À travers un somptueux programme de lieder de Wolfgang Rihm sur des poèmes romantiques allemands, le baryton Hans Christoph Begemann et le pianiste Thomas Seyboldt proposent un voyage dans le temps pourtant bien inscrit dans le présent, parcouru d'interrogations métaphysiques sur la vie, la mort et l'errance.
Étonnant compositeur que ce Wolfgang Rihm, qui puise aux sources de Schubert, Schumann, Wolf, Mahler et Schoenberg avec une telle évidence et un tel naturel que sa musique ne sonne jamais totalement anachronique. Il semble à l'écoute de ce disque que l'histoire de la musique ait pris un autre chemin, qu'elle ait su tisser un fil continu sans rupture jusqu'à nous, et que l'esprit romantique et expressionniste germanique puisse aussi correspondre aux bouleversements radicaux du troisième millénaire. Rihm souffle à nos oreilles un air de postromantisme qui ne sonne jamais entièrement désuet, car il sait imperceptiblement se souvenir aussi des leçons de ses maîtres Stockhausen et Huber. C'est une expérience déroutante et fascinante, surtout lorsqu'elle est ressentie au travers d'un choix d'auteurs tellement identifiés et ancrés dans leurs périodes respectives : Lessing, Goethe, Mörike, Rückert, Heine, mais aussi des traductions de Michel-Ange et du poète suédois Ekelöf.
Ne boudons pas notre plaisir, la chaleureuse voix d'Hans Christoph Begemann arpente avec un immense talent et une subtile maîtrise cette succession de miniatures finement ciselées, écrites entre 2006 et 2015, que Thomas Seyboldt soutient magnifiquement par un jeu d'une grande finesse. Le dialogue entre piano et voix s'opère dans un parfait équilibre et avec une belle complémentarité. Tout paraît couler de source. Nombre de lieder sont parcourus de couleurs impressionnistes qui rappellent, s'il le fallait, que Rihm n'emprunte pas uniquement le sillon germanique, mais qu'il est également entre autres admirateur de Debussy et de Varèse. Ainsi en est-il des Vier späte Gedischte von Friedrich Rückert (2008) qui ouvrent le disque. La clôture dort wie hier sur des poèmes d'Heine (2015) évoque quant à elle le Pierrot lunaire de Schoenberg. Les Zwei kurze Gesänge sur Lessing et Goethe (2006) sont un sommet de concision, de raffinement expressif et de sensibilité, contrastant avec l'emphase et l'étendue des Drei Sonette von Michelangelo (2013) traduits par Rainer Maria Rilke. Les délicates vocalises de la soprano Caroline Melzer complètent l'effectif sur Funde im Verscharrten (2015), comme un miroir commentant la voix du baryton sur cette traduction de quatre poèmes de Gunnar Ekelöf par Nelly Sachs.
Il faut aussi noter l'étonnant packaging choisi par le label bastille musique pour ses disques : une simple boîte en carton gris tenue par des agrafes et recouverte d'une étiquette en noir et blanc, comme une boîte à chaussures. A l'intérieur, un papier d'emballage noir qu'on déplie patiemment pour atteindre un livret très complet présenté comme une notice d'utilisation, mais aussi deux cahiers de photos en quadrichromie et le précieux CD. Cet écrin singulier ne gâche rien à la beauté, à l'émotion et au mystère de cet enregistrement qui ravira l'auditeur qui souhaite se plonger corps et âme dans un programme romantique hors du temps.