans le cadre de ce programme. Six danseurs seulement, six individus dans toute leur fragilité, se rencontrant parfois, mais le plus souvent laissés à leurs émotions. Homme, femme, cette distinction se voit dans les costumes, avec ces jupons courts des femmes qui les ramènent au stéréotype de la féminité, mais ce que disent les costumes est contredit par la danse : c'est d'ailleurs un des fils conducteurs de ce programme, cette remise en cause des stéréotypes de genre dont la danse classique est un bastion – et ne parlons pas de Balanchine. Un étrange élément de décor semblant sortir du sol permet de se cacher, de tenter de prendre de la hauteur – mais il s'avère infranchissable. On court beaucoup, on marche beaucoup, dans cette pièce. Les émotions individuelles s'affichent dans les corps et dans les visages, dans l'action la plus quotidienne. Les danseurs semblent parfois rivés au sol ou écrasés contre la paroi ; parfois au contraire, seuls ou à deux, ils s'élancent dans les airs – on pense beaucoup à Kylian, mais Inger a son langage propre. Pris dans les différents échelons de la hiérarchie du Ballet de Stuttgart, les six danseurs de ce soir sont une merveille de précision, et chacun à sa manière fait sourdre l'émotion de sa danse même, ce qui est souvent la force première de la troupe de Stuttgart. Inutile ici de décerner des distinctions individuelles. On pourrait interpréter le titre de la pièce de bien des manières, mais c'est aussi le spectateur qui, ici, en oublie de respirer, tant l'émotion le saisit.
Crédits photographiques © Stuttgarter Ballett
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Stuttgart. Opernhaus. 14-XI-2019. Atem-Beraubend.
Hikarizatto. Chorégraphie, décor, costumes, lumières : Itzik Galili ; musique : Percossa. Avec Anna Osadcenko, Hyo-Jung Kang, Jason Reilly, Adhonay Soares da Silva…
Out of Breath. Chorégraphie : Johan Inger ; décor et costumes : Mylla Ek ; musique : Jacob Ter Veldhuis, Félix Lajkó. Avec Agnes Su, Elisa Badenes, Hyo-Jung Kang, Jason Reilly, Shaked Heller, Louis Stiens.
Kaash. Chorégraphie : Akram Khan ; décor : Anish Kapoor ; costumes : Kimie Nakano ; musique : Nitin Sawhney. Avec Friedemann Vogel… Membres du Staatsorchester Stuttgart ; direction : Wolfgang Heinz